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L'organisation apprenante préserve la santé au travail

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 17.04.2007 | Pauline Rabilloux

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L'organisation apprenante préserve la santé au travail

Crédit photo Pauline Rabilloux

Les changements organisationnels dans les entreprises, au cours des trente dernières années, n'ont pas amélioré significativement les conditions de travail ni la santé. En fait, la situation est contrastée selon les typologies d'entreprises. L'organisation du travail apprenante, développée dans les pays nordiques, fait figure de modèle.

E & C : Quel rapport établissez-vous entre l'évolution des conditions de travail et de santé et les nouvelles formes organisationnelles ?

Antoine Valeyre : Les entreprises, depuis les années 1970, ont développé de nouvelles formes organisationnelles pour faire face aux exigences de la concurrence en termes de qualité et de flexibilité. Dans le même temps, les exigences d'autonomie des travailleurs étaient revues à la hausse. Les années 1970-1980 ont été placées sous le signe des revendications sociales et de la dénonciation du taylorisme, rendant nécessaire une réflexion en profondeur sur ce sujet. On aurait pu s'attendre à ce que les nouvelles méthodes de travail influent positivement sur les conditions de travail. Paradoxalement, les innovations organisationnelles ne se sont pas accompagnées, globalement, d'une amélioration des conditions de travail et de sécurité, alors que des tendances lourdes comme la tertiarisation de l'économie ou l'automatisation et l'informatisation de la production constituent des facteurs de réduction des risques professionnels. Dans certains cas, on peut même dire que la situation s'est détériorée.

E & C : Comment comprendre que ces innovations organisationnelles, censées améliorer les conditions de travail, aient parfois eu l'effet inverse ?

A. V. : Tout d'abord, et bien qu'il ait régressé, le taylorisme est encore loin d'être une forme surannée d'organisation. Parmi les entreprises l'ayant abandonnée, la situation est contrastée. Celles organisées en lean production (flux tendus, polyvalence, travail en équipes, raccourcissement des lignes hiérarchiques, qualité totale...) ont même vu les conditions de santé et de sécurité de leurs travailleurs se détériorer du fait d'une intensification du travail. Les contraintes temporelles imposées par la tension des flux, les exigences de la demande et l'urgence dans le traitement des incidents et des dysfonctionnements de la production réduisent, de fait, les marges de manoeuvre théoriques pour construire les bons compromis entre les contraintes de la production et la préservation de la santé, alors qu'une certaine autonomie procédurale existe.

Faute de temps, on oublie de respecter les postures les mieux adaptées, les contraintes physiques et les précautions à prendre pour éviter les risques physico-chimiques. Dans ces organisations, la pression du contrôle reste d'ailleurs importante malgré la tendance à la diminution des niveaux hiérarchiques.

Au contraire, dans des organisations inspirées du modèle sociotechnique scandinave (organisations apprenantes), où la polyvalence s'accompagne d'une véritable autonomie dans les rythmes et les procédures, on a pu observer de meilleures conditions de travail et de santé. La pression temporelle y est moindre et les travailleurs y disposent de vraies marges d'autonomie et d'initiative.

E & C : Comment interpréter de telles différences dans des formes de travail qui, toutes deux, cherchent à innover ?

A. V. : On constate une prépondérance des organisations apprenantes dans les pays nordiques, aux Pays-Bas et, dans une moindre mesure, dans les pays germaniques. A l'opposé, on note un développement important des organisations en lean production au Royaume-Uni, en Irlande, en Espagne et, dans une moindre proportion, en France. Les pays où prédominent les organisations du travail apprenantes sont aussi les plus régulés et ceux où les dispositions législatives sont les plus avancées en matière de prise en compte des questions de santé et de sécurité au travail.

En France, dans un contexte où les conditions de travail tendent à passer au second plan par rapport aux questions d'emploi, les innovations qui se sont diffusées depuis les années 1980 se sont faites principalement en lean production.

E & C : Quelles perspectives peut-on en tirer pour l'avenir ?

A. V. : Il n'existe pas un seul «best way» organisationnel. Certes, aux Etats-Unis, par exemple, après une détérioration inquiétante des conditions de travail, la tendance est actuellement à une nette amélioration du fait de nouveaux règlements fédéraux, de l'obligation de transparence sur la sécurité et du système privé d'assurance qui peut pénaliser largement les entreprises les plus désinvoltes face à la sécurité de leurs salariés. En France, les entreprises se sont mobilisées sur leurs résultats et, depuis les lois Auroux, les innovations se sont raréfiées concernant des formes organisationnelles capables d'optimiser la qualité de vie au travail.

Pour surmonter ce paradoxe d'organisations innovantes qui peuvent se révéler défavorables pour la santé du travailleur, je ne crois pas qu'il faille se focaliser sur le modèle américain, qui suppose des conditions très différentes des nôtres. Par contre, la solution sociotechnique scandinave, qui combine autonomie du travailleur, autocontrôle et qualité, situations d'apprentissage fréquentes, tâches complexes et non répétitives, me semble intéressante, ne serait-ce que parce que, comme dans les pays scandinaves, notre tradition étatique et sociale est forte.

Organisation et intensité du travail, Philippe Askénazy, Damien Cartron, Frédéric de Coninck et Michel Gollac, Octarès, 2006.

Conditions de travail : les enseignements de vingt ans d'enquêtes, Jennifer Bué, Thomas Coutrot et Isabelle Puech, Octarès, 2004.

Les conditions de travail, Michel Gollac et Serge Volkoff, La Découverte, 2000.

Antoine Valeyre est chercheur au Centre d'études de l'emploi (CEE). Diplômé de l'Ensae (Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique), il intègre un laboratoire de psycho-socio-économie, où il effectue des études sur la durée du travail.

Passé par la Datar, puis au Latts (Laboratoire techniques territoires et sociétés), il a étudié les incidences des changements organisationnels sur l'évolution du travail. Il a participé à plusieurs recherches-actions menées dans de grandes entreprises.

Auteur

  • Pauline Rabilloux