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Le ski français pris au piège de la mondialisation

Les pratiques | publié le : 26.02.2008 |

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Le ski français pris au piège de la mondialisation

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Rossignol est à vendre, Salomon subit une réorganisation au profit de son concurrent Atomic. L'industrie française du ski, qui avait assuré sa croissance par l'externalisation de sa production en Europe, n'a plus son destin en mains.

L'année 2008 démarre sous de mauvais auspices pour les entreprises françaises de matériels de sports d'hiver. Le 7 février, les syndicats de Rossignol, Dynastar et Look Fixations (groupe Quiksilver) ont publiquement manifesté, à Nevers, leurs craintes sur la pérennité des emplois. La perspective d'une vente de Rossignol et de Dynastar n'est toujours pas clarifiée, tandis que Look voit partir ses lignes de montage de fixations en Pologne. Déclarant agir pour la première fois de manière concertée, l'intersyndicale (CFDT-CGT-FO) a déclenché une procédure de droit d'alerte devant chacun des comités d'entreprise.

Près d'une semaine plus tôt, le 31 janvier, l'autre fleuron du ski français, Salomon (groupe Amer Sports), a vu son nouveau plan social annulé par le TGI d'Annecy. Motif : délit d'entrave au CE, avec absence de consultation annuelle obligatoire sur la GPEC. Cette décision du juge, prononcée en référé à la demande de la CFDT, intervient alors que le site de Rumilly (540 emplois, en Haute-Savoie) doit être prochainement fermé. La direction a presque aussitôt proposé un accord de méthode. En trois ans, Salomon a vu la destruction de plus d'un millier d'emplois, CDD et intérimaires compris.

Salomon, gestionnaire de réseaux

Le coup est d'autant plus rude que ces entreprises ont longtemps parié sur leur modèle d'externalisation et de délocalisation pour résister à la concurrence mondiale. Pierre Jarniat, directeur des achats de Salomon, commente : « Nous avons toujours été des gestionnaires de réseaux. C'était un choix de Georges Salomon, qui voulait s'appuyer sur un réseau de sous-traitants régionaux, pour ne conserver que la création de l'offre et la maîtrise du process. Il y voyait le meilleur moyen d'accompagner la croissance de l'entreprise, tout en restant indépendant des banques et des investisseurs. Nous ne faisions l'acquisition de machines ou de bâtiments que lorsque nous n'avions pas pu trouver la compétence technologique requise en externe. »

Invention des procédés de production

L'usine de Rumilly avait été justement créée à cet effet, pour lancer le ski monocoque dans les années 1990. Cette usine inventait les procédés de production sur ses machines. La fabrication était confiée en Roumanie, où Salomon avait organisé sa sous-traitance technologique, à l'abri de la concurrence. Tout en accompagnant, sur place, ses PME de prestataires rhônalpines. Seuls les produits issus de technologies «banalisées», comme les sacs de sport, étaient produits en Asie. « Il y a quinze ans, résume Pierre Jarniat, 50 % de la production étaient réalisés hors de nos usines. Aujourd'hui, cette part atteint 96 % et nous détenons un tiers des parts sur le marché mondial des chaussures de ski. »

Amer Sports réorganise

Stratégie efficace jusqu'à ce que Salomon, racheté, devienne une filiale parmi d'autres. Amer Sports a réorganisé ses activités en business units thématiques (sports d'hiver, outdoor...), qui regroupent toutes les marques de la holding. Salomon se retrouve, ainsi, avec pour partenaire son concurrent direct Atomic, le fabricant autrichien. C'est ce genre d'attelage qui inquiète le plus les cadres de Salomon. « Amer accélère le processus de répartition industrielle, sans nous laisser les moyens de trouver nous-mêmes les ressources de notre redressement, commente l'un d'eux. Il a donné les clés de Salomon à Atomic, qui est plus mal en point que nous. » « Il se passe, en coulisses, des choses désagréables, ajoute un autre cadre. Dans l'organigramme, Atomic est présent partout. Y compris sur la spécialité des fixations, sur laquelle ils n'ont pas de légitimité. »

