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Les hypermarchés peinent à reconvertir les caissières

Les Pratiques | Point fort | publié le : 17.04.2007 | Patricia Sudolski

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Les hypermarchés peinent à reconvertir les caissières

Crédit photo Patricia Sudolski

L'arrivée des nouvelles technologies dans la grande distribution à prédominance alimentaire annonce un bouleversement des tâches. En premier lieu, pour le personnel des caisses. Syndicats et patronat s'y préparent. Chacun à sa façon, motivé pour éviter la casse sociale.

Au Simply City (groupe Auchan) du boulevard des Batignolles, à Paris, cinq caisses automatiques ont été installées, voilà quelques semaines. Il est 17 h 15, un mardi, une hôtesse suffit pour surveiller le service. « Au galop ! », s'exclame une cliente hilare devant sa caisse automatique. Elle cale son panier à sa gauche. Devant elle, l'écran et le lecteur. A sa droite, la dépose des articles facturés. Comptabiliser et régler ses dix articles lui prend moins de dix minutes. Derrière elle, trois caisses occupent trois salariées devant lesquelles font la queue une dizaine de clients qui n'ont pas envie de jouer à la caissière. Mais jusqu'à quand ?

Depuis 2005, les caisses automatiques sont en test dans des hypermarchés. A petite échelle. Ainsi, en 2006, chez Carrefour, le processus concernait moins de 20 % des lignes de caisse, toutes enseignes du groupe confondues (Champion, 8 à Huit, Ed, Shopi...). Mais le choix des caisses automatiques est d'actualité. En effet, les hypermarchés renouvellent leur matériel de caisse tous les sept ans (les supermarchés tous les dix ans). La dernière vague d'équipement remonte à 2000, pour le passage à l'euro, 2007 est donc une année de renouvellement pour le parc des caisses.

En 2001, une enquête réalisée par l'ensemble des organisations syndicales a chiffré à 150 000 le nombre de salariés concernés par l'arrivée des nouvelles technologies. En effet, deux arguments principaux jouent en faveur de l'automatisation : le gain de temps pour le client et un investissement en place d'un coût salarial avec ses charges sociales.

L'important, c'est le service

Pour Système U, l'automatisation n'annonce pas la fin des caissières. Selon Claude Masson, patron d'un supermarché de 3 500 m2 à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, près de Nantes, qui emploie 25 caissières, l'important, c'est le service : « Nous avons une culture de fidélisation de la clientèle, il faut surtout éviter l'anonymat. » Il ajoute qu'« il serait illusoire d'affirmer que l'automatisation n'engendrera aucune perte d'emploi. Mais l'emploi qui va être supprimé, ce sera le plus précaire. Pour le reste, les caissières vont se transformer en hôtesses de caisse. Leur tâche sera de vendre la carte de fidélisation, de vérifier les paniers, d'aider le client ».

Combien d'emplois vont disparaître ? La CFDT a fait ses comptes. Selon Aline Levron, responsable du commerce, « la mise en place de caisses automatiques, déjà en vigueur sous forme de «caisses minute» - pour quelques articles - dans 40 des 120 hypermarchés Auchan et dans une trentaine de magasins Carrefour, conduira, avec sa généralisation dans les cinq ans, à la suppression, à terme, de 200 000 emplois ». Au niveau de la branche, un contrat d'étude prospective, mené de façon paritaire et associant l'Etat, est en cours. Il établira des scénarios économiques et sociaux sur les quinze ans à venir. Fin 2007, ses recommandations pour l'emploi et des engagements d'accompagnement seront rendus publics. « Pas d'alarme, affirme Jérôme Bédier, président de la FCD, la fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Notre intérêt, au moment où Internet se développe, est d'humaniser les magasins. »

Selon la FCD, seule la conjugaison de trois facteurs peut être favorable à l'extension de l'automatisation : la désaffection de la clientèle pour les caisses traditionnelles, la hausse du coût global du travail non qualifié, la contestation du temps partiel.

