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Le management de la diversité nécessite des engagements à long terme

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 08.04.2008 |

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Le management de la diversité nécessite des engagements à long terme

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Le management de la diversité est très présent dans les discours des entreprises et des institutions. Mais l'utiliser comme un argument de marketing, sans réel projet managérial, risque de créer frustration et démotivation chez les salariés.

E & C : Dans un ouvrage* que vous avez coordonné, vous parlez de «la face cachée» du management de la diversité. Qu'entendez-vous par là ?

Isabelle Barth : Les discours les plus souvent tenus sur la diversité sont angéliques ou volontaristes. Il est important de s'interroger sur leur authenticité et leur adéquation à la réalité. Il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé et la pertinence du management de la diversité, dans son essence, mais de le saisir dans toute sa complexité et de mettre en relief les difficultés rencontrées.

Pour favoriser l'adhésion des responsables d'entreprise, les discours sur la diversité ont tendance à la simplifier. On est passé de «la lutte contre les discriminations», à connotation négative, à «l'égalité des chances», puis à «la gestion de la diversité», à connotation positive. Désormais, la différence est perçue comme une ressource, créatrice de valeur. Mais attention à ce que les discours ne soient pas des coquilles vides...

E & C : Comment les entreprises intègrent-elles la diversité dans leur stratégie ?

I. B. : De plus en plus, elles considèrent la diversité comme un levier dans leur stratégie de gestion des ressources humaines, qui favorise de meilleurs recrutements et une meilleure attractivité. La performance sociale devient un atout important. Il y a quelques années, la qualité avait joué ce rôle. Demain, cela pourra être le développement durable et l'éthique.

Le management de la diversité ne doit pas se limiter à des actions ponctuelles (recruter des personnes handicapées ou nommer une femme au comité de direction). Si on ne veut pas qu'il soit l'arbre qui cache le désert, il doit s'accompagner d'engagements à long terme et d'une conduite du changement en profondeur. C'est souvent difficile à réaliser, car il touche à des choses intimes qui dépassent le monde de l'entreprise.

Il s'agit, ici, d'un chantier immense, et les actions mises en oeuvre sont encore difficiles à évaluer. Les effets ne devraient être visibles que dans quelques années. Les entreprises ont du mal à définir des indicateurs fins et pertinents. Le simple comptage est trop réducteur.

La Halde signale, notamment, que si des progrès ont été réalisés lors des recrutements, les problèmes se sont déplacés après l'embauche, lors de l'intégration et des évolutions de carrière.

E & C : L'entreprise doit-elle porter seule cet enjeu ?

I. B. : Sous la double pression de l'opinion publique et des textes législatifs, les entreprises ont accepté de prendre des initiatives et de sortir de leurs frontières habituelles. Mais ont-elles vocation à tout faire ? Comme le rappellent avec pragmatisme les chartes éthiques américaines, la première responsabilité de l'entreprise est de faire du profit. D'où l'importance des relais institutionnels et politiques, qui peuvent travailler davantage dans la durée.

E & C : Les discours sur la diversité semblent rendre le pouvoir à la fonction RH au détriment d'autres discours - technique, financier. Cela se traduit-il dans la réalité de l'entreprise ?

I. B. : De même que la qualité a redonné du pouvoir à la production, la diversité accroît la responsabilité des directions RH. C'est une belle opportunité, à condition qu'elle soit traitée comme un vrai projet managérial.

Mais il ne faut pas être naïf non plus, il peut y avoir de l'opportunisme de la part de certains DRH. Derrière ces idées très généreuses, un business se met en place qui peut céder aux recettes faciles et aux slogans.

E & C : Quels sont les risques et les dérives les plus à craindre ?

I. B. : L'effet de nouveauté caractérisant le management de la diversité, il existe un risque que l'entreprise passe à une autre mode qui apparaîtrait plus urgente, ou plus rentable (comme l'écologie). Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le management de la diversité a été récupéré par le marketing. On voit apparaître de plus en plus de produits dits «communautaires». Si certains d'entre eux correspondent à de réelles différences (par exemple, dans la cosmétique), on peut se demander si d'autres ne cristallisent pas, voire inventent, les différences. La situation est potentiellement dangereuse. Pour l'entreprise, les risques de désintégration du collectif existent. On libère la parole, mais on risque également d'exacerber les différences. Il faut avancer, mais en faisant attention aux effets pervers. Il faudrait davantage de repères pour acheminer, consolider le pilotage. Trop souvent, les managers sont désarmés face à la diversité.

E & C : Quelle est la principale erreur à éviter ?

I. B. : Le discours par les bonnes pratiques a tendance à gommer les difficultés, au risque de créer des frustrations importantes et des réactions plus ou moins violentes. Si la réalité ne ressemble en rien à l'image proposée ou si les écarts entre les promesses et les comportements sont trop importants, cela peut créer démotivation ou frustration de la part des salariés.

Il faut dire la vérité, prendre en compte les résistances et ne pas occulter les investissements financiers et humains qu'exige le management de la diversité.

* Elle a coordonné, avec Christophe Falcoz, l'ouvrage Le management de la diversité. Enjeux, fondements et pratiques, L'Harmattan, 2007.

Parcours

• Isabelle Barth est professeure des universités en sciences de gestion à l'université de Metz et à l'IAE de Lyon, et professeure affiliée à l'Inseec Business School.

• Elle mène, à l'Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor), un programme de recherche sur la question de la diversité au sein des forces de vente ou des personnes au contact des clients.

Lectures

Mythes et réalités de l'entreprise responsable, Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée, La Découverte, 2004.

L'individu hypermoderne, sous la dir. de Nicole Aubert, Eres, 2004.

L'impossible éthique de l'entreprise, André Boyer, éditions d'Organisation, 2002.

La tête bien faite. Repenser la réforme, réformer la pensée, Edgar Morin, Seuil, 1999.

Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, Blaise Pascal. < www.gallica.bnf.fr>

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