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Enquête

Les effets stressants d'une restructuration sans précédent

Enquête | publié le : 12.06.2007 | Patricia Sudolski

Chez France Télécom, le suicide est tabou. La direction agit, en revanche, sur le stress engendré, notamment, par les mobilités imposées.

Depuis 1996, date de sa privatisation, France Télécom s'est lancé dans la plus grande reconversion de fonctionnaires. Aujourd'hui, environ 20 000 agents sont en passe ou ont déjà changé de métier. « Depuis dix ans, l'entreprise a reconverti des techniciens et des administratifs en commerciaux, vous imaginez le virage ! », s'exclame Pierre Dubois, délégué syndical central CFDT. Sur 120 000 salariés, France Télécom compte quelque 80 000 fonctionnaires, lancés dans le grand bain de la compétitivité internationale.

Logique concurrentielle

« Nous sommes passés d'une culture de service public à une logique concurrentielle. Cette transition ne s'est pas déroulée sans heurts psychologiques pour les salariés, explique Robert Grenier, délégué syndical Sud. Le personnel a dû intégrer que le but n'était plus de rendre le meilleur service mais d'être le plus productif. »

L'importance de l'effort à fournir n'est pas niée par la direction de l'opérateur, qui a prévu, pour la période 2006-2008, une augmentation de 25 % des investissements en matière de formation. Le décrochage de salariés a même été pris en compte à travers une analyse des situations d'exclusion interne chiffrées à 5 % des effectifs.

Cumul d'événements

Menée par l'Institut des métiers de France Télécom, une cellule paritaire créée en 1997 qui réfléchit aux modes d'accompagnement du changement, cette enquête a aussi rappelé aux managers de l'entreprise « que des études réalisées sur des personnes ayant eu des problèmes sérieux de santé (accident, tentative de suicide, dépression, maladie psychosomatique...) ont permis de mettre en évidence que ces dernières avaient dû faire face, en quelques mois, à un cumul d'événements marquants, qu'ils soient d'ordre professionnel ou privé, générateurs de stress. »

Suspensions de travail

Le cas dont tout le monde se souvient chez France Télécom remonte à 2004, à Nantes. « Nous n'avons pas oublié le suicide de Daniel, relate Robert Grenier, délégué syndical Sud. Il était technicien. La direction a affirmé que son geste s'expliquait par des problèmes de couple. Mais les salariés ont remis en cause les nouvelles méthodes de travail. Il y a eu des rapprochements spontanés, des assemblées générales suivies de suspensions de travail. » La direction régionale a réagi. Elle a mis en place une table ronde sur le mal-être tout en bannissant le mot de suicide. Des réunions entre l'Aract (Agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail), les RH, la direction et les syndicats se sont succédé. Il en est sorti une synthèse préconisant un assouplissement dans la réalisation des objectifs et la création de lieux conviviaux pour les prises de service.

Dispositif d'alerte

Les syndicats plaident, aujourd'hui, pour la mise en place d'un dispositif d'alerte interne afin de prévenir les situations de détresse. Ils l'estiment pertinent au regard de nouveaux drames survenus récemment. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, 2006 a été marquée par deux suicides d'agents, dont l'un s'est pendu sur son lieu de travail. A Angers, deux agents se sont donné la mort en janvier dernier. « France Télécom, c'est la plus importante restructuration menée en France. La particularité, c'est qu'il n'y a pas de PSE pour l'accompagner, analyse Pierre Morville, délégué syndical central CFE-CGC. Il faut supprimer des postes sans licencier. Les salariés sont donc poussés à la porte sans négociation. »

Encore 22 000 postes à supprimer

Le dispositif de préretraite, qui a permis de supprimer 40 000 postes sans douleur, est clos depuis le 31 décembre 2006. « Il reste 22 000 postes à supprimer entre 2006 et 2008, compensés par 6 000 recrutements dans les métiers de l'Internet, indique Pierre Moreville. Le stress est en progression pour tout le monde. » Mais ce sont surtout les plus anciens qui se sentent, aujourd'hui, les plus stressés. « L'Institut des métiers de France Télécom va travailler sur l'articulation entre la mobilité générée par les restructurations et le maintien dans l'emploi des seniors », promet son président, Jean-Baptiste de Foucauld. En attendant, les syndicats ont organisé, le 31 mai dernier, une journée d'action mondiale pour l'emploi et les conditions de travail. En France, la question de la santé figurait au coeur de la mobilisation.

france télécom

> Activité : télécommunications.

> Effectifs : 120 000 salariés.

> Chiffre d'affaires : 52 milliards d'euros en 2006, dont 12,8 milliards en France.

Auteur

  • Patricia Sudolski