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Sortir de la notion abstraite de formation

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 20.03.2007 | Pauline Rabilloux

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Sortir de la notion abstraite de formation

Crédit photo Pauline Rabilloux

L'entreprise est supposée entrer dans l'ère de la connaissance. Cela laisse à penser qu'elle deviendrait formatrice, apprenante, ou qualifiante. Mais un salarié gagne en expertise si on lui permet d'enrichir et de réfléchir sur son expérience professionnelle. En entreprise comme dans tout apprentissage, la pratique raisonnée est le meilleur guide.

E & C : Dans l'ouvrage que vous venez de publier, Organisation du travail et développement des compétences, vous remettez en cause le concept d'organisation qualifiante. Quelles en sont les raisons ?

Solveig Fernagu Oudet : Il est utile de repartir du concept de compétence pour comprendre. La compétence relève d'une responsabilité partagée entre l'individu qui la met en oeuvre et le milieu dans lequel elle est déployée. Elle ne caractérise donc pas un individu mais la relation entre celui-ci et son milieu. Cela signifie que certaines organisations devraient être plus propices, plus facilitantes que d'autres au développement des compétences, aux apprentissages en situation de travail.

L'entreprise dite «qualifiante» fait évoluer l'organisation du travail afin de permettre le développement des compétences des salariés. Elle multiplie les situations d'apprentissage et d'analyse des problèmes au sein même des situations de travail - tutorat, polyvalence, travail en binôme, dispositifs d'évaluation, etc. Or, que constatet-on sur le terrain ? L'apprentissage, même dans de telles situations supposées propices, reste le parent pauvre. Il n'est pas au coeur du dispositif mais semble plutôt un effet secondaire du travail, un produit dérivé de l'action. Il a surtout lieu par autoformation, par mimétisme ou par vicariance.

L'étude approfondie du fonctionnement organisationnel de certaines entreprises montre que ce n'est pas l'organisation en elle-même qui est qualifiante, mais certaines situations qui le sont potentiellement, et cela, parce que les salariés ne sont pas d'abord les citoyens de leur entreprise mais, au mieux, des frères d'arme dans l'exécution de telle ou telle mission particulière ; au pire, des individus isolés qui n'osent partager leurs difficultés de peur d'être pris pour des professionnels incompétents.

E & C : Comment promouvoir la compétence des salariés en vue de la nouvelle économie de la connaissance ?

S. F. O. : Plus que des grands principes d'organisation, qui constitueraient une solution miracle, il semble que certains dispositifs plus circonscrits favorisent la montée en compétence des individus et des équipes. Au rang de ceux-ci, la rotation des postes de travail, qui permet au salarié de voir l'entreprise d'un autre point de vue, en se mettant à la place de l'autre ; la participation à un groupe de travail intermétiers ou encore le tutorat. Bref, tout ce qui est matière à expérience, mais dans un contexte de prise de recul par rapport à l'activité ordinaire, permet une appropriation réfléchie des gestes quotidiens. A contrario, le recours aux formations externes par des organismes spécialisés n'est intéressant que si le responsable de formation gère le retour au poste pour permettre au salarié d'intégrer ce qu'il a appris dans ses situations concrètes de travail. Dans les deux cas, c'est le concept d'expérience qui prévaut, mais d'expérience construite, mise en perspective dans une activité plus vaste qui est celle de l'entreprise dans son ensemble, voire de tout un circuit économique.

L'organisation n'est donc pas, en elle-même, automatiquement qualifiante, mais il y a moyen d'organiser localement la qualification en favorisant le décloisonnement des pratiques et les médiations entre les personnes pour augmenter à la fois la prise de conscience cognitive de ce qui est vécu et la motivation des intéressés. Si le salarié, en effet, n'est pas l'ultime cheville ouvrière de la formation, son implication est cependant indispensable et doit être favorisée puisque l'action ne peut être séparée de l'environnement dans lequel elle s'inscrit et dont elle porte l'empreinte. Aujourd'hui, on peut dire qu'on ne sait pas vraiment, en entreprise, «apprendre à apprendre». On conçoit avant tout la compétence comme relevant essentiellement du cognitif, oubliant au passage l'affectif et le social.

E & C : Et à l'avenir ?

S. F. O. : Le concept de compétence me paraît un mot valise qui recouvre un peu tout et n'importe quoi. Car, de quoi est-il question ? De multiplier les connaissances basiques ou de permettre à l'individu d'atteindre à un degré d'expertise dans ses compétences ? De saupoudrage de savoirs et de savoir-faire ou, au contraire, d'un processus d'intelligence des rouages et des situations de l'entreprise qui permettrait à l'individu de s'y situer et d'y progresser ? Si l'on retient la seconde hypothèse, ce n'est qu'à partir de la compréhension de sa ou de ses pratiques que l'individu peut progresser. A partir de son expérience.

La formation ressemble trop, actuellement, à de l'enseignement, à de la théorie qui peut ne pas faire sens pour l'individu. A l'heure où l'on s'intéresse davantage à l'apprentissage dans le cadre de la formation initiale, peut-être serait-il temps de le promouvoir aussi en entreprise, afin de passer vraiment de la notion un peu abstraite de formation à celle de professionnalisation.

Les apprentissages professionnels informels, Philippe Carré et Vincent Charbonnier, L'Harmattan, 2004.

Les illusions du management, Jean-Pierre Le Goff, éditions La Découverte, 2000.

Apprendre de son expérience, Bruno Bourassa et Fernand Serre, Québec, PUQ, 2000.

Solveig Fernagu Oudet a été, au départ, formatrice, audit et conseil en gestion des compétences, puis responsable de formation. Elle est, aujourd'hui, chargée du développement et du déploiement des pédagogies de l'alternance au sein de l'université Claude-Bernard Lyon-1.

Elle est titulaire d'un doctorat sur la liaison entre organisation du travail et développement des compétences. Sa thèse a été reprise dans l'ouvrage Organisation du travail et développement des compétences (L'Harmattan, janvier 2007).

Auteur

  • Pauline Rabilloux