En donnant - à compétences égales - la priorité aux femmes dans les recrutements et les promotions, Eau de Paris a très significativement féminisé ses effectifs, surtout son encadrement. Toutefois, cette pratique a suscité des réactions négatives.
En 2004, les effectifs d'Eau de Paris, la société d'économie mixte qui alimente Paris en eau, comportaient 25 % de femmes. Fin 2007, elles sont 28 %. Sur la même période, la proportion de femmes parmi les techniciens-agents de maîtrise (Tam) est passée de 29 % à 31 % et, surtout, celle de femmes cadres a bondi de 28 % à 36 %.
Cette indéniable féminisation des effectifs, et plus particulièrement de l'encadrement, est à mettre sur le compte d'une politique volontariste de l'entreprise, entamée il y a quatre ans, et qui s'appuie sur trois piliers : la prévention des discriminations, des objectifs chiffrés (notamment 30 % de femmes recrutées ces trois prochaines années), et la pratique de l'«action positive».
Les deux premiers points sont formalisés dans des accords sur l'égalité femmes-hommes et sur la diversité, signés fin 2004 et fin 2007 (lire encadré), le troisième n'y apparaît pas. Pascal Bernard, le DRH, en explique le fonctionnement : « A compétences égales, nous choisissons une femme. » La lutte contre les discriminations et l'égalité des chances prévalent tout au long des processus, mais, in fine, les femmes sont prioritaires pour les embauches et les promotions.
« C'est notre moyen pour atteindre des objectifs chiffrés, sans lesquels les décalages vont persister », soutient-il. Mais, rien à voir, selon lui, avec la discrimination positive, qui consiste à « vouloir recruter une femme » sans se préoccuper de ses compétences.
Appliquées au recrutement, les actions positives donnent des résultats spectaculaires. La proportion de femmes embauchées annuellement, qui oscille « entre 25 % et 32 % en vitesse de croisière », a bondi à... 42 % en 2006 et à 45 % en 2007. Et ce, alors même que les filières de formation sont fortement masculinisées.
Ces deux années resteront cependant exceptionnelles, car elles correspondent à un dispositif quinquennal d'aide au départ volontaire des salariés, précisément ouvert en 2007, et qui a entraîné de nombreuses démissions. Dans les années à venir, la part des femmes dans les recrutements devrait donc redescendre aux alentours de 30 %, ce qui correspond à l'objectif fixé pour les trois années à venir.
Il n'en reste pas moins que cette féminisation des recrutements - elle-même rendue possible par un doublement des candidatures féminines après l'obtention du Label égalité en 2005 et la diversification du sourcing - a permis, en l'espace de trois ans, d'augmenter de trois points la part des femmes dans les effectifs de l'entreprise (de 25 % à 28 %). « Si nous avions pratiqué la discrimination positive, il y aurait aujourd'hui 35 % de femmes dans l'entreprise », souligne Pascal Bernard.
Autant la priorité donnée aux femmes à l'embauche n'a pas suscité de résistances, autant l'application de ce principe aux promotions internes est source de tensions. Si la part des femmes parmi les cadres a progressé de 8 points (28 % à 36 %) en trois ans, ce n'est pas uniquement grâce à la féminisation des recrutements mais aussi à celle des promotions internes. C'est là que les choses deviennent socialement plus compliquées. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 17 % des femmes ont bénéficié d'une promotion en 2006, contre... 7,4 % des hommes. Pour cette raison, le salaire moyen de ces derniers a progressé de 4,2 % entre 2004 et 2006, tandis que celui des femmes augmentait de 9,9 %.
Signataire du dernier accord sur l'égalité professionnelle, « mais avec une réserve sur le dispositif de promotion », Patrice Brunet, de la CGT, témoigne des effets pervers de cette pratique : « Certaines femmes proposées à la promotion n'ont pas le niveau, c'est la première conséquence des objectifs chiffrés. » En outre, depuis que la direction pratique l'action positive, il a vu émerger des suspicions d'injustices. Il témoigne qu'une femme est venue trouver son syndicat pour se plaindre qu'après avoir obtenu une promotion, « on la regardait de travers », et qu'« on l'attendait au tournant ». « C'est l'effet pervers des quotas : ils font souffrir ceux qui en bénéficient », constate-t-il. « Un ingénieur a saisi la commission éthique après qu'une femme a obtenu le poste qu'il convoitait. Evidemment, il n'argue pas officiellement qu'elle a obtenu cette promotion parce qu'elle est une femme, mais je suis persuadé qu'il pense qu'elle ne serait pas là sans la discrimination positive », raconte-t-il encore. Certes, « ces témoignages sont isolés, mais tout le monde a entendu au moins une fois autour de lui : «celle-là, elle est là parce que c'est une femme» », déclare le syndicaliste.
Pascal Bernard ne nie pas ces tensions : « Notre baromètre annuel a fait remonter quelques réflexions de salariés allant dans ce sens, mais ces remarques restent mineures. » Il maintiendra donc sa politique d'actions positives, tout en « intensifiant la communication autour ».
• Activité : production et distribution de l'eau.
• Effectifs : 560 salariés.
L'égalité professionnelle et la diversité sont, chez Eau de Paris, encadrées par deux accords conclus en décembre 2004 et en décembre 2007. L'un et l'autre comportent des dispositions destinées à lutter contre les discriminations, ainsi que des objectifs chiffrés, qui sont beaucoup plus précis dans le second.
Ainsi, l'accord de 2004 prévoit que, à compétences égales, « le pourcentage d'embauches féminines soit au moins égal au pourcentage de candidatures féminines », et que « la part des femmes dans les recrutements 2005 soit au moins égale » à leur part dans les effectifs en 2004, soit 25 %. L'accord de 2007 monte la barre de cinq crans en s'engageant « à ce que la part des femmes dans les recrutements soit au moins égale à 30 % en moyenne sur les années 2008-2009-2010 ».
Le texte de 2007 fixe également des objectifs chiffrés et/ou de proportionnalité aux promotions, aux augmentations de salaires, à l'accès à la formation et à l'embauche en stage, en contrat de professionnalisation et en apprentissage. Appliqué à l'évolution professionnelle, cela donne : « Eau de Paris s'engage à ce que la part des femmes dans les promotions, tant en nombre qu'en masse salariale, soit au moins équivalente à leur part dans les catégories concernées, pour les années » 2008 à 2010. Une fois posé le principe de proportionnalité, vient l'objectif chiffré : « Eau de Paris s'engage à maintenir au minimum [36 % de femmes cadres et 30 % de Tam] pour les années 2008-2009 et 2010. »