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Renault et EDF tentent de réagir aux suicides

L'actualité | L'événement | publié le : 20.03.2007 | Jean-François Rio, Guillaume Le Nagard

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Renault et EDF tentent de réagir aux suicides

Crédit photo Jean-François Rio, Guillaume Le Nagard

Un plan d'action chez Renault, une «mission d'écoute et de compréhension» chez EDF. Ces deux entreprises sont sorties de leur réserve après la série de suicides de leurs salariés.

Une direction générale en état de choc. Le 1er mars, devant un parterre de cadres réunis pour la convention interne des ingénieries et de la qualité, la gravité qui se lisait sur les visages de Carlos Ghosn et de Jean-Louis Ricaud, directeur général adjoint de Renault, en disait long sur l'état d'esprit chez le constructeur automobile après la série de trois suicides de salariés intervenus depuis octobre 2006 dans son technocentre de Guyancourt (78). « Ce jour-là, évoque Gérard Blondel, délégué central CFE-CGC de Renault, nous avons vraiment senti que quelque chose avait changé. » C'est d'ailleurs devant cette assemblée d'ingénieurs que le président de Renault a annoncé sa décision de prendre des mesures concrètes pour que « le technocentre retrouve sérénité et confiance ».

Relations humaines

Présenté lors du comité exécutif du 15 mars et dévoilé le lendemain, le plan d'action se décline en plusieurs niveaux : renforcer le management des équipes ; améliorer les conditions de vie au travail ; mieux planifier la charge de travail et mettre en place les ressources nécessaires ; optimiser la gestion des compétences. « L'enjeu est de renforcer la qualité de la relation humaine au coeur des équipes d'ingénierie et du technocentre », souligne Jean-Louis Ricaud.

Concrètement, le plan doit, en premier lieu, humaniser les relations de travail. Le management de proximité sera ainsi renforcé, et chaque unité de travail tiendra une réunion hebdomadaire, tandis qu'une «Journée de l'équipe» sera instaurée afin de « favoriser les occasions de dialogue et de soutien des collaborateurs par le management ».

Le futur directeur du technocentre sera rattaché au DRH du groupe. Sur sa feuille de route : l'évolution de l'environnement de travail ; l'application des plans de prévention des risques avec les CHSCT ; l'amélioration des conditions de vie quotidienne ; le suivi des analyses de l'observatoire du stress. Autre disposition : la cellule chargée de la planification sera renforcée afin de mieux évaluer et de répartir plus équitablement la charge de travail. Pour tenir le calendrier démentiel de sortie de nouveaux modèles, des recrutements supplémentaires viendront épauler les équipes des ingénieries.

Formations prioritaires

En outre, des programmes de formation jugés prioritaires (informatique, gestion économique, anglais) seront intensifiés afin de « permettre à chacun de se doter des compétences nécessaires pour faire face aux défis de l'entreprise auxquels chaque collaborateur peut être confronté ». En attendant le déploiement de ces mesures, l'enquête diligentée par le Parquet de Versailles se poursuit. Quant au CHSCT, il demande une expertise par un cabinet agréé par les pouvoirs publics.

Chez EDF, la direction tente aussi de réagir aux suicides en série. Quatre salariés de sa centrale de Chinon (37) se sont donné la mort depuis 2004, dont trois ces six derniers mois. Une «mission d'écoute et de compréhension» a été confiée au directeur des risques et à la DRH groupe, chargés de rendre, pour la mi-avril, un rapport à Pierre Gadonneix, Pdg de l'entreprise publique.

Dans la foulée, un plan d'action doit être élaboré. Sur ce site de 1 350 salariés, les syndicats mettent en avant une surcharge de travail, un management fondé sur des indicateurs de performance et une dégradation des conditions de travail. Le 21 août 2004, le suicide de Dominique Peutevynck, 49 ans, qui s'est jeté sous un train, avait été classé maladie professionnelle par la CPAM. Une décision que conteste pourtant EDF, qui a porté l'affaire devant le Tass de Tours. La décision a été mise en délibéré le 14 mai.

Renault, EDF, PSA Peugeot Citroën - un salarié de l'usine de Charleville-Mézières s'est donné la mort le 3 février dernier en invoquant ses conditions de travail dans sa lettre d'adieu -, la question des suicides au travail s'est brusquement invitée dans l'actualité. Elle a été longtemps taboue. Le phénomène n'est pourtant pas nouveau et ne concerne pas ces seules entreprises.

Commission d'enquête

Marie-Claude Beaudeau, sénatrice PC du Val-d'Oise, avait ainsi demandé, en 2004, la tenue d'une commission d'enquête parlementaire sur la situation chez France Télécom. Elle constatait un développement de la souffrance au travail se traduisant, notamment, par une vague de suicides. Selon Christian Larose, président de la «section travail» du Conseil économique et social, les conditions de travail sont responsables de 300 à 400 suicides par an. Des gestes de désespoir qui touchent toutes les catégories socioprofessionnelles, « en particulier les cadres », précise-t-il.

Le stress en observation ?

t Renault, dont trois salariés du technocentre de Guyancourt viennent de se suicider, dispose d'un observatoire du stress. Elle fut même la première des grandes entreprises à demander à l'Ifas (Institut français d'action sur le stress) de mettre en place cet outil, dès 1998. Aujourd'hui, une douzaine d'entre elles disposent d'un tel observatoire.

t Celui de Renault aurait-il dû alerter la direction sur des niveaux de stress susceptibles de conduire à des suicides ? « Un observatoire du stress permet de dépister un certain nombre de troubles dépressifs, qui sont le premier facteur de suicide, indique Eric Albert, le directeur de l'Ifas. Or, une dépression sur deux n'est pas détectée en France. Il est probable que des gens passent, malgré tout, à travers ce filet de l'observatoire, d'autant que la visite médicale obligatoire a désormais lieu tous les deux ans et non plus tous les ans. »

t Le principe de l'observatoire consiste, en effet, à mesurer des niveaux d'anxiété, de dépression et de stress perçu, à l'aide d'un questionnaire informatique d'une dizaine de minutes, lors de chaque visite médicale. En fonction du score, et si le salarié le souhaite, le bulletin édité peut servir de support de discussion avec l'un des 40 médecins de Renault, sensibilisés à ces thèmes par l'Ifas.

t Certaines entreprises sont allées plus loin que Renault dans l'utilisation de leur observatoire, en essayant d'identifier des populations fragilisées et en déclinant des plans d'action (organisation du travail, management) à partir de ses résultats. La CFE-CGC, syndicat majoritaire sur le site de Guyancourt, demande d'ailleurs que les informations issues de l'observatoire soient détaillées par unités de travail et que, étant donné l'espacement des visites obligatoires, la détection du stress et de la dépression soit plus fréquente.

t La CGT, bien plus radicale, considère que l'observatoire sert surtout à « donner bonne conscience à la direction » et rappelle qu'il fut créé, il y a presque dix ans, après le suicide d'un jeune cadre du site de Rueil-Malmaison.

Auteur

  • Jean-François Rio, Guillaume Le Nagard