Politique de santé au travail

Pour le moment, la fédération affirme ne pas croire à cette conjugaison. Mieux, elle s'investit dans l'amélioration des conditions de travail des caissières par le biais d'une politique de santé. « En 2006, précise Jérôme Bédier, nous avons travaillé main dans la main, syndicats, patrons, médecins du travail, ergonomes, à l'élaboration d'une étude, Ergodistrib, sur le thème de la santé au travail dans notre secteur. » Un panel d'actions va être décidé avec les syndicats : indicateurs de suivi, formation, sensibilisation, partenariat avec la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie).

Sur la question de l'avenir de l'emploi, les syndicats aimeraient travailler de la même façon. Aussi, ils entendent peser dans le débat. La CFDT, premier syndicat aux élections prud'homales pour le commerce, a organisé, le 13 avril, une journée nationale de sensibilisation sur les conséquences de l'implantation des caisses automatiques. Casino, Carrefour, Auchan sont concernés.

« Le développement économique actuel du commerce n'englobera pas, assure Jean-Louis Bienvenu, secrétaire fédéral CFDT, les pertes générées par l'automatisme, c'est pourquoi nous sommes très inquiets. Cette industrialisation se fait de façon sournoise, sans consultation des syndicats et sans mise en place pour les salariés d'une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences). » Le secteur a vu ses marges se contracter en raison de la guerre des prix. Résultat : l'emploi a souffert. « En 2004, il y a eu stagnation de l'emploi, signale Jérôme Bédier. En 2005, pour la première fois de son histoire, le commerce n'a pas été créateur d'emplois. Mais, en 2006, 8 000 nouveaux postes sont apparus, surtout chez les maxidiscomptes. »

Vers une course à la compétitivité

Une reprise à laquelle la CFDT ne croit pas. « Le parc français est entièrement couvert, il n'existe plus de parts de marché à conquérir, excepté dans la concurrence interne entre enseignes, décrit Jean-Louis Bienvenu. Après la guerre des prix, celles-ci peuvent bien se livrer une course à la compétitivité. » Même alarme à la CGT : « Au mieux, explique Karl Ghazi, secrétaire général pour Paris, le turn-over dans la profession fait que le métier peut disparaître par le non-renouvellement, sans douleur, mais le solde d'emplois, lui, sera négatif d'ici à dix ans. »

« On ne peut pas arrêter le progrès, constate Serge Corfa, délégué CFDT du groupe Carrefour, en revanche, il existe une responsabilité sociale de l'entreprise quand elle modernise. Chez Carrefour, nous avons un accord GPEC. Nous avons demandé à l'employeur de classer les caissières dans les emplois sensibles dans la terminologie GPEC, afin de commencer, dès aujourd'hui, les reconversions. Pour le moment, la direction refuse. »

La fédération, pour sa part, assure qu'il est trop tôt pour prendre des décisions. « Fin 2007, nous aurons le scénario de référence, conclut Jérôme Bédier, et nous mettrons les moyens pour accompagner la modernisation. »

Profil des hôtes et hôtesses de caisse

En 2005, la branche du commerce et de la grande distribution comptait 642 500 salariés, dont 150 000 caissiers. Parmi eux :

- 9 salariés sur 10 sont des femmes ;

- elles sont âgées en moyenne de moins de 34 ans ;

- le turn-over en région parisienne atteint 30 % à 40 % contre 3 % à 4 % en zone rurale ;

- majoritairement, elles sont à temps partiel (26,5 heures en moyenne par semaine) ;

- une sur 10 est en CDD ;

- 10 % à 30 % des effectifs, selon les enseignes, sont des étudiants.

L'essentiel

1 L'avenir des supermarchés est à la mécanisation. De nouveaux outils comme les caisses et le scan automatisés seront, d'ici à dix ans, utilisés par la plupart des enseignes. Quelle part la présence humaine occupera-t-elle ? Tout l'enjeu est là.

2 Pour le moment, les enseignes affirment vouloir préserver l'emploi, garantie de qualité de service, et s'engagent à réaliser une étude paritaire de prospective qui rendra ses recommandations fin 2007.

3 En attendant, les syndicats, inquiets pour le métier des caissières, se mobilisent.

Auteur

  • Patricia Sudolski