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Pour recruter, les entreprises retournent à la fac

Enquête | publié le : 05.02.2008 |

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Pour recruter, les entreprises retournent à la fac

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Formations plus professionnalisées, stages, nouvelles chaires financées par les entreprises, passerelles pour les littéraires, ouverture des recrutements... Dans un marché de l'emploi cadre de plus en plus tendu, les universités et les entreprises apprennent à mieux se connaître. Et ce n'est sans doute qu'un début.

Les grandes écoles n'y suffisent plus : « Le nombre d'offres d'emploi cadre affiche des niveaux jamais atteints », annonçait l'Apec, le 16 janvier dernier. En 2007, l'Agence pour l'emploi des cadres en a publié presque 230 000, soit 27 % de plus qu'en 2006, qui était déjà une belle année. Les jeunes diplômés en ont profité, avec 52 400 offres proposées par la seule Apec, un niveau comparable à celui de 2000. A tel point que certaines grandes entreprises font, désormais, aux jeunes diplômés d'université, les mêmes yeux de Chimène qu'à ceux des grandes écoles.

« Le vivier des écoles ne représente qu'une partie des besoins de recrutement des entreprises, constate Jean-Marie Peretti, directeur de l'IAE de l'université de Corse, et professeur à l'Essec. On assiste à une ruée vers tous les diplômés. Ce n'est pas inédit : au début des années 1990, période de tensions sur le marché du travail, l'entreprise avait déjà découvert l'intérêt des littéraires ; avec le pic des recrutements de 1999-2000, les recruteurs avaient élargi leurs critères. »

Programme passerelle

Dans le secteur de la banque, gros recruteur jusqu'à présent, la diversification des profils est bien à l'ordre du jour. La profession compte multiplier un programme passerelle, mis en oeuvre à l'université de Nancy, pour permettre à des diplômés de filières littéraires de se préparer à ses métiers (lire p.24). De son côté, la banque HSBC, par exemple, participe au programme Phénix qui, lui aussi, oriente des étudiants littéraires ou de sciences sociales, par de l'apprentissage, vers des CDI dans les entreprises partenaires (lire p. 28). « Nos besoins de recrutement sont importants et les jeunes diplômés des écoles n'y suffiraient pas, confirme Véronique Leenhardt, responsable sourcing et relations écoles de HSBC. Nous allons vers l'université, mais les étudiants viennent aussi de plus en plus vers nous et s'ouvrent plus volontiers à l'entreprise. Beaucoup se disent, désormais, que, sans cela, ils risquent des désillusions. » Cette société, qui compte déjà environ 30 % de collaborateurs issus des filières universitaires spécialisées en banque-finance, s'efforce de faire mieux connaître ses métiers dans les facs, en multipliant les offres de stage et les opérations de présentation sur les campus.

Ne plus recruter de «clones»

Philippe Kron, patron d'Iquesta, site de recherche de stage et de recrutement spécialisé, qui compte 481 écoles et universités partenaires, a constaté un comportement de recrutement désormais classique parmi ses entreprises clientes : « Une enquête auprès de 263 d'entre elles nous indique que beaucoup commencent à rechercher des candidats grandes écoles et, finalement, recrutent un universitaire. »

Mais, au-delà des seules contraintes de volume, la diversité des recrutements, y compris culturelle ou académique, commence à être recherchée pour des raisons stratégiques. « Nous ne voulons pas continuer à prendre des clones qui donnent tous la même réponse à une question », explique, sans détour, le recruteur d'un groupe du CAC 40.

Reproduction des élites

Gwenole Guiomard, rédacteur en chef chez Hobsons, site portail et éditeur spécialisé dans l'orientation et le recrutement, enfonce le clou : « Le système bien français des grandes écoles conduit à une reproduction des élites homogènes, avec une sélection qui se fait dès avant les classes préparatoires, soit entre 16 et 18 ans, et en partie sur la catégorie socioprofessionnelle et le pouvoir d'achat des parents. »

Du côté des entreprises, faute, parfois, d'une analyse approfondie du travail, on s'est longtemps contenté de déléguer la sélection aux écoles ou de se reposer sur le réseau des anciens. « On finit, dans ce cas, par recruter ceux qui adhèrent le mieux à la culture dominante de l'entreprise », a observé Pascale Levet, directrice de Lab'Ho.

Créativité et adaptabilité

Sans nier la qualité des diplômés d'école, quelques grandes entreprises s'efforcent de mixer les profils et les parcours pour susciter plus de créativité et d'adaptabilité dans leur organisation. Danone en fait partie. « Nous ne sommes pas allés vers la fac pour cause de pénurie de compétences, précise Olga Koenig, responsable du sourcing et des relations écoles et universités du groupe. Nous ne recrutons que 200 jeunes diplômés par an environ, ce qui est beaucoup plus faible que dans certaines SSII ou banques. L'enjeu est plutôt de favoriser l'innovation pour générer de la croissance. Nous cherchons des têtes bien faites et de la personnalité. Or, faire ses études à l'université réclame de la débrouillardise et une certaine force de caractère. »

Danone a, ainsi, repéré des masters qui répondent à ses besoins de compétences et monté un partenariat avec Créteil-Paris-12, la Sorbonne, l'IAE de Lille et celui de Lyon, pour renforcer les contacts avec les étudiants autour de journées dans l'entreprise ou de rencontres avec un campus manager.

Partenariats nombreux et variés

De leur côté, les universités font une partie du chemin : les partenariats avec des entreprises sont nombreux et variés sur tout le territoire, y compris dans les filières lettres et sciences humaines (lire p. 28). La crise du CPE a marqué un jalon dans la prise de conscience de l'échec de l'insertion des étudiants. La commission Hetzel, du nom de l'ancien recteur de Limoges, aujourd'hui conseiller de François Fillon, a tracé des pistes, et la loi Pécresse, qui organise l'autonomie financière des facs sous cinq ans - suscitant autant de craintes que d'espoirs dans les milieux universitaires - inscrit, en tout cas officiellement, l'insertion des jeunes diplômés parmi leurs missions.

Autant d'évolutions qui devraient encore favoriser les rapprochements entre la fac, lieu d'excellence académique, de recherche et de transmission des savoirs, et l'entreprise, en quête de compétences de plus en plus variées.

L'essentiel

1 Plus de 52 000 offres d'emploi pour les jeunes diplômés ont été diffusées par l'Apec en 2007. Ils bénéficient d'un marché de l'emploi très tendu.

2 Les entreprises, y compris certains grands groupes, ne peuvent plus se contenter de recruter à la sortie des grandes écoles.

3 L'université professionnalise ses formations, se rapproche des entreprises et veut travailler sur l'insertion de ses étudiants.