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Les antennes emploi en accusation

Enquête | publié le : 01.05.2007 | Anne Bariet, avec Pascale Braun

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Les antennes emploi en accusation

Crédit photo Anne Bariet, avec Pascale Braun

Comment améliorer l'efficacité des cellules de reclassement ? Amortisseurs de plans sociaux, elles sont censées permettre aux salariés de rebondir ailleurs. Mais, le soutien qu'elles offrent s'avère souvent insuffisant. Et leurs résultats restent opaques et disparates. Des pistes se dessinent, cependant, pour réformer le dispositif.

Ce 6 février, le Centre des congrès de Caen fait salle comble. Aucun spectacle n'est pourtant au programme. Ce sont des juges et des avocats qui ont pris place sur scène pour un événement plutôt inattendu : le jugement aux prud'hommes d'une plainte de 597 anciens salariés des usines Moulinex de Bayeux, Falaise et Cormelles-le-Royal (Calvados), qui contestent la validité de leur licenciement lors du retentissant dépôt de bilan du fabricant de petit électroménager, en septembre 2001.

Les plaignants ne remettent pas en cause le plan social de Moulinex, mais les motifs de licenciement et, surtout, ils contestent les conditions de leur reclassement. Les résultats ? « Un zéro pointé », martèle Marie-Gisèle Chevalier, l'une des initiatrices de l'action judiciaire et animatrice de l'une des associations d'ex-salariés. Elle dénonce l'incroyable gabegie financière des cellules de reclassement qui, selon elle, n'ont rien fait de bon. Les griefs sont nombreux : absence de bilans de compétences, de moyens logistiques (ordinateurs, fax...), méconnaissance du bassin d'emploi, irrégularité de la venue des consultants, absence d'OVE (offre valable d'emploi)...

Maigre bilan

A Bayeux, en effet, le bilan est maigre : « Un tiers des licenciés ont retrouvé un travail, un tiers bénéficient de l'allocation amiante et un tiers sont toujours sans solution », pointe Marie-Gisèle Chevalier, qui voulait que tout le monde participe à l'audience. Ce sont surtout les hommes qui ont retrouvé du travail, mais c'est une tragédie pour les femmes. Elles ont été sacrifiées. » « Moulinex n'a rempli ni son obligation de résultats, ni son obligation de moyens », ont résumé leurs avocats. Il faudra, toutefois, attendre le 11 septembre pour connaître la décision de l'audience.

Manque de transparence

Exemple atypique ? A Moussey, près de Sarrebourg (Moselle), l'amertume est également forte. Six ans après la fermeture de l'usine Bata, Bernard Hentzgen, ex-secrétaire général de la CFDT et aujourd'hui formateur à l'Afpa, a des mots tout aussi durs pour dénoncer le bilan de la reconversion : sur 342 adhérents à la cellule emploi, qui est restée ouverte dix-huit mois, 115 seulement ont retrouvé un emploi, mais à peine la moitié en CDI. Là encore, la charge à l'encontre de l'antenne est lourde : absence de transparence, manque de réactivité, incapacité à aider les salariés à réellement tourner la page. « La cellule a procédé à de longues évaluations individuelles, alors même que des opportunités se présentaient dans le bassin d'emploi, avertit-il. Rémunéré par mandataire judiciaire, le cabinet de reclassement n'a communiqué aux partenaires sociaux ni son cahier des charges, ni le détail de l'utilisation des fonds. »

Coupables ou innocentes ? Avec de tels résultats, les sociétés d'outplacement collectif sont mises en accusation par les ex-salariés. Amortisseurs de plans sociaux, elles sont pourtant censées permettre aux licenciés de rebondir ailleurs. Mais, si elles s'avèrent nécessaires, le soutien qu'elles offrent est souvent insuffisant. Et leurs résultats restent opaques et disparates.

Un salarié sur cinq retrouve un CDI

Selon une étude du ministère du Travail, la quasi-totalité des 570 plans de sauvegarde de l'emploi, étudiés sur la période 2002-2004, prévoient la mise en place d'une cellule de reclassement. Mais seul un salarié sur cinq retrouverait un contrat à durée indéterminée après le plan social. L'Ires (Institut de recherches économiques et sociales) va même plus loin. Dans un rapport (1), publié en décembre 2005, l'Institut note que « moins d'un salarié licencié sur deux décide d'intégrer la cellule de reclassement » et que « moins d'un salarié sur deux parvient à renouer avec un emploi stable au terme de la cellule de reclassement ».

Myriade de structures

Faut-il, dès lors, réglementer la profession ? De fait, le secteur a attiré une myriade de petites structures et de chasseurs de primes, qui apparaissent opportunément pour répondre à ce sinistre social, avec des consultants recrutés pour l'occasion, mais qui disparaissent aussitôt après avoir encaissé leurs primes. Les employeurs et les CE effectuent souvent leur choix en s'appuyant simplement sur des oui-dire. D'autant que les moyens mis en oeuvre par les cabinets varient du simple ou double.

Conscients des critiques, les «reclasseurs» plaident également pour une refonte du système. Alors que, ces derniers mois, les annonces de plans sociaux se sont accélérées, avec Alcatel, Airbus, la Camif..., des pistes se dessinent pour améliorer ce dispositif parfois mal maîtrisé.