Bernard Couderc, le délégué central CFDT, s'inquiète pour l'avenir : « Notre modèle de développement n'est plus considéré comme le bon par Amer. Il nous est, désormais, interdit de conserver le pilotage de notre activité. Le problème, c'est que la direction d'Amer Sports n'a pas de vision stratégique industrielle à long terme. »

La stratégie Quiksilver et le groupe Rossignol

Dans le groupe Rossignol, installé à Voiron (38), à quelques vallées alpines de Salomon, les craintes sont comparables. Alain Clergeau, délégué CGT de Dynastar, retient que « la stratégie de Quiksilver est, avant tout, de décliner une marque en plusieurs gammes de produits, pour la propulser à l'étranger à grand renfort de publicité. Quand le package est bien fait, c'est revendu - après avoir «pompé» le savoir-faire, pour l'exploiter hors d'Europe. Le ski aurait pu être le complément de ses activités de glisse d'été, mais, pour ce groupe surtout intéressé par les vêtements, il n'est qu'un vecteur de communication. Heureusement, jusqu'ici, Quiksilver n'est pas parvenu à transférer nos technologies à l'étranger ».

Accès à d'autres marchés

Chez Salomon, l'annonce de la fermeture de Rumilly s'est accompagnée de celle concernant le site roumain, où l'entreprise avait installé ses sous-traitants français. « Ces entreprises ne seront pas impactées, notre Pierre Jarniat. Au contraire, elles ont trouvé sur place le moyen d'accéder à des marchés plus importants et de devenir plus compétitives. » Preuve que la stratégie de sous-traitance de Salomon était pertinente. Maigre consolation pour des salariés qui redoutent, plus que jamais, la sortie de piste.

Le dossier social s'alourdit

Le groupe Rossignol, qui n'est plus que provisoirement détenu par l'américain Quiksilver, connaît son cinquième plan social en dix ans. En juillet dernier, la direction avait fermé le site Rossignol de Saint-Etienne-de-Crossey (Isère) : sur 230 personnes concernées, 120 ont été replacées sur des sites de logistique proches, ne permettant qu'à 66 d'entre elles d'en rester salariés. Sa filiale Dynastar n'a toujours pas achevé son plan de suppression de 80 emplois. A Sallanches (Haute-Savoie), une cinquantaine de personnes ont accepté une solution de préretraite. Ce site, qui fabrique, en plus des skis de sa marque, ceux de Rossignol et de Roxy, ne compte plus que 290 salariés (contre 650 il y a dix ans)..., dont 115 en production.

La situation est tout aussi précaire chez Salomon, où les dirigeants se succèdent quasiment chaque semestre. L'entreprise familiale, fondée en 1947, propriété d'Amer Sports depuis décembre 2005, a déjà connu 310 départs en dix-huit mois, sur ses sites de Metz-Tessy et de Rumilly (Haute-Savoie), débouchant, dans 60 % des cas, sur une solution de reconversion ou de sortie en préretraite.

Action en justice

Alors que ce plan n'est toujours pas abouti, la nouvelle annonce d'une restructuration (284 postes menacés) et de la fermeture de l'usine de Rumilly (540 emplois en CDI) a déclenché l'action en justice des syndicats. Marc Couderc, le délégué central CFDT, se montre fataliste : « Tout le monde ici pense que les plans sociaux relèvent de décisions précipitées. A nous d'en faire la démonstration. Mais quitte à voir partir les gens, nous voulons pour eux que ce soit dans les meilleures conditions. » L. P.

L'essentiel

1 Quiksilver veut vendre Rossignol. La fabrication des fixations Look, qui appartiennent au groupe français, part en Pologne, tandis que Dynastar boucle un plan social, le 5e dans le groupe.

2 Salomon va fermer son usine historique de Rumilly (74), alors que le propriétaire du goupe, le finlandais Amer Sports, réorganise la production de skis au profit de sa marque autrichienne Atomic.

3 Les grands du ski français, qui ont pris le virage de la mondialisation en gardant le savoir-faire technique et la recherche, sont désormais victimes de la stratégie de leurs nouveaux propriétaires.