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Enquête

L'avenir des seniors reste dans le flou

Enquête | publié le : 19.06.2007 | Guillaume Le Nagard

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L'avenir des seniors reste dans le flou

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Quatre ans après la réforme des retraites et un an après le lancement du plan pour l'emploi des seniors, le taux d'emploi des 55-64 ans plafonne toujours sous 39 %. Les mesures d'âge se succèdent, tandis que les entreprises font rarement du travail des seniors un enjeu stratégique. Mais ces questions commencent à être traitées à travers d'autres problématiques, comme la GPEC. Par ailleurs, la prise de conscience progresse, alimentée par quelques bonnes pratiques.

Timide prise de conscience, sensibilisation, transition... : les experts RH et les observateurs de l'emploi des seniors ont intérêt à manier l'euphémisme pour qualifier le comportement des entreprises en matière de gestion des âges. Cette apathie était d'ailleurs au menu de la séance du Conseil d'orientation des retraites (COR) du 30 mai dernier. Le conseil s'alarme du maintien du taux d'emploi des seniors à un niveau plancher de 38,5 % pour les 55-64 ans, loin de la moyenne européenne de 42,5 % et plus encore de l'objectif de 50 % fixé au niveau communautaire à l'horizon 2010. « Les pratiques évoluent encore trop peu, en raison de la persistance des discriminations, des préretraites et des dispenses de recherche d'emploi, note le COR. On n'observe pas de changement notable des comportements des seniors et des employeurs dans le sens d'un allongement de l'activité. »

Avertissement aux employeurs

C'est aux employeurs que François Fillon, le nouveau Premier ministre, auparavant architecte de la réforme des retraites dans le gouvernement Raffarin, a lancé un avertissement sans frais le 6 juin dernier : « Pour l'entreprise, le choix est très simple : c'est soit l'augmentation des cotisations retraites, soit garder les salariés jusqu'à l'âge de la retraite. »

Il faut reconnaître que pour celui qui a taxé les préretraites à 23,85 %, l'actualité des restructurations a de quoi irriter. Dernière annonce en date, celle de LCL fait état d'un plan de 3 500 départs d'ici à 2010, qui reposerait essentiellement sur un accord de départs anticipés pour les plus de 57 ans et serait intégralement financé par l'entreprise. Les préretraites restent un outil de gestion des effectifs largement utilisé. Elles figurent aussi dans les plans de PSA Peugeot Citroën, de France Télécom, ou de Pzifer, par exemple.

Mesures consensuelles

« Les mesures d'âge dans les restructurations restent consensuelles, constate Brigitte Ustal-Piriou, qui anime le groupe de travail de l'ANDRH (ex-ANDCP) sur la gestion des âges. Mais, plus globalement, les tout derniers accords sur les retraites anticipées seront clos en 2008, et les entreprises ont maintenant intégré l'obligation de gérer les salariés jusqu'à la fin de leur vie professionnelle. Elles ont entamé des réflexions et, souvent, des pratiques, mais ne souhaitent généralement pas communiquer sur le sujet. »

Le baromètre annuel sur le choc démographique de la Cegos, de mai dernier, conforte ce point de vue : si les trois quarts des entreprises interrogées ont déjà recouru aux départs anticipés, il constate, « pour la première fois, un très net revirement » des DRH sur la question des préretraites, 27 % d'entre eux envisageant encore d'utiliser ce dispositif, contre 39 % en 2006. Quant aux pratiques mises en oeuvre pour prolonger l'activité des seniors, bien qu'en légère hausse, elles restent marginales.

Peu d'initiatives

Ainsi, assez peu d'initiatives remarquables se sont ajoutées à celles des entreprises pionnières sur le sujet, comme les Caisses d'épargne sur les entretiens professionnels et la recherche de solutions pour la seconde partie de carrière ; Axa, qui a continué d'entretenir la dynamique de son accord Cap Métiers, qui sécurisait les mobilités internes vers les fonctions commerciales, et dont les seniors ont essentiellement profité (lire p. 26). Certaines PME confrontées au risque de ralentissement ou de disparition de leur activité, faute de compétences renouvelées, ont mis en place des dynamiques remarquables mais néanmoins moins visibles - de transfert de savoir-faire. C'est notamment le cas de Solatrag, à Agde, société de second oeuvre du bâtiment (lire p. 28).

