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Enquête

La RSE negociee

Enquête | publié le : 13.03.2007 | Guillaume Le Nagard

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La RSE negociee

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Dans le monde, 55 multinationales, essentiellement d'origine européenne, se sont engagées sur leur responsabilité sociale d'entreprise (RSE), en signant un accord-cadre avec des fédérations syndicales internationales. Si la valeur juridique de ces textes reste à définir, et le contrôle des engagements à assurer, cette RSE négociée pourrait bien répondre efficacement à certains enjeux de la mondialisation.

Après la mondialisation des échanges, viendrait celle de la négociation sociale ? Même si la tendance est encore timide, les 55 accords-cadres internationaux (ACI), signés par des fédérations syndicales internationales et des directions de multinationales, ont commencé à articuler des normes publiques mondiales (normes de l'OIT, par exemple) et des engagements privés, jusque dans les pays émergents. Et ce, en remontant souvent le long de la chaîne de production, chez les fournisseurs et les sous-traitants. Le premier de cette cinquantaine d'accords a été signé, dès 1988, par Danone et l'UITA, la fédération mondiale des syndicats de l'agroalimentaire, mais c'est surtout à partir de 2002 que ces ACI se sont multipliés, au rythme de huit à neuf par an. Le dernier en date, paraphé en décembre 2006, concerne France Télécom et l'UNI (Internationale de compétences et services).

Conventions fondamentales de l'OIT

Les points communs de ces accords sont la signature d'au moins une fédération syndicale internationale et la mention des droits fondamentaux des salariés que l'entreprise s'engage à respecter (liberté syndicale, refus du travail forcé et du travail des enfants, abolition de toute discrimination, reprenant les conventions fondamentales de l'OIT). Ils peuvent, en outre, témoigner d'un engagement sur des pratiques sociales liées aux rémunérations, à la couverture sociale, à la sécurité et à la santé, etc.

Répertoire pratique

« Les accords les plus récents, comme ceux de PSA ou d'EDF par exemple, progressent, notamment, sur la question de la promotion des engagements auprès des fournisseurs, et sur le contrôle du suivi du texte, auquel les fédérations internationales et parfois les comités d'entreprise européen ou mondiaux sont associés », précise François Fatoux, délégué général de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Cette organisation, qui rassemble des entreprises, des syndicats et des ONG, a publié, le 21 février dernier, une analyse exhaustive des 55 ACI signés à ce jour, sous la forme d'un répertoire pratique de la négociation de ces accords (lire p. 24).

Ces quelques dizaines de textes signés dans le monde ne font sans doute pas encore le printemps du développement durable. Mais le thème agite les syndicats et les DRH d'un nombre croissant de multinationales. « C'est vrai que le sujet revient régulièrement sur la table lors des rencontres avec les syndicats, notamment au niveau européen », indique le directeur des affaires sociales d'un groupe français de BTP.

Nouvelle frontière de la RSE

Les ACI sont une nouvelle frontière en matière de RSE : un ensemble de champs inédits investit la négociation collective, de la gouvernance à l'environnement en passant par la santé... ; les interlocuteurs syndicaux changent ; les comités européens, bien que n'ayant pas le pouvoir de négocier, sont appelés à surveiller le respect des engagements ; enfin, la valeur juridique et l'opposabilité de ces accords restent à définir (lire p. 30). Il n'empêche, ces quelques textes dessinent une nouvelle conception, essentiellement européenne, de l'engagement socialement responsable. Ils émanent d'entreprises d'Europe du Nord (Suède, Danemark, Norvège : 11), d'Allemagne (16), de France (10), et seuls 6 sur 55 sont extra-européens. « La tradition et la culture du dialogue social » y sont plus marquées que sur les autres continents, indique l'Orse.

Contractualisation

Mais en quoi la contractualisation est-elle indispensable à la RSE ? Car un grand nombre d'entreprises, parmi lesquelles plusieurs pionnières américaines, ont déjà choisi de s'engager, mais à travers un code de conduite, de déontologie, ou une charte, adoptés unilatéralement. Et elles font éventuellement valider la conformité à un référentiel établi sur la base de leur charte par des auditeurs internes ou externes. Pour Jean-Luc Vergne, DRH de PSA Peugeot Citroën, groupe signataire en 2006 d'un ACI très précis, notamment sur le dispositif de suivi des engagements (lire p. 29), la réponse ne fait aucun doute : « On ne peut pas faire progresser une entreprise sans les salariés ou leurs représentants ; un accord avec des partenaires est une façon de s'obliger à avancer. » Et de rappeler que cet accord mondial vient aussi couronner une activité contractuelle intense, avec une soixantaine d'accords sociaux depuis sept ans, dont ceux sur l'emploi féminin (2003) et sur la diversité et l'égalité des chances (2004).

Contre-pouvoirs

« On ne peut pas s'autodéclarer socialement responsable, insiste Bernard Saincy, directeur de cabinet de Bernard Thibault, et animateur du collectif confédéral développement durable de la CGT (*). Négocier la RSE, c'est faire jouer des contre-pouvoirs alors qu'il n'existe pas de norme sociale internationale. » En outre, cette démarche de contractualisation a changé le regard des syndicats sur la RSE, comme le rappelle Guy Rider, secrétaire général de la toute nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI) : « Le soupçon existait, en effet, que l'engagement volontaire dans une démarche RSE vise essentiellement à écarter la question de l'encadrement et des sanctions législatives. » De son côté, le Medef, sans le proclamer, adopte une attitude plus progressiste que d'autres organisations patronales dans le monde : sa présence en tant que membre au sein de l'Orse, qui s'est engagé résolument dans la promotion des ACI, en atteste.