Intervention plus en amont

Pour plusieurs ténors de la profession - Algoé, Horemis, Actentia, BPI -, l'une des priorités est d'intervenir plus en amont, avant l'ouverture du plan social, afin de ne pas être mis devant le fait accompli, une fois les mesures adoptées. Car, comment tenir des engagements sans connaître le bassin d'emploi et les compétences des personnes à reclasser ? « Nous avons notre mot à dire, plaide Fathy Driss, du cabinet Actentia. Pour éviter de réaliser un simple catalogue de mesures, nous devons effectuer, au préalable, une étude du bassin d'emploi afin d'apporter des réponses adaptées. »

Le but étant, in fine, d'adapter l'offre et la demande. Il peut s'agir d'ajuster le budget de formation en fonction des besoins du territoire, de définir, avec plus de réalisme, le nombre d'OVE ou, tout simplement, le délai de la mission. Une démarche qui a, toutefois, un coût pour l'entreprise, « entre 9 000 et 15 000 euros ».

Anticiper les mutations

Les grands cabinets refusent également de jouer aux pompiers de service et prônent, parmi leurs revendications, l'anticipation. Ils préconisent, à l'instar de Jean-François Carrara, responsable de l'activité ressources humaines et emploi chez Algoé, un nouvel outil, aux côtés de la GPEC : des accords de « gestion d'adaptation spécifique», qui viseraient essentiellement à anticiper les mutations, avant même que le plan social ne soit annoncé. « On sait qu'une réorganisation va avoir des conséquences indéniables sur l'emploi. Un tel accord permet de travailler en amont, six à huit mois avant l'annonce des licenciements, dans un climat moins tendu », justifie Jean-François Carrara.

Plus d'un an de préparation

Le principe a, d'ailleurs, été retenu par Michelin, à Bourges, lorsque le groupe a décidé de transférer une partie de son activité à Cholet (Maine-et-Loire). Annoncé en octobre 2006, l'arrêt définitif de la production, prévu pour fin 2007, concernera 350 salariés (sur 800). Pendant plusieurs mois, direction et syndicats ont négocié les modalités d'accompagnement des salariés touchés. A côté du dispositif des reclassements internes, une antenne emploi a été ouverte à la mi-janvier pour les candidats au changement. Un soutien capital au moment où le salarié doit renoncer à son poste.

Autres propositions : celle de renforcer le pouvoir des représentants des salariés. Comment ? Tout d'abord, en les associant au choix de la cellule de reclassement. L'idée suscite encore un vif débat dans les entreprises, habituées à avoir les coudées franches dans ce type de décision. Le gain serait pourtant bénéfique, de l'aveu de Frédéric Bruggeman, consultant au Syndex, un cabinet d'experts-comptables intervenant pour les comités d'entreprise. La représentativité des salariés pourrait également être étudiée. Quelle forme lui donner ? Syndicat classique, structure territoriale pour les plus petites entreprises ou association ad hoc... Peu importe la forme. Mais ce n'est pas un hasard si la plupart des victimes des restructurations se sont regroupées au sein d'associations : les Irréductibles (Moulinex), les Mains bleues (Levi's) ou Decoll'air (Air Lib)...

Accompagnement

Quel que soit leur nom, ces associations pallient les lacunes des dispositifs d'accompagnement en restant en veille plusieurs années après un plan social, lorsque l'antenne emploi a disparu et que les syndicats n'ont plus de légitimité pour intervenir.

Par ailleurs, plusieurs acteurs, comme Frédéric Bruggeman, plaident pour un véritable statut du salarié licencié, calqué sur celui du bénéficiaire d'un contrat de transition professionnelle, qui garantit à la fois une rémunération proche de l'ancien salaire et une durée convenable de reclassement.

Labellisation des cabinets

Faut-il labelliser les cabinets ? L'idée est défendue depuis plusieurs années par Christian Larose, secrétaire général de la CGT textile et membre du Conseil économique et social, ainsi que par Maurad Rabhi, numéro deux de la fédération et ancien secrétaire du CE de Cellatex. Des «outplaceurs», tel Jean-Marie Morenne, directeur de projet au sein d'Axcess, soutiennent également cette démarche. Mais, pour l'heure, cette revendication est restée lettre morte. Des réserves subsistent et seule une validation des compétences des consultants a actuellement cours au Syntec, le syndicat de la profession.

Frédéric Bruggeman préfère, quant à lui, opter pour la publication pure et simple des résultats des reclassement, via un site Internet, par exemple, réalisé par la DGEFP. Une démarche qui fait grincer les dents des professionnels, qui arguent que leur travail ne se limite pas à une obligation de résultats. Cette suggestion aurait, toutefois, le mérite de détecter les «bons plans» des plans sociaux. Et de capitaliser sur la méthode.

(1) Le reclassement des salariés licenciés pour motif économique : responsabilité sociale de l'entreprise ou de la collectivité publique, Revue de l'Ires, n° 47, 2005.

L'essentiel

1 597 salariés de Moulinex de Bayeux, Falaise et Cormelles-le-Royal (Calvados) ont porté plainte, le 6 février dernier, contre la société, contestant la validité du plan social et les conditions de reclassement.

2 Méconnaissance du bassin d'emploi, faibles propositions d'OVE, manque de réactivité... Les sociétés d'outplacement sont souvent mises en accusation par les ex-salariés. Selon une étude de l'Ires, moins d'un salarié sur deux décide d'intégrer une cellule de reclassement et moins d'un salarié sur deux renoue avec un emploi stable au terme de la cellule de reclassement.

3 Conscients des critiques, les reclasseurs plaident pour une refonte du système : intervention plus en amont, accord visant à anticiper les mutations, renforcement du rôle des partenaires sociaux, voire labellisation des cabinets.

Auteur

  • Anne Bariet, avec Pascale Braun