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L'action positive coule (presque) de source

Enquête | publié le : 26.02.2008 |

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L'action positive coule (presque) de source

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En donnant - à compétences égales - la priorité aux femmes dans les recrutements et les promotions, Eau de Paris a très significativement féminisé ses effectifs, surtout son encadrement. Toutefois, cette pratique a suscité des réactions négatives.

En 2004, les effectifs d'Eau de Paris, la société d'économie mixte qui alimente Paris en eau, comportaient 25 % de femmes. Fin 2007, elles sont 28 %. Sur la même période, la proportion de femmes parmi les techniciens-agents de maîtrise (Tam) est passée de 29 % à 31 % et, surtout, celle de femmes cadres a bondi de 28 % à 36 %.

Cette indéniable féminisation des effectifs, et plus particulièrement de l'encadrement, est à mettre sur le compte d'une politique volontariste de l'entreprise, entamée il y a quatre ans, et qui s'appuie sur trois piliers : la prévention des discriminations, des objectifs chiffrés (notamment 30 % de femmes recrutées ces trois prochaines années), et la pratique de l'«action positive».

Priorité à l'embauche

Les deux premiers points sont formalisés dans des accords sur l'égalité femmes-hommes et sur la diversité, signés fin 2004 et fin 2007 (lire encadré), le troisième n'y apparaît pas. Pascal Bernard, le DRH, en explique le fonctionnement : « A compétences égales, nous choisissons une femme. » La lutte contre les discriminations et l'égalité des chances prévalent tout au long des processus, mais, in fine, les femmes sont prioritaires pour les embauches et les promotions.

« C'est notre moyen pour atteindre des objectifs chiffrés, sans lesquels les décalages vont persister », soutient-il. Mais, rien à voir, selon lui, avec la discrimination positive, qui consiste à « vouloir recruter une femme » sans se préoccuper de ses compétences.

Appliquées au recrutement, les actions positives donnent des résultats spectaculaires. La proportion de femmes embauchées annuellement, qui oscille « entre 25 % et 32 % en vitesse de croisière », a bondi à... 42 % en 2006 et à 45 % en 2007. Et ce, alors même que les filières de formation sont fortement masculinisées.

Années exceptionnelles

Ces deux années resteront cependant exceptionnelles, car elles correspondent à un dispositif quinquennal d'aide au départ volontaire des salariés, précisément ouvert en 2007, et qui a entraîné de nombreuses démissions. Dans les années à venir, la part des femmes dans les recrutements devrait donc redescendre aux alentours de 30 %, ce qui correspond à l'objectif fixé pour les trois années à venir.

Il n'en reste pas moins que cette féminisation des recrutements - elle-même rendue possible par un doublement des candidatures féminines après l'obtention du Label égalité en 2005 et la diversification du sourcing - a permis, en l'espace de trois ans, d'augmenter de trois points la part des femmes dans les effectifs de l'entreprise (de 25 % à 28 %). « Si nous avions pratiqué la discrimination positive, il y aurait aujourd'hui 35 % de femmes dans l'entreprise », souligne Pascal Bernard.

Les promotions internes source de tension

Autant la priorité donnée aux femmes à l'embauche n'a pas suscité de résistances, autant l'application de ce principe aux promotions internes est source de tensions. Si la part des femmes parmi les cadres a progressé de 8 points (28 % à 36 %) en trois ans, ce n'est pas uniquement grâce à la féminisation des recrutements mais aussi à celle des promotions internes. C'est là que les choses deviennent socialement plus compliquées. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 17 % des femmes ont bénéficié d'une promotion en 2006, contre... 7,4 % des hommes. Pour cette raison, le salaire moyen de ces derniers a progressé de 4,2 % entre 2004 et 2006, tandis que celui des femmes augmentait de 9,9 %.

Signataire du dernier accord sur l'égalité professionnelle, « mais avec une réserve sur le dispositif de promotion », Patrice Brunet, de la CGT, témoigne des effets pervers de cette pratique : « Certaines femmes proposées à la promotion n'ont pas le niveau, c'est la première conséquence des objectifs chiffrés. » En outre, depuis que la direction pratique l'action positive, il a vu émerger des suspicions d'injustices. Il témoigne qu'une femme est venue trouver son syndicat pour se plaindre qu'après avoir obtenu une promotion, « on la regardait de travers », et qu'« on l'attendait au tournant ». « C'est l'effet pervers des quotas : ils font souffrir ceux qui en bénéficient », constate-t-il. « Un ingénieur a saisi la commission éthique après qu'une femme a obtenu le poste qu'il convoitait. Evidemment, il n'argue pas officiellement qu'elle a obtenu cette promotion parce qu'elle est une femme, mais je suis persuadé qu'il pense qu'elle ne serait pas là sans la discrimination positive », raconte-t-il encore. Certes, « ces témoignages sont isolés, mais tout le monde a entendu au moins une fois autour de lui : «celle-là, elle est là parce que c'est une femme» », déclare le syndicaliste.

Pascal Bernard ne nie pas ces tensions : « Notre baromètre annuel a fait remonter quelques réflexions de salariés allant dans ce sens, mais ces remarques restent mineures. » Il maintiendra donc sa politique d'actions positives, tout en « intensifiant la communication autour ».

Eau de Paris

• Activité : production et distribution de l'eau.

• Effectifs : 560 salariés.

Les objectifs chiffrés se précisent d'un accord à l'autre

L'égalité professionnelle et la diversité sont, chez Eau de Paris, encadrées par deux accords conclus en décembre 2004 et en décembre 2007. L'un et l'autre comportent des dispositions destinées à lutter contre les discriminations, ainsi que des objectifs chiffrés, qui sont beaucoup plus précis dans le second.

Ainsi, l'accord de 2004 prévoit que, à compétences égales, « le pourcentage d'embauches féminines soit au moins égal au pourcentage de candidatures féminines », et que « la part des femmes dans les recrutements 2005 soit au moins égale » à leur part dans les effectifs en 2004, soit 25 %. L'accord de 2007 monte la barre de cinq crans en s'engageant « à ce que la part des femmes dans les recrutements soit au moins égale à 30 % en moyenne sur les années 2008-2009-2010 ».

Le texte de 2007 fixe également des objectifs chiffrés et/ou de proportionnalité aux promotions, aux augmentations de salaires, à l'accès à la formation et à l'embauche en stage, en contrat de professionnalisation et en apprentissage. Appliqué à l'évolution professionnelle, cela donne : « Eau de Paris s'engage à ce que la part des femmes dans les promotions, tant en nombre qu'en masse salariale, soit au moins équivalente à leur part dans les catégories concernées, pour les années » 2008 à 2010. Une fois posé le principe de proportionnalité, vient l'objectif chiffré : « Eau de Paris s'engage à maintenir au minimum [36 % de femmes cadres et 30 % de Tam] pour les années 2008-2009 et 2010. »