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Enquête

La bombe à retardement de la fin des préretraites

Enquête | publié le : 11.03.2008 |

Avec la fin des préretraites, l'usure professionnelle devient un problème aigu pour de nombreux salariés âgés. Les entreprises ne pourront pas se contenter de licenciements pour inaptitude ou pour motif personnel. Elles doivent anticiper pour créer des parcours et des conditions de travail supportables pour les futurs seniors.

Rien moins que 160 inaptes : sur l'immense site logistique de la Martinoire à Watrellos (59), qui traite la plus grande partie des colis de La Redoute, les syndicats constatent les effets de la pénibilité accumulée au fil des ans par certains des 2 000 salariés. « Pendant quinze ans, des gens ont été laissés sur les mêmes postes de manutention : aujourd'hui, ils récoltent des TMS handicapants », dénonce Serge Bouzin, délégué FO. Et ce, même si l'enseigne de VPC a multiplié les actions d'amélioration de l'ergonomie depuis quelques années, s'enorgueillit d'un taux de reclassement atteignant désormais 68 % pour ces salariés fragilisés, et vient de signer un accord de GPEC avec des volets d'«amélioration de la santé au travail «et de «mesures en faveur des seniors «(lire p.22).

Héritage problématique

Cette situation, à La Redoute comme ailleurs, est d'abord un héritage devenu problématique. En 2003-2004, les programmes de départs anticipés financés par l'Etat battaient leur plein sur le site, avant de se tarir totalement. Les salariés âgés et usés pouvaient ainsi, jusqu'au début des années 2000, trouver une solution dans les ASFNE, Cats, Casa et autres préretraites. Mais le resserrement des dispositifs publics et les taxations successives des préretraites maison ne permettent plus cette échappatoire. Et les conditions de travail des seniors deviennent un peu partout un problème à gérer dans l'urgence. D'autant plus que la population active va continuer de vieillir, le papy-boom se prolongeant jusqu'en 2020, et que la durée minimale de cotisation à la retraite va continuer d'augmenter, passant très probablement à 41 ans dès ce printemps.

Les arrêts maladie sont devenus une première soupape de sécurité. La Drees a ainsi constaté une forte augmentation des indemnités journalières versées en 2002 et 2003. Les salariés seniors ne s'arrêtent pas plus souvent que les autres, mais ils concentrent les arrêts de longue durée (plus de trois mois). En 2003, les indemnisations versées aux salariés de 55 à 59 ans ont explosé (+16 % par rapport à 2002). Après 2003, la tendance décroît avec le resserrement du contrôle de l'assurance maladie et le flot des départs avant 60 ans pour carrière longue, permis par la réforme des retraites de 2003 : plus de 600 000 salariés âgés en auront profité à la fin de 2008.

Hormis les pratiques licenciements pour motif personnel, en très forte augmentation, ce sont aussi les inaptitudes, constatées par le médecin du travail, qui ont décollé.

Inaptitude totale

Une enquête de la médecine du travail d'Alsace, en 2005, indique que les déclarations d'inaptitude totale (à tout poste) concernent les salariés âgés de 50 à 59 ans dans plus de la moitié des cas. Une étude comparable, de 2004, pointait un pourcentage à peine plus faible en Pays de Loire.

Au tournant des années 2000, la proportion des salariés faisant l'objet d'une inaptitude partielle ou totale atteint, chaque année, 7 % de la population active, contre 4 % auparavant. En 2003, près d'un million de salariés étaient inaptes, dont 75 000 à tout poste de travail.

Outre les troubles musculo-squelettiques (lombalgies, tendinites...), qui continuent de représenter les trois quarts des motifs invoqués, les affections psychologiques (dépression, conséquences du stress) arrivent désormais au second rang.

Dilemme médical

« Aujourd'hui, il y a souvent convergence d'intérêt entre l'employeur et le salarié pour obtenir du médecin du travail qu'il signe l'inaptitude, constate Pierre Guinel, médecin à l'ACMS, service de santé au travail d'Ile-de-France. Mais il faut faire attention aux arrangements de court terme. Ces décisions ont des conséquences en termes de perte de revenu, de difficultés sociales, de désinsertion. » Ce professionnel de la santé au travail résume le dilemme des médecins face à des salariés usés à moins de 57 ans. Car la majorité des déclarations d'inaptitude, en particulier dans les PME, se traduisent par un licenciement, après constatation de l'impossibilité de reclasser le salarié, ou refus du reclassement par ce dernier. Or, depuis l'accord sur l'assurance chômage de fin 2002, la durée d'indemnisation n'atteint plus que 36 mois, contre 60 auparavant pour les 50 ans et plus. Si la pathologie ne relève pas de l'invalidité (appréciée, elle, par le médecin de la Sécurité sociale), ce délai est trop court désormais pour parvenir à la retraite sans passer par le RMI.

