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Celles qui y croient, celles qui n'y croient pas

Enquête | publié le : 22.04.2008 |

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Celles qui y croient, celles qui n'y croient pas

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A qui profite la loi Tepa ? Qui sont les gagnants et les perdants ? Secteur par secteur, les entreprises font leurs comptes. Avec plus ou moins de bonheur.

Les satisfaites

Faut-il y voir la solidité naturelle de l'ancien défenseur de l'équipe de France de football, rompu à repousser les attaques adverses ? La loi Tepa n'a pas ébranlé Leonard Specht, DRH de Lohr Industrie (1 600 salariés). « Dès le mois d'août, nous avons organisé des réunions de concertation avec le personnel. Nous n'avons perçu aucune opposition. Nous avons appliqué le texte dès le 1er octobre. Il a nécessité quelques allers-retours avec les experts-comptables pour bien comprendre le dispositif, notamment sur les heures supplémentaires effectuées avant la mise en application de la loi. Notre temps de travail étant annualisé, la période de référence est bien l'année. Nous avons bénéficié d'une bonne collaboration des pouvoirs publics ; les Urssaf ont su répondre efficacement. »

Bonus

Les heures supplémentaires ne constituent pas une nouveauté dans cette entreprise familiale de matériel de transport (dont les tramways sur pneus et les wagons de ferroutage «Modalohr») en plein essor : les quelque 1 250 salariés de la production en effectuent en moyenne 150 par an, s'ajoutant aux 1 607 heures légales. Selon le DRH, la loi Tepa ne devrait pas entraîner de révision à la hausse du nombre d'heures sup'. Mais elle devrait représenter un «bonus» de pouvoir d'achat de 800 euros par an et par salarié, en moyenne.

Plus de flexibilité

Même satisfaction pour Jean-Patrick Bailhache, DRH d'Areva T & D (800 salariés à Aix-les-Bains, 350 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2007). « Nous l'avons utilisée pour plus d'un millier d'heures. Non pas en raison des effets d'aubaine, la réduction de cotisations patronales n'est que de 50 centimes par heure, mais parce que nous en avions besoin. Cette mesure nous apporte plus de flexibilité. » Le site savoyard fonctionne sept jours sur sept. L'activité, le transport et la distribution d'électricité des sous-stations électriques de haute tension, est en pleine croissance. Elle n'est soumise à aucune saisonnalité. C'est pourquoi le temps de travail n'a pas été annualisé. Cette mesure profite davantage aux salariés de la production qu'aux ingénieurs et cadres qui sont, eux, au forfait. « Nous envisageons de monétiser leurs jours de RTT, reconnaît le DRH. On vient déjà de donner la possibilité aux salariés de racheter jusqu'à dix jours de leur compte épargne temps. » Pour 3MA, constitué de sept PME alsaciennes et franciliennes (fabrication et impression de cartes magnétiques et de routage de documents), la loi Tepa a été l'occasion d'harmoniser le temps de travail. En parallèle, le groupe a organisé un référendum sur les heures supplémentaires. A une écrasante majorité (90 %), les salariés se sont déclarés favorables au principe du «travailler plus pour gagner plus». « Recevoir du temps libre n'intéresse personne », conclut Laurent Schmerber, le directeur général de l'entreprise.

Les perplexes

Nathalie Malan-Manigne, DRH de Cari (BTP, 2 400 salariés), ne voit pas d'avantages particuliers liés à la loi Tepa. « Depuis octobre 2007, le gain moyen, par salarié, ne représente que 175 euros sur cinq mois, explique-t-elle. La réforme n'a pas révolutionné la vie des chantiers. Aujourd'hui, nous appliquons un accord de modulation du temps de travail. Les salariés travaillent 37 heures par semaine, dont 2 heures au titre de la modulation. De 37 à 41 heures, les heures supplémentaires sont portées sur un compteur de modulation, qui nous permet de lisser les variations d'activité. Ces heures sont prises en congés, pour moitié à l'initiative du salarié et pour moitié à celle de l'employeur. Si, lors d'une semaine, le salarié dépasse 41 heures, ses heures sup' lui sont payées à la fin du mois. Nous conseillons aux managers de ne pas en abuser. Pour une question de coût, mais surtout à cause des risques liés à la sécurité qui pèsent sur ceux dont les semaines «débordent». La plupart des heures sup' sont absorbées par le compteur - qui est monétisé en fin d'année. Les ouvriers autant que les cadres préfèrent avoir du temps libre. Les syndicats n'ont pas fait remonter de demandes d'heures sup'. Leur préoccupation a été d'un autre ordre : en CCE, ils m'ont demandé si la loi Tepa entraînerait la fin des 35 heures, donc la remise en cause de notre accord... »

