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Enjeux

Jérôme Kerviel peut-il prétendre à son bonus 2007 ?

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 04.03.2008 |

Réflexions sur le caractère réellement discrétionnaire des primes de fin d'année.

Loin de n'inspirer que les blogueurs ou les journalistes, les mésaventures d'un jeune trader et d'une grande banque d'affaires française peuvent aussi se révéler source de réflexion pour les praticiens de droit social. En effet, par nature peu enclins à arpenter les couloirs du pôle financier, ces derniers auront plus facilement tendance à examiner cette affaire au travers du prisme de l'actualité de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Quel sera alors le résultat de leurs pérégrinations jurisprudentielles ? Pourquoi pas une interrogation légitime quant à l'avenir d'une pratique très ancrée dans le monde des banques d'affaires : la prime de fin d'année, laquelle est systématiquement, mais peut-être un peu hâtivement, qualifiée de «bonus discrétionnaire». Ils noteront, ainsi, que la Cour de cassation ne consent en définitive à reconnaître un caractère discrétionnaire aux primes qu'à la condition que celles-ci soient en réalité exceptionnelles et ponctuelles. La prime discrétionnaire répondrait plutôt en cela à la définition de la libéralité ou de la gratification bénévole. A défaut d'être reconnue comme étant véritablement discrétionnaire, la prime est susceptible de constituer un droit acquis pour le salarié, source d'obligation qui liera l'employeur pour l'avenir.

Or, comment une prime de fin d'année, même qualifiée de «bonus discrétionnaire», pourrait-elle répondre à la définition de la gratification bénévole, dès lors qu'elle est versée systématiquement et que le salarié, de surcroît, connaît par avance et d'expérience les conditions pour l'obtenir, ainsi que son montant probable ?

La Cour de cassation va encore plus loin en ayant recours en la matière au principe «à travail égal salaire égal». C'est en effet en son nom qu'à deux reprises, l'année dernière, elle a censuré des cours d'appel pour avoir jugé qu'une prime avait un caractère discrétionnaire et qu'à bon droit, l'employeur en avait privé le salarié, rappelant par un attendu identique que : « si l'employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l'avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l'octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables. »

A ce stade, il devient difficile de percevoir comment un employeur pourra consentir un bonus de fin d'année qui soit susceptible tout à la fois de répondre aux critères jurisprudentiels du caractère «discrétionnaire» et du principe «à salaire égal travail égal». Certains auteurs y voient ici la chronique de la mort annoncée du «bonus discrétionnaire». La sanction sera à l'appréciation du juge : à défaut de pouvoir être qualifié de discrétionnaire, un bonus sera dû. Il sera calculé, notamment, par référence aux précédents bonus de fin d'année.

Une lueur particulière illuminera alors les yeux de nos praticiens de droit social : Jérôme Kerviel ne pourrait-il donc pas légitimement exiger le paiement d'un bonus 2007 ?

Cette interrogation renvoie, en définitive, à l'insécurité juridique qui préside à l'étendue des obligations contractuelles de l'employeur quant à la part variable de la rémunération. Sur ce point, il faut espérer que la «réflexion» que les partenaires sociaux sont convenus d'ouvrir, aux termes de l'accord de «modernisation du marché du travail» du 11 janvier 2008, pour déterminer notamment « les éléments qui doivent toujours être considérés comme contractuels », permettra d'y voir plus clair.

Kim Campion, cabinet Latournerie-Wolfrom, membre d'AVOSIAL, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social