Enjeux sociaux

Par ailleurs, la gestion des âges pourrait bien se fondre rapidement dans l'un ou l'autre des grands enjeux de la négociation sociale, comme la GPEC. « Les entreprises sont sollicitées sur ces thèmes et doivent satisfaire à des obligations légales, précise Tanguy Bothuan, de la société OP3, qui a réalisé plusieurs études pour l'Apec et l'Anact sur la gestion des âges, sur la GPEC et sur la personnalisation des parcours professionnels. S'il leur est souvent difficile d'afficher des politiques de gestion des âges, elles intègrent désormais ces enjeux à d'autres négociations, en particulier la GPEC. » Exemples : Thalès, avec son accord de novembre 2006, qui prévoit la mise en oeuvre d'un observatoire des métiers, une information renforcée et un accompagnement pour chaque salarié sur les mobilités, des points carrière à 45 ans, mais aussi un dispositif de suspension de contrat de travail pour des seniors qui restent à l'effectif jusqu'à la liquidation de leurs droits et qui peuvent être sollicités sur des actions de transfert des compétences.

Volet spécifique

L'accord GPEC 2006-2009 d'Air France comporte, lui aussi, au titre 3, un volet spécifique à la gestion de la deuxième partie de carrière. Celui de Delphi institue un observatoire des métiers et, au chapitre 6, prévoit le «développement» des salariés âgés de 50 ans et plus avec des mesures de maintien dans l'emploi. De la même façon, les actions liées à la diversité et à la discrimination pourront, de plus en plus, concerner les seniors.

Déjà, beaucoup d'entreprises ont mis en place des indicateurs de suivi pour l'accès à la formation, les promotions, la rémunération. Intégrer la question de l'âge dans l'ensemble des enjeux habituels de la négociation sociale semble donc être le parti de certaines entreprises qui ne souhaitent pas communiquer spécifiquement sur les seniors.

Banaliser les âges

« Banaliser les âges est indispensable », estimait, de son côté, Bernard Quintreau dans Entreprise & Carrières, en janvier dernier (n° 842). Pour ce conseiller économique et social, auteur du premier rapport au gouvernement sur les âges, « cela suppose de les prendre en compte en amont pour assurer des conditions de travail identiques pour tous, notamment par la formation, la réflexion sur les carrières, l'ergonomie... ».

Travailler sur l'usure et la pénibilité sans se contenter d'un transfert de charge vers les plus jeunes, ainsi que sur la formation et les carrières dès 40 ans... « Les approches transgénérationnelles sont indispensables, juge Anne-Marie Guillemard, professeure en sociologie à Paris-5, notamment spécialiste des politiques des âges et de l'emploi dans le monde. La France est le pays au monde qui est allé le plus loin dans la logique d'inactivation des seniors. Pour l'instant, on ne rompt pas avec cette logique de partage du travail. Le plan pour l'emploi des seniors n'accomplit pas le renversement culturel nécessaire pour en finir avec la dépréciation des salariés âgés. Il demeure trop centré sur le curatif en direction des quinquagénaires. Or, l'impératif est d'agir préventivement, sur les quadragénaires et les plus jeunes. Pourtant, l'intergénération, la question de la coopération des âges au travail est totalement absente de ce plan. »

Période de transition

En intégrant progressivement les âges dans leur mode de management, les entreprises devraient pourtant se donner la possibilité d'assurer le maintien dans l'emploi des actuels quadras, dans les cinq à vingt ans à venir. Pour l'heure, c'est surtout une période de transition, qui semble se prolonger, avec ses pratiques de circonstance : dernières retraites anticipées, multiplication des départs négociés après 50 ans et explosion des longues maladies et inaptitudes sur cette tranche d'âge. Notre enquête semestrielle auprès des salariés seniors indique bien que, pour eux, les conditions de travail et le management restent défaillants, et que la pression ne se relâche pas.

L'essentiel

1 On ne constate pas d'amélioration du taux d'emploi des 55-64 ans en France, qui est l'un des plus faibles d'Europe.

2 Les mesures d'âge restent au coeur des plans sociaux. Le COR tire la sonnette d'alarme et François Fillon menace les employeurs d'augmenter leurs cotisations retraites.

3 Les entreprises hésitent à afficher une gestion des âges, et leur hésitation est encore plus grande en ce qui concerne les seniors.

4 En revanche, celle-ci commence à s'intégrer à d'autres grands enjeux RH et de négociation, comme la mobilité, la diversité et, surtout, la GPEC.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard