logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Demain

Faire une place à l'humanisme dans la formation à la gestion

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 29.05.2007 | Violette Queuniet

Image

Faire une place à l'humanisme dans la formation à la gestion

Crédit photo Violette Queuniet

L'enseignement supérieur en gestion, en France, forme des supertechniciens mais pas des managers. Ce déficit de compétences relationnelles nuit à l'entreprise. Des pistes existent pour repenser de façon plus humaniste la formation des futurs cadres et dirigeants.

E & C : L'enseignement supérieur en gestion conduit, dites-vous, à un «formatage mental hypergestionnaire» au détriment des qualités humaines. Quelles en sont les conséquences pour l'entreprise ?

Daniel Belet : L'enseignement en gestion est marqué par une approche analytique et par disciplines : marketing, finance, comptabilité, contrôle de gestion, achat, logistique, etc. On saucissonne la gestion, qu'on assimile au management, et on enseigne essentiellement des techniques. On forme des techniciens habiles à manier des outils. En revanche, il existe des carences énormes dans les compétences relationnelles, dans les capacités de discernement et même dans les aptitudes à faire des synthèses et à s'exprimer correctement, à l'écrit et à l'oral.

Les entreprises, du coup, se plaignent des difficultés d'intégration de personnes formatées de cette façon-là. Les frustrations sont des deux côtés : les étudiants s'attendent à aborder des problématiques purement techniques, alors que c'est rarement le cas, et ils ne sont absolument pas préparés, en termes de compétences relationnelles, à l'intégration dans leur environnement.

Il y a une véritable carence dans la culture managériale de base, qui explique bon nombre de dysfonctionnements : stress, ambiance délétère, etc. C'est un vrai problème de société.

E & C : En est-il de même dans l'enseignement des RH ?

D. B. : L'approche instrumentale domine également. Toute la partie management des hommes et des organisations, le leadership, n'apparaît pratiquement pas. C'est assez paradoxal, car le rôle du DRH est aussi de faire évoluer la culture managériale de l'entreprise, de faire respecter un certain nombre de principes. Les DRH reçoivent peu de bagages de cet ordre au cours de leur formation. Tout ce qui est du domaine du management de l'entreprise est considéré comme l'apanage du directeur général.

E & C : Les entreprises expriment-elles des critiques sur l'enseignement en gestion ?

D. B. : Les entreprises sont très timides dans leurs critiques du système de formation. Il y a une sorte de respect de l'académisme en France, une sacralisation des gens censés détenir la connaissance. Les entreprises préfèrent, pour les plus grandes, mettre en place des universités d'entreprise pour leurs meilleurs éléments. On se trouve ainsi, aujourd'hui, devant un paradoxe : les contenus les plus innovants se développent dans les universités d'entreprise : formation-action, approche systémique, entreprise apprenante, etc.

E & C : Que proposez-vous pour développer des compétences de nature relationnelle et humaine dans l'enseignement en gestion ?

D. B. : Je vois deux axes de changement : celui du contenu des cursus et celui des processus d'apprentissage.

En matière de contenu de connaissances, il conviendrait de faire une place qui soit à peu près équivalente à l'apprentissage des techniques de gestion et à celui des sciences humaines : philosophie, sociologie, histoire du management ; alors qu'aujourd'hui, on est à 10 % maximum, contre 90 % pour les techniques de gestion. Autant il faudrait mettre l'accent sur l'apprentissage des techniques en 1re et 2e année, autant, en 3e, quand les étudiants commencent à avoir une expérience de terrain à travers les stages, on devrait insister sur les compétences relationnelles, le leadership, etc.

Les process d'apprentissage sont, à mon avis, à revoir complètement, car l'approche française de l'enseignement est très en retard. On en est toujours au transfert de connaissances comme on transfère le contenu d'une carafe dans un verre. Actuellement, 80 % du process d'enseignement passe par la mémorisation. Or, on sait très bien que l'apprentissage ne fonctionne pas seulement de cette manière. On procède par découvertes, par effets d'expérience et de recherche sur le terrain. Les enseignants modernes devraient être bien davantage des coachs et des conseils pour les étudiants.

E & C : Si les entreprises ne font pas pression, qu'est-ce qui pourrait faire bouger les choses ?

D. B. : L'arrivée progressive de nouvelles normes de développement durable sera sans doute un facteur d'évolution. Ces normes (ISO 26000) devraient se mettre en place d'ici à 2009 ou 2010. Elles concerneront tous les enjeux de développement durable, y compris dans le domaine du management et de l'organisation de l'entreprise.

Les directions générales voudront que leurs entreprises soient homologuées à ces normes et devront faire des efforts en conséquence. Les écoles devront s'adapter et former leurs étudiants. Il y a eu les démarches qualité visant à la satisfaction du client. Je crois que le grand changement à venir sera la prise en compte de la satisfaction du personnel ou, du moins, de la satisfaction conjointe du client et du personnel. Les grandes business schools américaines forment déjà aux 3 P (people, planet, profit) avec une approche systémique. Les établissements français y viendront...

Daniel Belet est professeur de management dans le groupe Sup de Co La Rochelle. Diplômé de l'IEP de Bordeaux et de la Kellog School of Management (Northwestern University), docteur en sciences économiques et en sciences de gestion, il mène également, depuis vingt ans, une activité de conseil et de formation en management des organisations auprès des entreprises.

Spécialiste de l'entreprise apprenante, il est l'auteur de Education managériale (éd. L'Harmattan, 1998) et de Devenir une vraie entreprise apprenante (éd. d'Organisation, 2003).

Il vient de publier un article critique sur l'idéologie des formations initiales en gestion dans la revue Humanisme & Entreprise, n° 281, février 2007.

L'entreprise à l'écoute, Michel Crozier, InterEditions, 1995.

Des managers, des vrais, pas des MBA, Henry Mintzberg, éd. d'Organisation, 2005.

La société malade de la gestion, Vincent de Gauléjac, éd. du Seuil, 2005.

Auteur

  • Violette Queuniet