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Enquête

Mais où sont les heures supplémentaires ?

Enquête | publié le : 22.04.2008 |

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Mais où sont les heures supplémentaires ?

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Six mois après la mise en application de la loi Tepa, le bilan est nuancé. Faute d'une croissance soutenue, les heures sup' restent, à quelques exceptions près, très limitées. Le slogan facile «travailler plus pour gagner plus» s'est révélé un véritable casse-tête pour les employeurs.

L'été pluvieux de 2007 a fait des heureux : chez Kronenbourg, à Obernai (650 personnes), les salariés n'ont pas eu à effectuer les heures supplémentaires tant redoutées. La mauvaise saison n'a pas engendré plus de travail. L'entreprise avait, en effet, défrayé la chronique, début juin, en s'opposant aux heures sup', alors que la loi Tepa était présentée à l'Assemblée nationale. Les heures supplémentaires devaient être effectuées dans la nuit du samedi au dimanche (cinq à six samedis de suite), une organisation qui ne convenait ni aux jeunes, qui voulaient sortir en boîte de nuit, ni aux plus âgés, qui voulaient rester en famille.

Global Concept (470 salariés), une entreprise de télécoms implantée à Paris, n'a pas, non plus, modifié ses pratiques. Ni effet d'aubaine, ni réticence. Les salariés, principalement les techniciens télécoms, ont effectué huit heures supplémentaires en février dernier, un chiffre similaire à celui de février 2007. Avant la loi Tepa, ils recevaient 71 euros net pour un salaire de 1 400 brut. Après, ils ont perçu 91 euros net...

Un dispositif coûteux

Alors, les heures supplémentaires, ça marche ? La polémique a été relancée, début avril, avec l'étude, réalisée à la demande du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le socialiste Didier Migaud, qui conclut à un dispositif coûteux et inefficace. Coûteux, car l'Acoss chiffre à 4,1 milliards d'euros le coût annuel de la réforme pour l'Etat, contre un bénéfice de 3,8 milliards pour les salariés. Inefficace, car la commission évalue le nombre d'heures supplémentaires entre 600 et 670 millions en 2008, loin du volume de 900 millions estimé à l'origine.

Démenti ministériel

Christine Lagarde, la ministre de l'Economie, a démenti d'un bloc les conclusions négatives de l'étude, indiquant que le volume des heures supplémentaires déclarées dans les entreprises de plus de 10 salariés avait augmenté de 28 % au dernier trimestre 2007 par rapport à la même période de 2006. Au-delà de la bataille politique, sur le terrain, les entreprises font leurs comptes. Selon le baromètre de l'ordre des experts-comptables d'Ile-de-France, réalisé avec Epsy, et publié le 15 avril, le bilan est nuancé. Parmi les 480 PME sondées, 60 % estiment que l'exonération fiscale des heures supplémentaires est une mesure efficace pour relancer le pouvoir d'achat. Or, elles sont 88 % à ne pas avoir eu recours au dispositif.

Des entreprises réticentes

Le cabinet d'avocats Fidal a également mené l'enquête auprès de 2 000 entreprises. Là encore, le bilan est réservé : « On constate que les entreprises sont très réticentes, indique Stéphane Béal, directeur adjoint du département droit social ; 79 % d'entre elles ne se sentent pas incitées à augmenter le volume des heures supplémentaires (lire p. 30). Elles savent pourtant que la loi Tepa a créé une forte attente du côté des salariés. Or, la complexité du dispositif tout comme la faiblesse des avantages financiers ne les poussent pas à modifier leur temps de travail. Les entreprises vivent cette réforme comme une contrainte plus que comme une opportunité. Elles ne pourront accroître le volume d'heures supplémentaires que si elles y trouvent un intérêt économique. »

Situations diverses

La loi se heurte, en fait, à des situations très différentes. Plusieurs entreprises, à l'instar d'Areva ou de Toyota, ont joué le jeu. Celles qui avaient déjà une durée du travail supérieure à 35 heures ont eux recours aux heures supplémentaires. Il s'agit d'heures structurelles qui n'étaient pas, jusqu'ici, déclarées comme telles. Mais, ces pratiques ne sont pas vouées à devenir la norme.

Car, pour d'autres DRH, la mesure tourne au cadeau empoisonné. Depuis des années, leur organisation du temps de travail - modulation, annualisation - avait pour but de faire disparaître les heures supplémentaires. Pour les petites sociétés, le gain est loin d'être évident. Le taux de majoration de l'heure sup'a, en effet, bondi à 25 % (contre 10 % initialement). D'autres déclarent ne pas pouvoir répondre aux attentes des salariés.

