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Les pratiques

Accords dérogatoires : pourquoi la révolution annoncée n'a pas eu lieu

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 01.04.2008 |

Une étude commandée par la Dares, pour évaluer la loi de mai 2004 sur le dialogue social, qu'Entreprise & Carrières s'est procurée, explique pourquoi les entreprises n'ont pas conclu d'accords dérogatoires... même lorsque les branches ne les en empêchaient pas.

Les représentants du patronat ont fait de la remise en cause de la hiérarchie des normes un de leurs trois «points durs» de la réforme de la représentativité des syndicats (lire Entreprise & Carrières n° 899). Ils estiment que le développement de la négociation collective passe par l'autonomisation des accords d'entreprise, ce qui suppose que ces derniers puissent déroger aux normes de niveau supérieur.

Un enjeu inexistant

Commandée par le ministère du Travail, une enquête à paraître, qui a commencé à circuler dans certaines confédérations, relativise fortement les attentes des entreprises en la matière. Ses auteurs, Jean-Yves Kerbourc'h, professeur de droit à l'université de Haute-Alsace, Olivier Mériaux, directeur de la stratégie du cabinet Amnyos, et une consultante de ce cabinet, Carine Seiler, ont évalué le volet relatif aux accords dérogatoires d'entreprise de la loi de mai 2004 sur le dialogue social. Conclusion sans appel : « Il est clairement apparu que la question de l'usage de la faculté de déroger était un enjeu inexistant pour nos interlocuteurs » (dirigeants d'entreprise ou responsables RH), écrivent les auteurs, qui cherchaient à comprendre « pourquoi la révolution annoncée n'a pas eu lieu ».

Domaines interdits de dérogation

Afin de renforcer la négociation d'entreprise, la loi de mai 2004 autorise un accord à comporter des dispositions moins favorables, pour les salariés, qu'un accord de niveau supérieur, sauf si ce dernier s'y oppose expressément. Depuis cette loi, un accord d'entreprise peut donc déroger à un accord de branche, sauf si la branche l'interdit. Quatre domaines sont toutefois légalement interdits de dérogation : les salaires minima, les classifications, la protection sociale complémentaire et la mutualisation des fonds de la formation professionnelle.

On sait, depuis une étude du ministère du Travail diffusée en début d'année (lire Entreprise & Carrières n° 888), que moins de 20 % des accords de branche négociés depuis mai 2004 ne comportent pas de clause impérative, et autorisent donc les entreprises à leur déroger. La même étude relevait que, dans ces branches non verrouillées, « très peu d'accords d'entreprise » sont dérogatoires : une soixantaine depuis 2004. Un chiffre aujourd'hui ramené à zéro.

Une loi perçue comme indéchiffrable

En interrogeant des responsables syndicaux et patronaux de cinq branches non verrouillées* et des responsables RH d'entreprises de ces mêmes branches, les auteurs ont donc cherché à identifier les raisons d'un tel écart entre le droit théorique et sa (non-) pratique : « En définitive, ce sont une vingtaine de raisons qui se conjuguent, en se contredisant parfois, qui expliquent que la faculté de déroger par accord d'entreprise [...] n'ait pas été utilisée. »

La loi de mai 2004 est, ainsi, perçue comme « indéchiffrable », « y compris pour des responsables des affaires sociales » ; et cette « opacité » « croît à mesure que sont concernées les PME ». « Dans ce contexte, les négociateurs des accords de branche sont attentifs à ce que ces accords puissent s'appliquer directement aux entreprises », qui, du coup, ne sont pas incitées à conclure des accords, a fortiori dérogatoires. D'autant que, « dans nombre de situations, les négociateurs d'entreprise sont dans l'incapacité d'estimer si la dérogation est favorable ou défavorable et préfèrent s'abstenir », et que les chefs d'entreprise restent « extrêmement prudents » face aux possibilités d'une loi qu'ils ressentent comme peu sécurisée juridiquement. En fait, « la loi de mai 2004 se serait trompée de cible », les PME, qui se trouvent souvent dépourvues de délégué syndical, étant davantage intéressées à conclure des accords «traditionnels» avec des élus du personnel. Quant aux grandes entreprises, les accords de leur branche prenant suffisamment en compte leurs besoins, et la concurrence s'exerçant au niveau international, les accords dérogatoires leur sont inutiles.

Intérêts objectifs

D'une manière générale, syndicats et organisations patronales ont des « intérêts objectifs » à conserver une régulation de branche, fruit d'« ententes cordiales » anciennes, outil de lissage du statut des salariés et de la concurrence entre employeurs, et outil de contrôle des négociateurs d'entreprise par les confédérations.

Pour les auteurs, « nous serions moins dans une situation de décalage - amenée à se résorber lentement - entre le cadre juridique et la culture de négociation, que dans une situation d'inadéquation plus profonde entre la règle d'exclusivité de l'accord d'entreprise, les conditions concrètes de son utilisation et les buts recherchés par les acteurs » de la négociation de branche et d'entreprise.

*Assainissement et maintenance industrielle, industries textiles, sport, services automobiles, commerce de détail et de gros.

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