logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Les Pratiques

Les syndicats résistent à la généralisation de l'anglais

Les Pratiques | Point fort | publié le : 13.03.2007 | Rodolphe Helderlé

Image

Les syndicats résistent à la généralisation de l'anglais

Crédit photo Rodolphe Helderlé

Les risques de discrimination linguistique augmentent lorsque l'usage de l'anglais s'impose pour des salariés qui n'ont pas été recrutés sur ce critère. Depuis le jugement de GE Healthcare, les organisations syndicales ont une nette tendance à saisir la justice pour dénoncer le non-respect de la loi Toubon du 4 août 1994.

Depuis le début de l'année, 157 des 650 salariés d'Axa Tech France suivent une formation à l'anglais qui s'achèvera en juillet. Par petits groupes, ils assistent à deux heures de cours par semaine. Le programme est intensif. Ces 157 personnes vont désormais, en effet, devoir échanger en anglais, par écrit et par téléphone, avec des interlocuteurs indiens.

Filiale indienne

Axa Tech, qui se charge des infrastructures informatiques du groupe Axa, a ouvert une filiale indienne de 200 salariés. Cette nouvelle entité reprend à son compte une activité jusqu'alors externalisée par toutes les filiales d'Axa Tech, qui emploie 2 200 salariés au niveau mondial. Axa a donc à la fois internalisé et centralisé une activité, mais en la délocalisant.

Une nécessaire compétence linguistique

En France, une trentaine de salariés de la SSII Atos, qui étaient en poste dans les locaux d'Axa Tech, s'occupaient jusqu'au 1er mars de cette activité. « Cette réorganisation est une opportunité, pour ceux qui ont un bon niveau d'anglais, d'obtenir des postes intéressants. La compétence linguistique va jusqu'à supplanter des compétences métiers, assure Franck Grandmaison, délégué Unsa d'Axa Tech France. Pour des techniciens qui n'ont pas été recrutés sur leur niveau d'anglais, voilà une sérieuse remise en question. Ils ont l'impression de repartir à zéro. » La pression est d'autant plus forte que la direction incite les salariés, sans les obliger, à rédiger les documents directement en anglais.

L'Unsa regrette un manque d'anticipation, puisque le programme de formation et la réorganisation effective se mettent en place quasiment en même temps. Le syndicat n'entend pas contester cette réorganisation en invoquant la loi Toubon du 4 août 1994 (article L. 122-39-1 du Code du travail), qui indique que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français ». Dans ce cas, la marge de manoeuvre juridique est nulle dans la mesure où l'usage de l'anglais est parfaitement justifié par la nouvelle organisation des équipes.

Risques juridiques

Les directions se montrent bien conscientes du risque juridique potentiel lié à l'usage de l'anglais. Notamment depuis que General Electric Healthcare a été condamné, le 2 mars 2006, par la cour d'appel de Versailles, à traduire en français 58 documents techniques, dont certains visaient à corriger des problèmes sur des scanners, par exemple. Le tout assorti d'une amende de 570 000 euros. La CGT, qui a conduit l'action en justice, pointait alors les risques inhérents à l'utilisation de machines mal réglées, tandis que le CHSCT relevait la source de stress que générait cet usage abusif de l'anglais.

La section CFTC d'Europ Assistance n'a, elle aussi, pas hésité à saisir le TGI de Nanterre. L'audience s'est tenue le 9 mars dernier et le jugement sera rendu le 27 avril. Le contentieux tient dans le fait que le groupe italien Generali, auquel Europ Assistance appartient, a décidé de déployer un logiciel de consolidation des comptes en anglais dans toutes ses filiales. Une dizaine de salariés de la comptabilité générale d'Europ Assistance sont concernés.

Source d'erreurs

La direction a bien consenti à dispenser des formations à l'anglais et à traduire le guide papier d'assistance, mais elle se refuse, en revanche, à faire de même avec le logiciel proprement dit, au motif que ce dernier ne sera utilisé que tous les trois mois. « Cette approche conduit à augmenter les risques d'erreurs. En voulant simplifier à l'extrême, on arrive au résultat inverse. En cas d'erreur dans l'utilisation du logiciel, c'est bien le salarié qui sera tenu pour responsable », souligne Muriel Tardito, déléguée CFTC d'Europ Assistance. Cette volonté de généraliser l'anglais dans tous les processus de l'entreprise n'est donc pas forcément source d'efficacité. « Cela crée des zones d'incompétence sans fondements, qui déstabilisent des salariés par ailleurs compétents », estime Philippe Lapille, avocat de la CFTC d'Europ Assistance sur ce contentieux linguistique.

La direction d'HewlettPackard a, quant à elle, fait marche arrière, en janvier dernier, dans son projet qui visait à délocaliser en Inde le service d'assistance téléphonique, dont bénéficient les salariés au moindre souci rencontré avec une application informatique. Un projet gelé, car la CFTC avait saisi l'inspection du travail, qui avait alors adressé à la direction un courrier lui rappelant la loi Toubon. Pour Jean-Paul Vouillet, délégué central CFTC, « ce projet est discriminatoire dans la mesure où 20 % des salariés, particulièrement au niveau des anciens de Compaq, n'ont pas le niveau pour discuter au téléphone en anglais. Délocaliser ce service serait un facteur de stress et de dysfonctionnements ».

Le droit communautaire privilégie l'anglais

Au regard des nombreuses infractions à la loi Toubon, les actions en contentieux sont encore rares. Mais la sensibilité des organisations syndicales sur ce sujet monte en puissance. Un «Collectif pour le droit de travailler en français» réunit, ainsi, des délégués syndicaux de toutes les obédiences. Mais le contentieux n'est pas l'unique solution (lire encadré ci-contre). D'autant que le droit communautaire tend à privilégier l'anglais. Il l'a déjà fait sur les informations associées aux biens et aux produits, c'est-à-dire à l'égard des consommateurs. Pourquoi pas, bientôt, à l'égard des travailleurs ?

La voie du consensus

La mise en place d'une commission de terminologie constitue un moyen, pour une entreprise, de mettre à plat sa politique linguistique.

« Il faut s'entendre sur les concepts que recouvrent les termes clés de l'entreprise. La méthodologie doit s'appliquer à toutes les langues qui y sont parlées. C'est l'occasion de diagnostiquer des dysfonctionnements », explique Loïc Depecker, professeur de linguistique et de terminologie à l'université de la Sorbonne nouvelle.

Une commission de terminologie a été mise en place chez Axa Assistance. Et Jean-Loup Cuisiniez, délégué CFTC d'Axa Assistance, par ailleurs porte-parole du «Collectif pour le droit de travailler en français», de préciser : « L'idée ne vise pas à faire la chasse aux anglicismes. »

L'essentiel

1 La maîtrise de l'anglais est une compétence de base qui s'impose de plus en plus aux salariés français dont le niveau linguistique n'a pas été évalué au moment de leur recrutement.

2 Pour les syndicats, cette généralisation de l'usage de l'anglais se traduit par une discrimination dans les carrières, du stress et des dysfonctionnements. Ils n'hésitent plus à saisir la justice en s'appuyant sur la loi Toubon.

3 Des commissions de terminologie dans certaines entreprises permettent de mesurer les risques de dysfonctionnements inhérents à une approche linguistique unique.

Auteur

  • Rodolphe Helderlé