logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Les entreprises déchantent

Enquête | publié le : 13.05.2008 |

Image

Les entreprises déchantent

Crédit photo

Profitant de l'assouplissement des contraintes réglementaires pesant sur l'immigration de travail, des employeurs se sont essayés à faire venir en France des salariés étrangers. Ils ont tiré de cette expérience un bilan mitigé, voire négatif. Présentée comme le remède aux pénuries de main-d'oeuvre, l'immigration de travailleurs s'avère compliquée à organiser.

Sur le papier, cela avait l'air simple : les entreprises françaises de certains secteurs sont confrontées à une «pénurie de main-d'oeuvre», d'autres pays en ont, au contraire, à revendre, le salut est donc dans le recrutement à l'étranger. Cette idée, caressée depuis longtemps par le patronat, d'un marché international du travail non plus réservé aux cadres de haut niveau, mais aussi ouvert à des travailleurs moins qualifiés, devient d'autant plus réalisable qu'en dix ans, l'immigration de travail a été largement facilitée.

Alors que l'immigration des travailleurs n'était pratiquement plus autorisée en France depuis 1974, l'adoption, en 1997, du traité d'Amsterdam permet la libre circulation des salariés dans 15 «anciens» Etats membres de l'Union européenne, ainsi que Chypre et Malte. Plus récemment, en 2004 et 2007, 10 nouveaux Etats sont entrés dans l'UE. L'immigration de leurs travailleurs en France est maintenant facilitée pour 150 métiers en tension, et le sera bientôt pour tous. Quant à l'immigration de travail en provenance de pays extérieurs à l'UE, elle concerne 30 métiers depuis fin 2007 (lire l'encadré p. 26).

Ambition revue à la baisse

Toutefois, malgré cette ouverture, aucun des employeurs qu'Entreprise & Carrières a interrogés, qui se sont essayés au recrutement à l'étranger pour un travail moyennement qualifié situé en France, n'est sorti enthousiasmé de cette expérience. Ces employeurs appartiennent pourtant à des secteurs qui se déclarent «en tension», voire «en pénurie». Après l'avoir expérimenté, ils ont réduit leurs ambitions - quand ils n'ont pas carrément stoppé l'opération - et se sont finalement satisfaits de la main-d'oeuvre hexagonale.

C'est le cas de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), qui a recruté des infirmiers espagnols entre 2001 et 2004, mais qui compte maintenant davantage sur ceux en région pour pourvoir ses postes (lire p. 31).

Embauches contrariées

Plus récemment, l'entreprise de BTP Colas Ile-de-France/Normandie a fait venir une centaine de maçons intérimaires du Portugal, mais n'a pu en embaucher qu'une trentaine (lire p. 27). Bouygues Entreprises France-Europe prévoit, quant à elle, de faire venir une cinquantaine d'ouvriers de Pologne et de Roumanie (lire p. 28) en complément de ses recrutements en France. L'entreprise de BTP Cari s'est, elle aussi, essayée au recrutement de maçons au Portugal avant de renoncer (lire p. 27). Sur les dix informaticiens que la SSII Norsys a essayé de faire venir du Maroc en France depuis deux ans, seuls six y sont effectivement parvenus (lire p. 28). Quant à l'entreprise de ramassage de déchets Sepur, elle n'a pas encore réussi à faire venir de mécaniciens poids lourds de l'étranger (lire p. 29).

Aucun employeur n'est parvenu à monter une filière de recrutement fiable et pérenne. Pourtant, ils ne se sont pas lancés seuls dans ces projets.

Déboires

L'AP-HP a utilisé un dispositif national mis en place par plusieurs fédérations d'employeurs et l'Office mondial de l'immigration. Cari et Colas ont sollicité les entreprises de travail temporaire Adia et Adecco, qui sont d'ailleurs en train de développer une offre de recrutement à l'étranger (lire p. 30). Les déboires rencontrés par la société Samro, qui a fait appel à une société d'intérim irlandaise, Atlanco, pour faire venir des travailleurs polonais, posent, en outre, la question de la moralisation de cette filière (lire p. 32). Norsys et Bouygues Entreprises France-Europe, quant à eux, se sont appuyés sur leurs filiales à l'étranger. Seul Sepur s'est débrouillé tout seul.