S'il est possible de se « débrouiller avec l'inaptitude en toute fin de carrière », comme le dit un médecin du travail, le gros problème concerne le maintien dans l'emploi des quinquagénaires. Par exemple, dans le BTP, secteur réputé «cassant». Chez Vinci Construction, on veut s'inscrire dans la prévention avec des ergonomes, mais aussi gérer l'existant, c'est-à-dire les personnes qui ont déjà connu longtemps des situations de forte pénibilité. « Pour gérer des inaptitudes partielles, nous examinons, par exemple, un certain nombre de postes qui, aujourd'hui, sont sous-traités ou réservés à l'intérim, explique Emmanuel Musche, responsable de la prévention pour Vinci Construction France. Nous réservons ainsi une cinquantaine de fonctions d'«hommes trafic», un métier que nous avons ciblé avec les ergonomes, et qui consiste à superviser les flux d'entrée et de sortie d'un chantier. » Mais il reste difficile, dans ce secteur, de reclasser des salariés usés, parfois peu alphabétisés. « Autrefois, ils étaient coursiers ou «mousses «sur les chantiers, des postes jugés très dévalorisants. »

Externalisation

Dans la plupart des secteurs, les possibilités de reclassement interne se sont réduites sous l'effet des processus d'externalisation et il y a désormais peu de postes «doux» dans les entreprises des secteurs concernés par la pénibilité. En Rhône-Alpes, Vinci vient de créer une association dont l'un des objectifs sera de recruter des salariés inaptes de l'enseigne de BTP sur la région. Dans la même logique, le sidérurgiste Arcelor avait créé Hommes & Emplois dès 1999, au moment où il cédait sa filiale lorraine Unimétal à son concurrent Mittal Steel. Hommes & Emploi visait à redonner un travail à près de 200 salariés de plus de 50 ans, trop jeunes pour entrer dans les dispositifs de préretraite mais âgés et usés (trente ans de carrière, 60 % de restrictions médicales sur poste) et, donc, identifiés comme en sureffectifs.

Préservation de la santé

Pour être capables de gérer préventivement l'usure professionnelle, les entreprises devront mettre en place les conditions d'un travail soutenable pour les quinquas. « C'est la question de la gestion du parcours professionnel, indique Tanguy Bothuan, consultant expert sur les questions de santé et de GPEC. Un certain nombre d'accords ont été signés sur la GPEC, d'autres sur la santé... Mais il faut faire entrer la préservation de la santé au travail dans la GPEC. » La Redoute a choisi cette voie. Eau de Paris veille à la valorisation des salariés âgés et à leur égalité de traitement dans les process RH et l'organisation de l'entreprise, en déclinant un avenant générationnel à son accord diversité (lire p.25). Le collecteur des fonds de la formation des industries des papiers et cartons (Formapap), avec son programme Generice, propose aux entreprises de la branche une sensibilisation dans tous ces domaines.

Enjeux

« Les conditions de travail physiquement pénibles sont repérables, appuie Mounia Chbani, responsable de MCC Mobilité. L'évolution des métiers et les éventuelles difficultés à s'adapter, l'absence de reconnaissance des seniors, sont des situations bien réelles, mais plus complexes à percevoir. » Répondre à cette difficulté est l'enjeu des années papy-boom. Et il est de taille, alors que le taux d'emploi des seniors continue de plafonner à 38 % en France.

L'essentiel

1 Jusqu'au début des années 2000, les salariés âgés et usés pouvaient trouver une porte de sortie dans les ASFNE, Cats, Casa et autres préretraites.

2 Aujourd'hui, ces échappatoires n'existent plus et les conditions de travail des seniors deviennent un problème à traiter dans l'urgence.

3 Nombre d'entreprises vont devoir gérer préventivement l'usure professionnelle.