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Enquête

Comment l'entreprise doit-elle réagir après le suicide d'un salarié ?

Enquête | publié le : 12.06.2007 | Céline Lacourcelle, J.-F. R.

Nullement préparée à gérer ce type de drame, l'entreprise doit néanmoins réagir rapidement après le suicide d'un de ses salariés, a fortiori lorsque celui-ci s'est déroulé sur le lieu de travail. Les pistes des spécialistes quant aux comportements à adopter.

« Tout est une question de culture d'entreprise », avance Thierry Koenig, consultant associé d'Arjuna, cabinet spécialisé dans la gestion et la prévention des crises. Autrement dit, aucun mode d'emploi n'est disponible pour aider l'entreprise à faire face à un suicide. Pour autant, les spécialistes en conviennent : il existe un certain nombre de comportements à adopter. A chaud. « Attention aux déclarations faites dans l'urgence, avertit Eric Albert, directeur de l'Institut français d'action sur le stress (Ifas). L'entreprise doit éviter tout déni sans donner l'impression qu'elle est la seule responsable du drame. »

Cellule de crise

Premier réflexe : mettre en place rapidement une cellule de crise. Celle-ci peut réunir le directeur du site, le DRH et le responsable de la communication (interne et/ou externe). « Ce noyau dur constitué autour de la direction va devoir s'interroger sur la suite des événements. Exemple : la famille a-t-elle été alertée ? Sinon, qui doit la prévenir ? », signale Thierry Koenig. Il faut aussi, très vite, porter son attention sur l'entourage professionnel de la personne qui a mis fin à ses jours.

Tea de Peslouan, directrice du département gestion de crise du cabinet Burson-Marsteller, conseille de ne surtout pas éluder le sujet : « On fait très vite intervenir un psychologue qui va organiser un debriefing collectif. Le plus tôt est le mieux, soit entre deux et sept jours. » Le but : aider les salariés qui ont assisté à l'événement ou qui étaient proches de la victime. « La direction peut y participer. Tout dépend du climat de confiance qui règne dans l'entreprise », ajoute Tea de Peslouan. Ce psychologue peut, ensuite, demeurer à la disposition des salariés qui souhaiteraient individuellement s'entretenir avec lui, par téléphone ou en face-à-face. Evidemment, la confidentialité reste de mise. « Il faut encourager le dialogue », insiste-t-elle.

Prévenir la contagion

Pour Dominique Chouanière, médecin épidémiologiste et responsable du groupe de travail stress à l'INRS, contacter rapidement les collègues de la victime doit surtout permettre de prévenir la contagion des suicides, un phénomène bien connu des spécialistes.

En termes de communication interne, le discours de la direction doit être sobre et factuel. « Elle confirme le décès. Quant aux circonstances, la question de savoir s'il faut évoquer la manière dont cela s'est passé reste à l'appréciation de l'entreprise », précise Thierry Koenig.

Compassion

Dans un second temps, elle peut informer les salariés de la date et du lieu des obsèques ainsi que des modalités particulières pour s'y rendre. Selon Pierre Labasse, consultant en communication et président d'honneur de l'Association française de communication interne (AFCI), « la direction, dans sa première déclaration, ne doit évidemment pas chercher à s'exonérer de toute responsabilité. Elle a seulement à montrer son émotion, à manifester sa compassion pour la famille et les amis... et à faire savoir qu'elle mettra tout en oeuvre pour comprendre les causes du drame. Le problème essentiel, pour elle, est alors de trouver le ton juste ».

Si les circonstances démontrent incontestablement que le suicide résulte des conditions de travail de l'individu, il y a alors présomption d'accident du travail. Il faut donc engager la procédure propre à l'accident mortel du travail. Et, notamment, réunir un CHSCT extraordinaire (L 236-2-1). Si le doute subsiste, Thierry Koenig conseille la prudence : « La direction qui veut mettre dans la boucle le CHSCT risque de faire penser qu'elle considère le suicide comme lié au travail. »

Signaux annonciateurs

Il est impératif que les salariés aient le sentiment que les dirigeants « ne restent pas inactifs », complète la directrice de Burson-Marsteller. Ainsi, ils peuvent s'engager dans un plan de prévention. Lequel consiste, dans un premier temps, à faire réaliser par des professionnels extérieurs un audit dont le but est de repérer les différents signaux annonciateurs d'une souffrance au travail. Parmi eux : taux d'absentéisme, conflit, revendications, grèves, contentieux...

« En cas de signal fort, un circuit d'alerte doit être mis en place, explique Tea de Peslouan. Il n'est pas forcément hiérarchique. Il doit simplement être efficace pour que l'alerte ne se noie pas. A l'issue de cet audit, un protocole d'intervention peut être mis en place. Au sommaire : cellule d'écoute avec des consultations de psychologues ouvertes aux salariés et formations de sensibilisation pour les managers et les RH.

Identifier les causes

« Ces sessions doivent amener les participants à comprendre ce qu'est une situation psychotraumatique, à détecter les profils fragilisés, à identifier les causes du stress au travail - nouvelle organisation, changement, pression... », liste Tea de Peslouan. A la direction de définir, ensuite, les comportements à tenir et ceux à proscrire.

Comme pour un accident du travail et son arbre des causes, l'entreprise, éventuellement aidée par ses partenaires (médecins du travail, CHSCT...), doit partir en quête des facteurs qui ont conduit la personne au suicide. « Il faut constituer un groupe projet ad hoc qui, sur la base d'un diagnostic approfondi des sources de stress, travaillera sur un plan d'action à long terme, note Dominique Chouanière. Une fois appliqué, celui-ci doit bénéficier d'un suivi dans la durée et, point important, l'entreprise devra communiquer à ses collaborateurs les résultats de chacune des étapes : diagnostic, plan d'action, résultats, amélioration, etc. En effet, dans le domaine des risques psychosociaux, les changements ne seront efficaces que s'ils sont explicités, compris, et que le personnel y adhère. Ce qui diffère des autres risques professionnels. »

Autopsie psychique

Le directeur de l'Ifas encourage, quant à lui, les entreprises à recourir à la pratique de l'autopsie psychique, assurée par des psychiatres indépendants. Très répandue dans le monde anglo-saxon, celle-ci repose sur le recueil approfondi d'informations dans l'entourage de la victime pour tenter de comprendre les raisons de son acte et son état d'esprit au moment des faits. Ainsi peut-on ensuite déterminer la part du travail dans le passage à l'acte suicidaire. « Ce qui n'absout pas la direction, précise Eric Albert, de s'interroger sur ses modes de management et sur les facteurs de stress. »

Comprendre sans stigmatiser. Selon Michel Debout, le président de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS), telle est finalement la ligne de conduite que doit adopter toute entreprise confrontée à un suicide de salarié. « Renault et EDF ont bien réagi après ces drames. Loin de fuir leurs responsabilités, ces entreprises ont pris le temps d'écouter. Elles sont désormais dans une phase d'action. »

Auteur

  • Céline Lacourcelle, J.-F. R.