Effectivité des accords

Mais de nombreuses incertitudes restent à lever. Côté syndical, il s'agira de déployer des moyens et une expertise suffisants pour veiller en permanence à l'effectivité des accords. Les cas de violation d'accords RSE rapportés sont encore très rares : quelques-uns ont été signalés par l'Uita et ses affiliés pour Accor, sur la question de la liberté syndicale ; par la Fiom, pour les même raisons, chez des sous-traitants de Daimler-Chrysler ou chez un fournisseur turc de Renault, notamment. « Les ressources des fédérations sont limitées, ajoute Guy Rider. Ce qui réduit leur capacité de suivi des accords. »

Autre débat pour ces organisations amenées à négocier sur des champs qui s'étendent bien au-delà de la politique sociale : faut-il multiplier les accords ou travailler plus lentement en assurant la qualité du suivi ?

Modèle de management européen

Difficulté supplémentaire, concernant le périmètre des accords : les pays asiatiques et en particulier la Chine, en sont parfois exclus, de même que les Etats-Unis, en tant que pays non signataires des conventions de l'OIT sur la liberté syndicale. Il est sans doute illusoire d'imaginer une exportation de ce type d'accord RSE. En revanche, il peut renforcer internationalement le modèle de management des entreprises européennes et participer à la réorganisation de la négociation sociale dans le monde.

* Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale. Sous la direction de Michèle Descolonges et Bernard Saincy, La Découverte (nov. 2006).

Les fédérations internationales (*) les plus actives sont les suivantes (source Orse**) :

Certaines fédérations ont fait des accords-cadres l'un des axes stratégiques de leur action. C'est, par exemple, le cas de la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (Fiom), qui fournit sur son site un modèle type d'ACI.

La Fiom, depuis la signature de son premier accord, en 2001, a d'ailleurs progressé dans la définition du contenu nécessaire d'un ACI. Elle insiste désormais sur les engagements demandés aux sous-traitants et aux fournisseurs et sur la place accordée aux organisations syndicales dans le suivi et le contrôle des engagements (lire p. 29).

L'Uita (agroalimentaire, hôtellerie, tabac) considère, elle, que la progression de la syndicalisation au sein des entreprises signataires doit être une conséquence du déploiement des accords, et elle encourage les évaluations des engagements, y compris distinctes de celles prévues par l'accord.

Mis à part les fédérations internationales, dont la signature est indispensable à un ACI, les entreprises peuvent chercher à les compléter par celles des organisations syndicales nationales (comme chez Renault, EDF ou PSA, notamment), avec des fédérations régionales (la FEM, fédération européenne de la métallurgie, est souvent sollicitée) et, enfin, avec le CE européen ou le comité de groupe monde (EADS, Renault, VW).

** Lire aussi Entreprise & Carrières n° 846 et <www.orse.org>

(*) Fédérations syndicales internationales répertoriées dans les ACI (22 déc. 2006).

L'essentiel

1 Dans le monde, 55 accords-cadres internationaux sur la RSE ont été signés à ce jour, par une multinationale et au moins une fédération syndicale internationale.

2 Ils formalisent des engagements en matière de droits sociaux et d'extension de bonnes pratiques RH ou sociétales.

3 Les syndicats signataires et, souvent, le comité de groupe sont associés au contrôle des engagements.

4 La valeur juridique de ces accords, démarches plus volontaristes qu'une simple charte, reste néanmoins à définir.

Typologie des accords-cadres : des droits fondamentaux aux engagements RH :

Créer un cadre global de référence pour l'ensemble des activités d'une entreprise présente dans des pays de droits et de niveaux de vie très divers n'est pas la moindre difficulté des rédacteurs. A cette question de périmètre s'ajoute tout le nouveau champ d'engagement de l'entreprise lié à l'émergence de la RSE, qui n'est plus seulement social, mais sociétal (impact de l'activité sur les populations et l'environnement, légitimité à opérer...).

Les engagements des entreprises

Sur les droits sociaux fondamentaux, ils font, le plus souvent, référence aux conventions fondamentales de l'OIT :

> liberté d'association et reconnaissance du droit de négociation collective (87, 98 et 135) ;

> élimination du travail forcé ou obligatoire (29 et 105) ;

> abolition du travail des enfants (138 et 182) ;

> élimination de la discrimination en matière d'emploi (100 et 111).

Sur les thématiques de ressources humaines, d'autres conventions de l'OIT sont souvent précisées :

> santé et sécurité (155 et 167) ;

> rémunérations, protection sociale et intéressement (95 et 131).

Les entreprises peuvent aussi s'engager à respecter les législations nationales, au minimum, ou à faire mieux, notamment par la négociation locale sur des thématiques comme le temps de travail, les congés payés et la flexibilité, la formation et la mobilité, l'anticipation des restructurations... La gouvernance, la lutte contre la corruption et l'ancrage territorial (emploi et formation des populations locales, respect des traditions ou croyances locales, etc.).

Parmi les autres textes internationaux, figurent dans certains accords la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et le Pacte mondial des Nations unies.

Les signataires

Auteur

  • Guillaume Le Nagard