Les raisons de leur déception sont diverses. Celles qui veulent faire venir des travailleurs des nouveaux Etats membres de l'UE, et, a fortiori, de pays tiers, mettent en cause l'administration française, ses délais de traitement trop longs et ses réponses trop aléatoires par rapport aux contraintes de leur carnet de commandes.

Une main-d'oeuvre rare et chère

Mais les tracas administratifs n'expliquent pas toutes les difficultés du recrutement à l'étranger. Dans certains pays, la main-d'oeuvre qualifiée devient également rare et chère et les candidats à l'expatriation ne se bousculent plus. Ainsi, l'immigration d'infirmiers d'Espagne s'est tarie en même temps que leur situation s'améliorait dans leur pays ; de même, les ouvriers polonais sont devenus plus difficiles à recruter à mesure que les conditions offertes par les entreprises en France perdaient leur avantage concurrentiel, et l'immigration d'informaticiens du Maroc en France entre en concurrence avec les besoins des entreprises qui délocalisent là-bas.

Enfin, plusieurs entreprises soulignent qu'elles ont rencontré des difficultés pour intégrer et fidéliser leurs travailleurs étrangers, notamment parce qu'ils ne parlaient pas français. Un problème de langue qui se pose moins pour les cadres. Autant d'obstacles qui augmentent le coût de l'immigration de travail, rentable seulement à partir d'un certain niveau de qualification.

Regain de l'apprentissage

Après cette expérience, la plupart de ces employeurs se sont finalement satisfaits de ce que propose le marché de l'emploi hexagonal. Comme Dominique Unger, secrétaire général de la Confédération nationale de la boucherie, qui avait formé le projet d'accueillir et de former des jeunes issus d'Europe de l'Est : « Nous sommes satisfaits de voir la boucherie faire partie de la liste des métiers en tension, mais, pour le moment, la pénurie de jeunes bouchers annoncée en raison du prochain départ à la retraite de 10 000 professionnels a partiellement été comblée par le regain actuel de l'apprentissage. » A propos de ces fameuses listes, Bertrand Castagné, président de la Commission sociale de la Fédération des entreprises de la propreté (FEP), rappelle que « nous n'étions pas vraiment demandeurs ». Et pour cause, les entreprises de propreté, qui employaient, en 2006, 32 % de salariés étrangers, dont 21 % hors Union européenne, n'ont pas besoin de les faire venir de leurs pays puisqu'elles recrutent en France.

Or, là, il y a encore beaucoup à faire. Depuis qu'en 2007 et 2008 les employeurs sont tenus de faire vérifier les papiers de leurs salariés étrangers, mais que, dans le même temps, s'est ouverte la possibilité de régulariser ceux qui n'en ont pas (lire p. 32), la question est ouvertement posée de leur permettre d'intégrer le marché légal du travail.

L'essentiel

1 Malgré l'ouverture des frontières, l'immigration de travail reste complexe à mettre en oeuvre pour les entreprises.

2 Plus que les questions administratives, ce sont la fiabilité des filières et l'intégration des salariés qui posent problème.

3 Ces entreprises se tournent de nouveau vers le marché de l'emploi français.

Lois et réglementations

24 juillet 2006 : loi «Sarkozy» « relative à l'immigration et à l'intégration ».

4 juillet 2007 : circulaire relative à la « vérification de l'existence des autorisations de travail préalablement à l'embauche d'un étranger ».

20 novembre 2007 : loi «Hortefeux» « relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile ».

20 décembre 2007 : circulaire contenant la liste des 150 métiers ouverts aux ressortissants des Etats membres de l'UE soumis à dispositions transitoires, et celle des 30 métiers ouverts aux ressortissants des pays tiers.

7 janvier 2008 : circulaire relative à « l'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié étranger ressortissant de pays n'appartenant pas à l'Union européenne et en situation irrégulière sur le territoire français ».