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La sécurité au travail doit être le fruit d'une coproduction

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 24.04.2007 | Pauline Rabilloux

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La sécurité au travail doit être le fruit d'une coproduction

Crédit photo Pauline Rabilloux

La violence à laquelle sont soumis les travailleurs, et notamment les agents du service public, augmente en même temps que la violence de la société en général. Davantage de coopération et de partenariats entre les différents protagonistes impliqués permettrait de coproduire plus de sécurité.

E & C : Pourriez-vous dresser un état rapide de la violence à laquelle sont soumis les agents du service public ?

Thierry Gerber : La violence, en général, est un phénomène en constante augmentation dans la société française. Elle est passée de 2,85 faits de violence contre les personnes pour 1 000 habitants en 1989 à 7,52 pour mille en 2006. Dans la sphère professionnelle, on manque, malheureusement, de statistiques globales. Il faut recourir aux données des entreprises quand elles les enregistrent et aux chiffres communiqués par les CHSCT. Il ne fait aucun doute, cependant, à partir des données chiffrées, même partielles, que, là aussi, la violence augmente. On observe cependant des paliers. Quand la mesure du phénomène est prise dans un secteur et qu'on essaye d'apporter des solutions, les chiffres tendent momentanément à se stabiliser. C'est ainsi, par exemple, que les agressions des agents des trains SNCF ont baissé grâce à la sécurisation des cabines et à des équipes de contrôleurs plus étoffées. Mais, au final, les chiffres ne régressent jamais vraiment et, passé un certain temps, recommencent à augmenter.

E & C : Quelles sont les causes principales du phénomène ?

T. G. : Elles sont multifactorielles et tiennent aussi bien à l'évolution des mentalités des citoyens qu'à la situation sociale ou encore à l'organisation de l'entreprise elle-même. La société du «client roi», relayée par des slogans marketing du type «On vous doit plus que la lumière», «On va vous apporter l'avenir».... me semble, pour une bonne part, illustrer cette montée de l'individualisme sans limites qui met en porte-à-faux les agents de terrain. Le «client roi» demande la satisfaction immédiate de son désir et est prêt à l'exiger physiquement si tel n'est pas le cas. Mais les entreprises ont largement leur part dans la montée du phénomène, dans la mesure où leur logique de rentabilité sans cesse accrue s'embarrasse de moins en moins des clients «indésirables» ou moins solvables. Enfin, il est évident qu'une société où tout le monde n'a pas accès à l'emploi ne peut que dériver vers la violence et l'incivilité.

Dans ce processus, on note deux temps. La première phase - les années 1980-1990 - a été perçue comme celle d'une détérioration conjoncturelle liée aux problèmes économiques et au chômage. Depuis les années 1990, non seulement la violence s'est intensifiée, mais elle a partiellement changé. Une partie de la population ne peut espérer vivre qu'à la marge de la sphère professionnelle, dans une autre logique : celle où les caïds font la loi. Les médias y ont d'ailleurs pris une large part de responsabilité, en se faisant l'écho du moindre incident, transformant ainsi les délinquants en vedettes du petit écran. Par ailleurs, plus le temps passe et plus l'on est manifestement confronté à une logique de conflits interethniques Sur ces tendances sociales se greffent des logiques d'acteurs en lien avec l'âge et le sexe. Alors que les agents les plus âgés tendent à être les plus souples et les plus prudents, les jeunes sont surreprésentés dans les agressions, car ils ont moins tendance à se laisser intimider et plus à répliquer. Les femmes, quant à elles, réputées meilleures négociatrices, sont, elles aussi, surreprésentées dans les statistiques de la violence au travail, du simple fait de leur plus grande vulnérabilité physique.

E & C : Face à cette situation, vous insistez beaucoup sur la notion de coproduction de sécurité entre les différents protagonistes. Pourriez-vous développer cette notion ?

T. G. : On peut distinguer une coproduction de sécurité interne à l'entreprise et une coproduction externe. En interne, le dialogue avec les CHSCT me semble essentiel dans la mesure où ils sont les premiers informés des situations concrètes vécues par les agents. Encore faut-il qu'il soit tenu compte de leurs recommandations. De même, il me semblerait utile de revenir, sur le plan organisationnel, à des logiques de médiation en interne pour tenter, chaque fois que cela est possible - et notamment dans tous les cas d'impayés -, de trouver des solutions amiables qui tiennent compte des éventuelles difficultés financières des usagers. En externe, je pense qu'il peut être intéressant de multiplier les partenariats entre les différents services publics, d'une part (mairies, travailleurs sociaux, écoles...), et les usagers et les agents, de l'autre, afin qu'ils confrontent leurs expériences. De même, je crois beaucoup aux vertus du dialogue entre les agents du service public et les usagers à fin d'information réciproque. Les usagers peuvent alors expliquer les problèmes qu'ils rencontrent et les professionnels envisager des actions d'information et de formation à destination de certains publics sensibles, notamment dans le cadre scolaire. Mais cela, bien sûr, demande de dégager des moyens et du temps, et, surtout, de sortir de la logique strictement technocratique où c'est l'expert qui a le dernier mot. En conclusion, il est important de souligner que la sécurité est une coproduction à élaborer dans la durée entre des travailleurs, des entreprises et des usagers, en prenant en compte les contraintes de tous.

Thierry Gerber anime le réseau CGT insécurité-agressions et sécurité des agents des services publics. Il est entré à EDF en 1981, où il devient, en 2002, chargé de la prévention des agressions pour le compte de la CGT, d'abord chez EDF-GDF, puis dans l'ensemble des services publics.

Il vient de publier un ouvrage intitulé Violence contre agents. Agression et souffrance dans les services publics (éd. Jean-Claude Gawsewitch) et prépare avec des universitaires un ouvrage sur le même thème affinant notamment les aspects quantitatifs et qualitatifs du phénomène de violence contre les agents des services publics.

Face à l'insécurité sociale. Désamorcer les conflits entre usagers et agents des services publics, Suzanne Rosenberg, La Découverte, 2002.

Eloge de la sécurité, Didier Peyrat, Gallimard, 2003.

Auteur

  • Pauline Rabilloux