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Enquête

Des DRH d'influence

Enquête | publié le : 22.01.2008 |

Entreprise & Carrières a rencontré des directeurs de ressources humaines qui, parallèlement à leur travail, sont négociateurs de branche ou interprofessionnels, lobbyistes, administrateurs d'établissement d'enseignement, conseillers prud'homaux... Comme beaucoup d'autres, ils contribuent, de cette manière, à structurer le champ social. C'est la part publique, et paradoxalement mal connue, du travail de DRH.

Les négociations sur la modernisation du marché du travail, qui se sont terminées le 11 janvier, ont mis en avant une personnalité et une profession. Kathy Kopp, représentante du Medef, chef de file de la délégation patronale, est aussi DRH d'Accor. Impliquée depuis longtemps - mais plus discrètement dans cette négociation -, elle est passée sur le devant de la scène au mois d'octobre, lorsqu'elle a remplacé Denis Gautier-Sauvagnac, le négociateur attitré du Medef sur les dossiers sociaux. En 2006, c'est déjà elle qui avait mené la négociation sur la diversité, débouchant sur un accord interprofessionnel. A 58 ans, la DRH d'Accor, ex-DRH de LVMH et d'IBM France, peut donc s'enorgueillir d'avoir largement contribué à définir les règles du travail en France.

Investissement social

D'une manière générale, nombreux sont les DRH qui, à côté de leur fonction en entreprise, s'investissent dans la sphère sociale. Négociateurs interprofessionnels ou de branche, lobbyistes, conseillers prud'homaux, administrateurs, membres d'associations, ils contribuent, chacun à leur manière, à structurer cette sphère. Entreprise & Carrières en a rencontré huit, représentatifs d'une profession qui, « peut-être plus que toute autre, a le goût pour le travail collectif et la production sociale », remarque Patrick Gilbert, conseiller scientifique à Entreprise & Personnel.

Contribution aux normes sociales

Il s'agit de Christiane Geffriaud, DRH adjointe d'Eurovia France ; de Jean-Luc Vergne, DRH de PSA ; de Marc Veyron, DRH de Champion ; de Charlotte Duda, DRH de Stream International ; de Muriel Pénicaud, DG adjointe de Dassault Systèmes, en charge de l'organisation et des ressources humaines ; de Thierry Denjean, DRH de STMicroelectronics ; d'Alain Mauriès, DRH de Coca- Cola Entreprise ; et de Jean-François Bonheme, DRH des Chantiers Bénéteau.

Schématiquement, leurs actions prennent deux formes : la contribution aux normes sociales, et la promotion d'une certaine idée des ressources humaines. Christiane Geffriaud, au sein du lobby Le cercle des DRH, et Jean-Luc Vergne, dans le cadre du Grenelle de l'insertion ou du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), interviennent en amont de l'élaboration des lois. La première a, par exemple, obtenu d'exclure l'habillage du décompte du temps de travail, au moment de la première loi sur les 35 heures. Le second contribue à des futurs rapports sur le Smic et l'insertion, qui inspireront le législateur... ou non.

Des politiques trop pressés

Tout influents que soient ces DRH, les politiques décident in fine. Christiane Geffriaud regrette, ainsi, que le gouvernement ait été si rapide pour faire voter la loi Tepa, qui aurait, selon elle, gagné en fonctionnalité si Le cercle avait pu l'étudier. Négociateur pour sa branche et pour le Medef, Marc Veyron est, lui, directement producteur de normes. Il a participé à la négociation de l'accord interprofessionnel sur l'égalité professionnelle de 2004, et de plusieurs accords de branche. Quant à Muriel Pénicaud, son poste de présidente du conseil d'administration de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (Intefp), l'école qui forme les inspecteurs du travail et les agents du ministère du Travail, la place en aval des lois, auprès de ceux qui sont chargés de les faire respecter.

De leur côté, Thierry Denjean, Alain Mauriès, Jean-François Bonheme et Charlotte Duda travaillent à une gestion des ressources humaines socialement responsable. Le premier, comme président du pôle mobilité régionale de l'Isère, fait du reclassement «à froid» ; le second, au sein de plusieurs associations, travaille à l'insertion des jeunes et prépare un ouvrage sur le harcèlement ; le troisième contribue, localement, au rapprochement de l'entreprise et du monde de l'éducation. Enfin, Charlotte Duda intervient dans des associations d'insertion et a contribué à la création d'une fédération de DRH d'Europe et du Maghreb, tout en oeuvrant, à la tête de l'ANDRH, à faire évoluer les normes du travail. L'association dont elle est présidente est, en effet, chargée de créer un Label diversité d'ici au printemps 2008.

Investissements multiples

En général, les uns et les autres s'investissent dans plusieurs domaines. Ainsi, Christiane Geffriaud et Thierry Denjean sont également présidents d'audience dans un conseil des prud'hommes ; Alain Mauriès est aussi négociateur de branche, Marc Veyron est membre du Conseil supérieur de la participation, Jean-Luc Vergne préside une association en faveur de la mixité dans les métiers d'ingénieur...

Un phénomène d'accumulation que Patrick Gilbert explique non pas par une recherche de gratification, mais tout simplement parce que « ceux qui ont le goût de s'investir et la compétence sont repérés et sollicités », d'autant plus que les organisations auxquelles ils participent « ont besoin de monde pour fonctionner ». Pour les DRH que nous avons interrogés, tous très expérimentés, la question n'est donc plus «d'en être», mais d'effectuer une sélection parmi de multiples sollicitations.

Engagement chronophage

Pour justifier un engagement chronophage et peu rémunéré, les DRH invoquent alors trois types de raisons, qui ne s'excluent pas forcément. Certains agissent de manière totalement désintéressée, parce qu'une cause leur tient à coeur. D'autres estiment que leur investissement est payé de retour, dès lors qu'il leur permet d'améliorer leurs compétences. D'autres, enfin, déclarent travailler pour leur entreprise dont ils représentent les intérêts.

Patrick Gilbert envisage une raison supplémentaire, qui, elle, n'est jamais exprimée : la compensation. « Lorsqu'on a la fibre sociale et que l'exercice de la fonction n'est pas satisfaisant, il est logique de s'investir ailleurs », explique-t-il. Enfin, l'engagement à l'extérieur de l'entreprise peut être une demande de l'entreprise elle-même, afin que « le DRH défende le point de vue de l'entreprise dans l'organisation dans laquelle il a un mandat », explique Patrick Gilbert. Ainsi, mieux vaut, pour une société, que son DRH négocie un accord de branche qui lui sera, de toute façon, étendu.

Dans tous les cas, il estime que l'investissement d'un DRH à l'extérieur de son entreprise est conditionné au fait qu'il a rempli ses objectifs internes : « Ce qu'attendent les directions de leur DRH, c'est d'abord qu'il sécurise le fonctionnement de l'entreprise, alors seulement, le DRH peut s'autonomiser. Si ce n'est pas le cas, le hiatus devient insupportable. »

L'essentiel

1 Entreprise & Carrières a rencontré plusieurs DRH qui s'investissent dans le lobbying, dans des associations, dans la prud'homie...

2 Pour les uns, il s'agit d'une extension naturelle de leur métier, pour les autres, c'est une démarche personnelle.

3 Ces professionnels des ressources humaines en entreprise contribuent, ainsi, à structurer le champ social.