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« Le DRH devient un acteur politique »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 29.04.2008 |

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« Le DRH devient un acteur politique »

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Dans les grandes entreprises, confrontées à des enjeux vitaux, les DRH ont un rôle politique à tenir : faire comprendre les stratégies des directions, s'engager sur la responsabilité sociale, élaborer des compromis, anticiper les risques sociaux et négocier aux niveaux national et international.

E & C : Dans le cadre de vos recherches sur la conduite du changement dans les grandes entreprises, quelles évolutions avez-vous constatées ?

Pierre-Eric Tixier : Les grandes entreprises avec lesquelles nous travaillons sont confrontées à au moins trois grands enjeux. les deux premiers sont : le recrutement massif avec, en corollaire, l'intégration et la fidélisation d'une nouvelle génération de salariés, et la politisation de l'entreprise au sens de sa place dans la société. Comme le disait récemment Eric Leleu, DRH du groupe Vinci : « Les problèmes de la société civile ne restent pas aux portes de l'entreprise. » Le premier enjeu est crucial, mais il relève, de notre point de vue, de l'adaptation des processus RH à un durcissement de la concurrence sur le marché du travail. Le second est encore un enjeu émergent, qui se décline très différemment selon les groupes, entre image employeur et intégration progressive de nouvelles parties prenantes.

Corinne Dequecker : Le troisième, le développement à l'international, est, en fait, le véritable enjeu actuel des grandes entreprises. Même pour les groupes d'origine hexagonale, la France devient un territoire parmi d'autres sur lequel ils doivent gérer des changements permanents de périmètre alors que les régulations sociales ne sont plus adaptées.

E & C : Dans ce contexte, quel est le rôle du DRH ?

P.-E. T. : Ce contexte transforme le DRH en acteur politique. Il est propulsé au coeur des contradictions entre la stratégie de l'entreprise et ses conséquences sur les transformations du travail ou sur l'emploi, et les nouvelles exigences liées aux transformations sociétales. Les DRH deviennent des intégrateurs stratégiques, ils doivent élaborer des compromis qui vont affirmer l'efficacité de l'entreprise, et, en même temps, rendre acceptables les changements, y compris, dans un certain nombre de cas, sur le registre de la réduction de l'emploi.

C. D. : Dans cette situation parfois presque schizophrénique, la recherche de compromis passe, pour les acteurs RH, par la capacité à repérer les attentes du corps social, alors que, parallèlement, les logiques des salariés se différencient et s'individualisent de plus en plus fortement. Cela implique d'interpréter des signaux faibles porteurs des questions à venir et de développer une capacité d'anticipation sur les évolutions du social pour optimiser les zones de compromis possibles. L'enjeu, pour les DRH, est de favoriser, sinon l'acceptation, au moins la compréhension de la stratégie de l'entreprise par le corps social en échange d'engagements qui témoignent de la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise. C'est en ce sens que le rôle du DRH est politique.

E & C : A l'échelon des grandes entreprises, comment évoluent les relations sociales ?

P.-E. T. : A une configuration qui mettait en scène des acteurs dits représentatifs et des négociations centrées sur les variables classiques de l'échange salarial (salaires, durée du travail, qualification) succède une logique de relations et de négociation collective où se mêlent enjeux sociétaux et marketing social. Il s'agit, pour un grand nombre de groupes, de gérer l'instabilité des périmètres de l'entreprise, et, notamment, d'anticiper les restructurations en France pour éviter les conséquences des PSE, ce qui implique un certain niveau de partage de la stratégie de l'entreprise avec les partenaires sociaux. Parallèlement, se développent aussi un ensemble de négociations transnationales par le biais de comités de groupe européens ou mondiaux.

C. D. : Dans ce contexte de multiplication des lieux et des enjeux du dialogue social, le travail du DRH consiste à construire les articulations entre les niveaux de dialogue et de négociation du niveau transnational, européen, national jusqu'au local, et de créer les conditions d'une acceptabilité sociale des choix stratégiques de l'entreprise.

Il s'agit de donner corps, par le biais d'accords sociaux, aux zones de compromis possibles, afin de limiter, sinon d'anticiper, les risques sociaux et de construire une stratégie d'échange politique qui permette une implication positive des représentants syndicaux dans la recherche de solutions. Mais en France, ces changements se construisent dans un contexte où les acteurs syndicaux n'ont qu'une faible représentativité, ce qui ne permet pas de bâtir de nouvelles régulations réellement adaptées et partagées. Et la stratégie du compromis politique comporte le risque d'aggraver la perte de légitimité des représentants des salariés. L'enjeu pour le DRH est de concevoir et de gérer ce type de stratégie en tenant compte de ces effets : les compromis politiques fragilisent-ils ou renforcent-ils la capacité de représentation des organisations syndicales ?

E & C : En tant qu'enseignants, qu'essayez-vous de transmettre aux futurs cadres RH ?

P.-E. T. : Une capacité à raisonner sur les enjeux et la stratégie de l'entreprise et comprendre son fonctionnement social. Nous faisons, chaque année, réaliser aux étudiants une enquête sociologique en entreprise dont ils présentent les résultats aux commanditaires. La découverte du réel a une vertu décapante !

C. D. : Au-delà de la rationalité des discours managériaux, de l'affichage des stratégies et des politiques de l'entreprise, comprendre ce qui se joue sur le terrain du monde du travail et avoir une vision systémique des interactions entre les hommes pour en décoder la complexité et les aider à construire leur capacité d'action en fonction du réel et des multiples tensions qui le traversent.

Parcours

Corinne Dequecker est maître de conférences associée du master de GRH de Sciences Po, et chercheuse associée au Centre de sociologie des organisations. Consultante, elle conduit des missions d'accompagnement du changement.

Pierre-Eric Tixier est responsable scientifique du master de GRH de Sciences Po et chercheur au Centre de sociologie des organisations. Il intervient à titre d'expert dans différentes organisations publiques et privées.

Lectures

Made in monde : les nouvelles frontières de l'économie mondiale, Suzanne Berger, Seuil, 2006.

La question syndicale, Pierre Rosanvallon, Calmann Lévy, 1987.