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Choisir ses immigrés : une fausse bonne idée

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 01.04.2008 |

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Choisir ses immigrés : une fausse bonne idée

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Les pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs sont surtout liées aux conditions de travail difficiles et aux salaires peu attractifs. Le recours à l'immigration «choisie» pour pourvoir ces emplois risque de les dégrader davantage. Et pour les travailleurs étrangers plus qualifiés, la France ne présente pas d'atouts particuliers.

E & C : Quels sont les enjeux économiques de l'immigration «choisie» ?

Antoine Math : L'idée de départ est simple : la France a besoin de bras, et les entreprises, dans certains secteurs, ne parviendraient pas à recruter sur le territoire national. D'où l'idée de recourir à une immigration «choisie» en fonction des besoins de travail afin de pallier ce déficit, comme cela se fait dans d'autres pays. Ce discours, apparemment logique, permet de faire passer un message d'ouverture aux «bons» étrangers, tout en légitimant des mesures particulièrement dures pour ce qui concerne l'immigration qualifiée de «subie» - conjoints de Français, familles, réfugiés.

La comparaison internationale et l'histoire le montrent : immigration de travail et immigration familiale ne peuvent être opposées. D'une part, l'immigration de travailleurs se transforme, le temps aidant, en une immigration de peuplement, d'autre part, l'immigration dite «subie» est formée de migrants qui, pour beaucoup, travaillent. Le terme «subie», qui laisse entendre que ces migrants constituent un fardeau, est stigmatisant et erroné. Outre l'aspect éthique et le fait qu'une politique de «tri» a toujours historiquement été contournée, l'immigration «choisie» pose au moins deux problèmes. En amont, celui du recrutement. En aval, celui du statut juridique du travailleur migrant et, par voie de conséquence, des risques pour les normes sociales. Le passage d'une immigration «subie» à une immigration «choisie» ne représente pas forcément une sélection différente des migrants, mais c'est la transformation d'une immigration de droit, selon des critères objectifs, en une immigration soumise à l'arbitraire de décisions administratives ou politiques.

E & C : Pouvez-vous développer ces deux aspects ?

A. M. : Dans les années 1960, de grandes entreprises avaient besoin de salariés non qualifiés en nombre, de préférence analphabètes, pour travailler à la chaîne dans le secteur industriel. On pouvait les recruter assez indistinctement. Aujourd'hui, les employeurs ne recherchent plus une main-d'oeuvre interchangeable. Or, l'immigration «choisie» signifie un recrutement à distance. Quel employeur va accepter d'embaucher une personne qu'il n'a jamais rencontrée, sélectionnée par des fonctionnaires dans le pays de départ ? Par ailleurs, recruter à l'international est un parcours administratif long, complexe et onéreux, qui peut toujours se solder par un échec et qui ne saurait répondre aux besoins des PME. Une entreprise du bâtiment, par exemple, a besoin d'une personne dans quelques jours ou quelques semaines pour son chantier, pas dans six mois. Du point de vue du statut juridique, les migrants, aujourd'hui, disposent de titres de séjour qui les placent dans les mêmes conditions de droit que les autres salariés. Ils sont libres de changer d'employeur, conservent leur droit au séjour en cas de licenciement et ont accès aux allocations chômage. A l'inverse, les migrants de l'immigration «choisie» vont disposer de titres «salarié» ou «travailleur temporaire», qui les placent en position très inégale dans leur relation à l'employeur. Dans le cas de la carte «travailleur temporaire», la perte d'emploi implique la perte du séjour, sans bénéfice de l'assurance chômage à laquelle le travailleur a cotisé. D'où une vulnérabilité et une docilité accrues. Privilégier ce type de statut risque de créer des salariés de seconde zone, particulièrement exploitables, ce qui, par concurrence, pèsera sur les conditions de travail et de salaires dans les secteurs qui seront concernés.

E & C : Mais cela pourrait-il être une réponse d'un point de vue économique ?

A. M. : Les pénuries de main-d'oeuvre ont bon dos. Dans certains secteurs, les emplois qui ne trouvent pas preneurs ne sont pas tant des postes qui pourraient être pourvus si l'entreprise trouvait les bonnes compétences que des emplois dont les conditions de travail et de salaire sont particulièrement peu avantageuses. Le problème n'est pas tant de trouver des maçons que de les payer correctement, dans un secteur qui pratique la sous-traitance en cascade. Pas tant de trouver des serveurs dans les restaurants que de leur fournir des conditions de travail qui n'impliquent pas des horaires incompatibles avec toute vie familiale. Ces secteurs d'activité doivent rendre leurs métiers plus attractifs.

Pour une bonne part, la pénurie est donc largement créée, et il y a tout à parier qu'elle persistera si les problèmes de fond ne sont pas résolus. Je doute que l'immigration soit la solution. Il ne faut, d'ailleurs, pas oublier, concernant les personnes les plus qualifiées, que les conditions faites par la France restent peu favorables par rapport à celles d'autres pays. Si l'on n'en est pas encore à une pratique planifiée d'utilisation cynique des compétences formées et payées par les pays du tiers-monde, en aucun cas l'immigration ne saurait dispenser d'améliorer l'attractivité du travail et la formation, sauf à créer une situation de dépendance dangereuse et aléatoire.

Parcours

• Antoine Math est économiste, chercheur à l'Ires et enseignant à l'université de Besançon.

• Il intervient également dans le cadre de l'Institut des sciences sociales et du travail, chargé de la formation des syndicalistes. Il a précédemment travaillé à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et à la Commission européenne.

Lectures

Le temps des immigrés, essai sur le destin de la population française, François Héran, La République des idées, Seuil, 2007.

La République et sa diversité. Immigration, intégration, discrimination, Patrick Weil, La République des idées, Seuil, 2005.