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Développer la mobilité implique des accords de télétravail

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.06.2007 | Rodolphe Helderlé

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Développer la mobilité implique des accords de télétravail

Crédit photo Rodolphe Helderlé

Alors que la mobilité des salariés s'accroît, les directions en occultent les enjeux économiques et humains. Il suffit de voir le très faible nombre d'accords de télétravail mis en place dans les entreprises.

E & C : Les salariés sont de plus en plus mobiles grâce à des outils qui ne cessent de se développer. Un télétravail informel s'installe sans aucune contractualisation alors que le télétravail officiel ne concerne pas plus de 2 % des salariés. Mobilité informelle et télétravail ne sont-ils pas finalement contradictoires ?

Nicole Turbé-Suetens : Ils donnent l'impression d'avoir été rendus contradictoires en France, où la culture de la négociation n'est pas suffisamment développée. On a tendance à considérer comme une charge et une contrainte le fait de «parler» avec les partenaires sociaux pour concrétiser une nouvelle organisation du travail. On oublie trop souvent que c'est la seule manière pour que les changements se passent bien et que chacun puisse y prendre ce qui lui convient pour le bien commun : productivité pour l'entreprise et équilibre de vie pour le salarié. Un accord bien négocié évite les malentendus et les fausses mesures. Aujourd'hui, la jurisprudence commence à être suffisamment étoffée pour montrer où sont les lignes à ne pas dépasser, et on peut penser qu'un bon nombre de conflits auraient été évités si un accord d'entreprise avait existé. Le télétravail est trop souvent perçu comme une finalité et non comme un moyen au service d'une nouvelle organisation du travail. Les rares accords de télétravail brillent encore par leur absence de dimension stratégique.

E & C : Vous estimez que la mobilité est un mot-valise employé à tort et à travers, qui permet d'éviter de se poser les bonnes questions. En quoi cela traduit-il le manque de volonté des entreprises à se poser la question du rapport à la distance et des modes d'organisation que cela sous-entend ?

N. T.-S. : Beaucoup de directions préfèrent se cacher derrière un mot fourre-tout comme «mobilité» pour éviter de remettre en cause la clé de leur productivité et de leur compétitivité. La mobilité renvoie à une multiplicité de situations. On est généralement dans le registre de l'informel, au nom de l'évolution grâce aux technologies, dès lors que l'on emploie ce terme. Or, la notion même d'«informel» veut dire que l'on ne mesure rien. Le chef d'entreprise qui fait le choix de simplement déployer des outils pour davantage de mobilité sans se poser la question d'un accord de télétravail fait preuve de laxisme économique. Il ne cherche absolument pas à mesurer ce que le télétravail pourrait lui rapporter. La mobilité se développe en occultant la question de notre rapport avec la distance. Pour réduire leur surface immobilière, des entreprises cherchent à développer les bureaux partagés. C'est parfaitement légitime lorsque l'on sait que le taux d'occupation de nombreux bureaux n'excède pas les 60 %. Mais il ne suffit pas de décréter que les salariés sont mobiles. Un accord collectif est, là encore, nécessaire pour organiser cette mobilité avec efficience.

E & C : La géolocalisation pourrait-elle aller dans le sens d'un développement du télétravail officiel ?

N. T.-S. : La géolocalisation représente un nouveau levier au service de la mobilité. Il est probable qu'un grand nombre de salariés munis d'outils permettant de les géolocaliser soient, de par leur métier, amenés à télétravailler régulièrement de fait. Il serait donc, une fois pour toutes, utile de comprendre, en France, qu'il vaut mieux encadrer et réguler ces modifications de l'organisation du travail par un bon accord qui formalise avec précision les droits et les devoirs de chacune des deux parties.

E & C : Quelles sont les perspectives de développement de la géolocalisation ?

N. T.-S. : Les perspectives sont énormes ! Tous les métiers de l'urgence, de la maintenance, du transport, du dépannage et bien d'autres encore, jusqu'à tous les commerciaux, vont être concernés dans un premier temps. Nous pouvons aisément imaginer qu'à terme, tous les ordinateurs et les téléphones soient des outils potentiels de géolocalisation. Il faut donc, dès maintenant, se poser les bonnes questions sur les limites de la surveillance des salariés et bien maîtriser la frontière entre surveillance et protection. La Cnil a d'ailleurs déjà publié un certain nombre de recommandations sur le sujet.

E & C : Vous estimez que les risques de «flicage» associés à la géolocalisation sont bien bordés. Quid des risques d'isolement du salarié liés à cette technologie ?

N. T.-S. : Nous allons avoir de plus en plus de «salariés isolés» du fait de la géolocalisation. Et cela, sans forcément percevoir qu'il s'agit d'un statut particulier. Des employeurs se posent déjà la question de ne plus doublonner des postes en partant du principe que la géolocalisation va leur permettre de suivre à distance l'activité d'un salarié. On remplace ainsi, par la technologie, la sécurité représentée par une autre personne. Imaginer que la technologie puisse totalement remplacer le collègue de travail est illusoire si certaines conditions de sécurité et de communication ne sont pas garanties.

Cahiers, Paul Valery, Gallimard.

Lettres à mon mari, Alexandra David-Neel, France Loisirs.

Tristes Tropiques, Claude Lévi-Strauss, Pocket.

Titulaire d'un DEA en sciences des organisations de Paris-Dauphine, Nicole Turbé-Suetens a participé à l'élaboration du rapport gouvernemental sur le télétravail (rapport Breton en 1993-1994) ainsi qu'au récent rapport de la mission «eTravail» (Forum des droits sur l'Internet en 2003-2004).

Nicole Turbé-Suetens, expert auprès de la Direction générale société de l'information de la Commission européenne, anime un site dédié à la géolocalisation <www.geolocsalaries.fr>

Elle est également coauteure de Travail et activités à distance (éd. d'Organisation, 1999) et auteure de Teamwork and Groupware (éd. Wiley).

Auteur

  • Rodolphe Helderlé