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Discrimination positive: les entreprises s'y mettent

Enquête | publié le : 26.02.2008 |

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Discrimination positive: les entreprises s'y mettent

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Pour parvenir à l'égalité effective entre les hommes et les femmes, des entreprises, de plus en plus nombreuses, prévoient des actions positives en faveur de ces dernières. Cette discrimination, parfaitement légale, peut être, selon le degré de préparation de l'entreprise, très efficace, inefficace, voire contre-productive. A manier avec précaution.

Au mois de juillet 2008, cela fera exactement vingt-cinq ans que les entreprises ont le droit de pratiquer la «discrimination positive» - ou l'«action positive», le terme n'est pas stabilisé - en faveur des femmes. Très précisément depuis la loi Roudy du 13 juillet 1983, dont une disposition, reprise dans l'article L. 123-3 du Code du travail, autorise des « mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes » en vue de remédier aux inégalités de fait (lire p. 23).

Pendant longtemps, cette pratique fut l'exception, mais la pression légale, conventionnelle et politique augmentant, et les écarts de salaire demeurant, les entreprises y recourent maintenant davantage. Michel Miné, professeur de droit du travail à la chaire de droit social du Cnam, relève qu'« entre 1983 et 2001, il y a eu une trentaine de plans d'entreprise prévoyant des actions positives, mais, depuis l'accord national interprofessionnel de 2004, le mouvement s'est intensifié ».

24 accords d'entreprise depuis 2003

Une note de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), qu'Entreprise & Carrières a pu consulter, le confirme. Depuis 2003, pas moins de 24 accords d'entreprise prévoyant des enveloppes salariales dédiées aux femmes dont les salaires souffrent d'un écart avec celui des hommes ont été signés (lire p. 23). L'Orse a également recensé des accords fixant des objectifs chiffrés de féminisation des recrutements, des promotions, d'accès à la formation... Ramenées au nombre total d'accords dédiés à l'égalité professionnelle, évalué à 125, toujours par l'Orse, les actions positives commencent à faire tache d'huile.

Il faut dire que la pression a singulièrement augmenté sur les entreprises ces dernières années : loi Génisson de 2001, accord national interprofessionnel de 2004, loi sur l'égalité salariale du 23 mars 2006, qui prévoit de supprimer les écarts de salaires d'ici à fin 2010 - délai que le président de la République souhaite ramener à fin 2009 -, sans parler des normes européennes et des délibérations de la Halde, qui tendent à rapprocher l'inégalité de traitement (licite) de la discrimination (illégale), un point qu'a souligné Jean-Emmanuel Ray, professeur à Paris-1, dans sa dernière chronique juridique publiée dans le mensuel Liaisons sociales du mois de février.

Bref, alors que les écarts de salaires demeurent (25 % en 2002 si l'on prend le salaire mensuel ; 19 % pour le salaire horaire et 11 % une fois les effets de structure neutralisés), que l'heure des comptes approche, et qu'on commence à parler de sanctions financières, le sentiment d'urgence, lui, augmente. En outre, les entreprises ne veulent pas se priver de compétences à un moment où celles-ci commencent à devenir rares et pensent à leur image de marque. Pour toutes ces raisons, certaines entreprises découvrent un outil qu'elles ont dédaigné pendant des années.

Efficace, mais d'un maniement compliqué

Si l'action positive peut être efficace, elle est aussi d'un maniement relativement compliqué.

En effet, il ne suffit pas de décréter qu'on va recruter x % de femmes dans un métier très masculin pour y parvenir. Aéroports de Paris s'était fixé, par accord, des objectifs d'embauche de femmes très précis, qu'il n'a que partiellement tenus, faute de candidates (lire p. 25). L'entreprise a, aujourd'hui, quasiment abandonné la discrimination positive.

Total peine également à atteindre les 33 % de recrutements de femmes managers qu'il s'est fixés il y a deux ans (sans accord), notamment parce qu'il manque des ingénieures expérimentées sur le marché. En revanche, EDF a très significativement réduit l'écart salarial entre les hommes et les femmes (de 5 % à 1,7 %) en trois ans, grâce à l'attribution d'une enveloppe dédiée (lire p. 26).

Incompréhension

Quant à Eau de Paris, il a indéniablement féminisé ses effectifs, surtout l'encadrement, grâce à une politique assumée de priorité donnée aux femmes dans les recrutements et les promotions, et de lutte contre les discriminations (lire p. 24). Cependant, revers de la médaille, ces deux entreprises ont dû affronter des incompréhensions, voire des réactions hostiles, provenant d'hommes qui s'estiment lésés, ou de femmes qui ne savent plus pour quoi elles sont reconnues. Selon les directions, les tensions sont restées circonscrites, mais elles reconnaissent qu'il faut communiquer auprès des salariés et les former sur ces thèmes.

Rachel Silvera, économiste, maître de conférence à Paris-10, admet que les actions positives peuvent créer des « dérèglements », mais rappelle qu'ils ne sont que momentanés, le temps de résorber les inégalités accumulées au fil du temps (lire p. 27). Selon elle, le jeu en vaut la chandelle.

L'essentiel

1 La loi du 13 juillet 1983 autorise la discrimination positive en faveur des femmes.

2 Peu utilisée pendant vingt ans, cette disposition commence à faire tache d'huile dans les entreprises depuis 2004.

3 Les premiers retours d'expérience permettent de conclure à l'efficacité de ces actions, mais sous plusieurs conditions.