Confusion des genres

« Une certaine confusion s'est installée dans les esprits, remarque Anne-France Lucas, DRH de Conforama (10 000 salariés en France). Ce n'est pas parce que cette loi vise à redonner du pouvoir d'achat aux salariés que nous en avons besoin. Les salariés souhaitent arrondir leurs fins de mois ? Oui, mais les heures sup', c'est encore à l'initiative de l'employeur. » Chez Conforama, le volume d'heures supplémentaires n'a pas bougé (16 heures en moyenne par an par salarié). En revanche, Anne-France Lucas remarque qu'environ 15 % des heures supplémentaires effectuées sont aujourd'hui rémunérées alors qu'elles étaient auparavant récupérées. Ici, le salarié peut choisir entre ces deux options.

Beaucoup, faute de croissance, n'ont tout simplement pas besoin de faire jouer le dispositif.

Adapter la charge de travail

Ainsi, à Sandouville, les heures supplémentaires ne font pas débat. Tout simplement parce que les salariés de Renault ne peuvent pas en faire. Renault cherche, avant tout, à limiter le chômage partiel (une semaine par mois, en février, en mars et en avril) lié aux mauvais résultats enregistrés par la Laguna. Grâce à l'avenant à l'accord sur la réduction du temps de travail, signé, le 15 janvier 2007, par la CFE-CGC et la CFDT, l'entreprise permet d'éviter le chômage technique en augmentant le nombre de jours de RTT pris par anticipation. « Ce texte vise à adapter la charge de travail à la baisse de production, indique Jean-Luc Lefrançois, délégué syndical CFDT. L'objectif étant de ne pas perdre de l'argent pendant ces périodes de sous-activité. » En revanche, pendant les périodes de haute activité, lorsque l'usine tournera à plein régime, les salariés travailleront davantage sans aucune majoration en heures supplémentaires.

L'informatique et la propreté insatisfaites

D'autres encore ne sont pas satisfaits du dispositif actuel. C'est le cas, par exemple, du Syntec Informatique. L'accord de branche sur le temps de travail de 1999 a instauré trois régimes, dont un dit de «mission», appliqué aux cadres qui ont les revenus les moins élevés, et qui combine un forfait horaire de 35 heures et un forfait d'heures supplémentaires équivalent à 10 % de la durée contractuelle hebdomadaire, sur un maximum de 220 jours de travail par an. Or, ces heures supplémentaires «prépayées» sont incluses dans le salaire et donc exclues du champ d'exonération de la loi Tepa ; 40 % des salariés (sur 350 000 de la branche) sont concernés par ce dispositif. Autant dire que le Syntec, qui regroupe les principaux employeurs du secteur, a engagé une importante opération de lobbying pour obtenir un réajustement de la loi.

La grogne est aussi perceptible dans la branche propreté, qui emploie 75 % de ses salariés à temps partiel. La profession, grande consommatrice d'heures complémentaires, ne bénéficie pas, non plus, de l'exonération de charges patronales. « Aujourd'hui, il est plus rentable pour une entreprise de nettoyage de créer un CDD ou de donner des heures supplémentaires à une personne à temps complet, plutôt que des heures complémentaires à une personne à temps partiel », constate Bertrand Castagné, président de la commission sociale de la Fédération de la propreté. Une loi jugée, en l'état actuel, « contre-productive » pour ce secteur.

Surtout, les entreprises critiquent la complexité du dispositif. « Elles ont déjà été pas mal déstabilisées par la législation du temps de travail. On tâche de faire appliquer les nouvelles réformes au mieux », poursuit Anne-France Lucas.

Risque de faux pas

« Sur le papier, c'est très bien, assure Muriel Doyen, directrice des services conseil clients de SVP (conseil aux entreprises). Mais attention aux conditions drastiques liées aux exonérations de charges - obligations légales et conventionnelles, pointage des heures sup'. Il y a tellement de contraintes qu'aucune entreprise n'est à l'abri d'un faux pas. Du coup, elles vivent sous l'épée de Damoclès d'un contrôle Urssaf. » Une situation qu'elles détestent au plus haut point.

L'essentiel

1 Au-delà de la bataille politique sur l'efficacité du dispositif des heures supplémentaires, les entreprises vivent cette réforme comme une contrainte plutôt que comme une opportunité.

2 Plusieurs raisons à leurs réticences : croissance peu soutenue, faible incitation financière, complexité des textes, et organisation actuelle du temps de travail qui a fait disparaître les heures sup'.

3 Selon une enquête du cabinet Fidal, 79 % des entreprises ne se sentent pas incitées à changer leurs pratiques.