Pizzorno Environnement (collecte, tri et traitement de déchets) craint également des effets pervers. Le groupe lyonnais emploie 5 000 salariés, dont 80 % d'ouvriers : il s'agit, notamment, des équipages roulants, constitués de chauffeurs et de rippeurs. Particularités ? Le temps de travail est très variable ; il dépend des aléas de la circulation. Les salariés, autonomes pendant leur tournée, peuvent également décider d'allonger leur temps de travail et donc « déclarer plus d'heures ».

Contingent insuffisant

Mais, pour Valérie Mirrione, la DRH, la loi n'a pas réglé le « vrai problème ». Le contingent d'heures supplémentaires, limité dans cette branche à 130 par an, est jugé « insuffisant ». L'entreprise redoute des contrôles plus stricts de l'inspection du travail. La DRH a aussi dû faire face au mécontentement des cadres qui, eux, n'ont pas la possibilité d'effectuer des heures sup'. En revanche, pour un salarié touchant le Smic (1 280 euros brut par mois), le gain annuel moyen lié à la loi Tepa est de 329 euros.

Les déçues

En pointe dans l'innovation RH, Hager France (matériel électrique, 3 500 salariés dans le Bas-Rhin) demeure assez critique vis-à-vis de la loi Tepa. Son DRH, Franck Houdebert, l'a trouvée « compliquée à mettre en oeuvre ». Il relève surtout les attentes déçues des salariés en raison du décalage entre l'annonce de la mesure et la réalité. « Les salariés pensaient toucher de l'argent chaque mois. Or, comme notre accord de RTT repose sur l'annualisation, cela ne peut être le cas. Ils ont donc été obligés d'attendre le décompte de fin d'année. Cela crée de l'impatience. »

Manque de réponses

Même déception chez Catherine Riffard, chargée des relations sociales chez Valrhona (chocolaterie, 500 salariés) : « Dans une entreprise comme la nôtre, à l'activité saisonnière, le nouveau dispositif est difficile à mettre en place. Principalement parce qu'il est incompatible avec le système de modulation horaire que nous avons instauré pour nos deux sites de production. Pour l'instant, nous fonctionnons comme par le passé. Nous avons pourtant voulu savoir comment transposer cette mesure, comprendre ce qu'elle pourrait nous apporter. Or, ni l'inspection du travail ni l'Urssaf n'ont été capables de nous répondre clairement depuis février 2008. Nous avons senti nos interlocuteurs frileux sur ce sujet, sinon mal informés. »

Philippe Bertholio, DRH d'Euromaster France (3 000 salariés répartis dans 350 centres de montage de pneumatiques), ne dit pas autre chose. Le slogan de la campagne présidentielle n'a pas été à la hauteur de ses attentes. « Les réductions de charges, de l'ordre de 50 centimes par heure, sont finalement faibles. Par ailleurs, il faudrait beaucoup d'heures supplémentaires pour que le revenu du salarié soit augmenté significativement. Or, nous sommes habitués à une gestion pointue, site par site, de l'organisation du temps de travail. Jusqu'ici, nous n'avons pas eu de pression syndicale pour développer les heures supplémentaires. Nous sommes, en revanche, plus demandeurs d'un allègement de charges, notamment sur les temps de pause. »

LAURENT POILLOT, CHRISTIAN ROBISCHON ET VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE