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Enjeux

Poule, renard, vipère

Enjeux | Chronique de Meryem Le Saget | publié le : 26.02.2008 |

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Poule, renard, vipère

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Le jeu se joue en trois équipes, en extérieur. Il y a les poules, les renards et les vipères. Chaque équipe a son camp. La règle est simple : les poules mangent les vipères, les vipères piquent les renards et les renards mangent les poules. Les enfants de 6e la comprennent très vite. Tout joueur attrapé par son prédateur devient prisonnier du camp adverse. Il ne lui reste plus qu'à attendre que ses coéquipiers viennent le délivrer. Et le jeu dure longtemps, avec une passion sans déclin. Beaucoup plus subtil que le traditionnel «gendarmes et voleurs», ce jeu permet de construire des stratégies variées, créer des alliances, modifier les rapports de force, s'adapter ; il est complexe, contradictoire. Il n'y a pas de réponse toute faite ni de meilleur moyen de gagner : tout est ouvert.

Or, que dit, aujourd'hui, le professeur d'éducation physique ? Avec une classe de 6e, le jeu peut durer des heures. A cet âge, les enfants ont intégré une complexité naturelle, ils créent des coalitions diverses, négocient, trahissent leurs accords précédents, modifient leurs stratégies en fonction du contexte. Ils n'ont pas d'entraves. En terminale, on est plus binaire, le jeu est fini en 15 minutes : c'est chacun pour soi et tout le monde se fait éliminer progressivement, capturé par les autres. La culture actuelle est sans doute passée par là : on aime les choses claires et nettes, les situations sans ambivalence. On préfère les règles simples : un temps limité, un gagnant et un perdant. D'ailleurs, dans nos sports modernes, ces jeux paradoxaux n'ont pas survécu. Plus de poules, de renards, de vipères. Les instances sportives n'ont pas souhaité retenir ces notions de complexité et d'enjeux contradictoires. Il fallait des choses plus simples pour la médiatisation.

Malheureusement, la vie n'est pas à cette image, limpide et ordonnée. Elle est truffée de complexité, de situations antagonistes dans lesquelles l'individu doit trouver sa voie et faire des choix. Dans les entreprises, c'est le même tableau. On vous demande de travailler davantage, plus rapidement et avec moins de moyens ; ou de faire preuve d'esprit d'équipe avec un partenaire qui, par ailleurs, est aussi un concurrent... Rien n'est binaire, rien n'est simple.

Au lieu de fustiger la complexité, essayons plutôt de l'apprivoiser. N'est-ce pas la nature de nos vies d'aujourd'hui ? Remplies, passionnantes, compliquées, changeantes, jamais totalement bordées. Chacun de nous possède dans sa vie un domaine qui n'obéit pas à sa volonté, quoi qu'il fasse : les enfants, le travail, les relations, la vie domestique, les projets futurs... Nos process ne sont pas «sous contrôle», dirait un auditeur qualité, mais justement, c'est cela être vivant. L'homme n'est pas une machine, il est capable de faire cohabiter des éléments fortement contradictoires et de trouver des solutions créatives aux situations les plus inattendues. Au lieu de vouloir éliminer la vie en insistant pour que les choses soient noires ou blanches, accueillons-la plutôt en acceptant de faire des choix... et ajustons si nécessaire.

Meryem Le Saget est conseil en entreprise à Paris. <lesagetconseil@wanadoo.fr>