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L'encadrement, maillon faible du dialogue social

Enquête | publié le : 29.05.2007 | Emmanuel Franck

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L'encadrement, maillon faible du dialogue social

Crédit photo Emmanuel Franck

Alors que, traditionnellement, le dialogue social est le pré carré des DRH, certaines entreprises ont décidé d'en confier une part à leur encadrement. Elles espèrent ainsi concurrencer les syndicats sur leur propre terrain. A condition de former les managers de proximité.

« La qualité de la relation sociale passe par l'encadrant de proximité, mais il en est le maillon faible. » Pour Thierry Heurteaux, associé au cabinet Pactes Conseil, les managers sont les acteurs incontournables et fragiles du dialogue social. Incontournables parce que ce sont eux qui gèrent, au quotidien, les relations avec les représentants du personnel et avec les salariés. Mais aussi fragiles parce que, à l'inverse des spécialistes de la DRH, ils ne sont pas préparés à prendre leur part d'un dialogue social qui obéit à des règles - écrites ou non - complexes. A l'image des cadres dirigeants qui sont passés par les bancs de l'ENA, d'HEC ou de Polytechnique, les cadres de proximité sont d'abord des ingénieurs, des économistes ou des administrateurs. Ainsi, aucune des formations dispensées par ces trois écoles prestigieuses n'aborde sérieusement le dialogue social (lire p. 24).

Entre ignorance et hostilité

Quant aux directions, elles omettent bien souvent d'expliquer à leur encadrement les tenants et aboutissants des règles sociales qu'elles produisent et appliquent. « Le DRH est un étranger pour les managers : lorsque ces derniers apprennent que le DRH a signé un accord sur le dialogue social, ils voient surtout que l'attribution d'heures de délégation à un représentant du personnel leur retire un salarié », illustre Thierry Heurteaux. Pour celui-ci, l'attitude des managers à l'égard des représentants du personnel oscille généralement entre ignorance, neutralité et hostilité.

Cette attitude n'est pas sans risque pour les entreprises. Elle peut conduire le manager, ainsi que son employeur, à se mettre hors la loi, à détériorer le climat social, et à alimenter les revendications collectives. Pour éviter cet écueil, certaines entreprises forment leurs managers aux rudiments du dialogue social. C'est le cas de Lafarge Ciments (lire p. 24) et de Quick (lire p. 25). L'un comme l'autre estiment que ces formations leur ont permis de sécuriser leurs relations sociales. Cependant, pour Quick, les vertus de la pédagogie s'arrêtent aux procédures disciplinaires, rapatriées auprès de la DRH, après quelques dérapages.

Décentraliser

Les entreprises qui forment leurs managers au dialogue social espèrent aussi le décentraliser et, ainsi, le faire coller aux organisations locales de travail. C'est le pari de Renault Trucks (lire p. 26) et de Lafarge Ciments. Dans ces deux entreprises, les directions se félicitent que la négociation collective ait lieu au plus près du terrain, mais des syndicats soulignent que le turn-over et l'inexpérience de l'encadrement de proximité en fragilisent le résultat.

Enfin, ces entreprises veulent créer un climat favorable à la paix sociale en évitant à leurs managers les deux erreurs que sont l'autoritarisme à l'égard des représentants du personnel, et, à l'inverse, le laxisme.

Concurrence

Ces sociétés espèrent aussi, sans l'avouer ouvertement, disputer aux représentants du personnel, notamment aux syndicats, le monopole de la canalisation des revendications des salariés. C'est ce que le CNPF a appelé, à la fin des années 1970, la «politique concurrentielle de progrès social ». A partir de cette date, la confédération patronale, devenue Medef, « assigne à la maîtrise des entreprises les fonctions traditionnellement monopolisées par les syndicats et laisse jouer la concurrence entre ces deux dépositaires distincts des intérêts des salariés », rappelle Nicolas Briche dans son mémoire pour un master de droit du travail présenté, en 2005, à l'université de Lille-2. C'est ce que Jean-Pol Roulleau, coanimateur de l'Observatoire des relations sociales, un club de réflexion réunissant des DRH, des syndicalistes et des chercheurs, appelle la stratégie du «double guichet», qui consiste à faire en sorte que le salarié puisse choisir entre deux points d'écoute : le syndicat et l'encadrement. Il y voit même un moyen de réformer le dialogue social (lire p. 29).

Premier accord

C'était le pari de Cegetel - aujourd'hui SFR - lorsqu'en 2002, alors qu'elle était une jeune entreprise où les relations sociales étaient à construire, elle a signé son premier accord sur le dialogue social (lire p. 28). Cinq ans plus tard, les syndicats se sont structurés et développés, et les managers ont été formés aux bases nécessaires. Cependant, l'esprit dans lequel l'accord s'applique a changé : la situation économique de l'entreprise n'est plus aussi bonne, et la DRH est en train de reprendre en main le dialogue social.

L'essentiel

1 Certaines entreprises ont décidé de mener une politique volontaire d'amélioration des compétences de leurs managers en matière de dialogue social.

2 Elles partent de l'idée que le dialogue social n'est pas seulement l'affaire de la DRH et que les managers de proximité peuvent aussi en prendre leur part.

3 Elles espèrent, ainsi, sécuriser leurs relations sociales et gagner la paix sociale.

4 Cela ouvre la possibilité d'une nouvelle répartition des rôles entre l'encadrement et les syndicats, où les premiers gèrent les mécontentements individuels, ce qui rend les seconds disponibles pour une relation constructive avec la direction.

Auteur

  • Emmanuel Franck