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Les diplômés de l'université risquent la prolétarisation

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 27.02.2007 | Pauline Rabilloux

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Les diplômés de l'université risquent la prolétarisation

Crédit photo Pauline Rabilloux

Les stratégies universitaires de nombre d'enfants des classes moyennes ou populaires ne garantissent pas leur ascension sociale. Occupant souvent un emploi peu qualifié pendant leurs études et leurs compétences n'étant pas en phase avec celles attendues par l'entreprise, ils sont, très vite, prolétarisés.

E & C : Votre dernier livre s'intitule Le nouveau prolétariat intellectuel*. Qu'est-ce que vous entendez exactement par ce terme ?

François Moureau : Je me réfère à la fois à l'étymologie et au concept de Marx. Ce sont des travailleurs qui n'ont d'autre richesse que leur progéniture et leur force de travail à louer. Depuis le XIXe siècle, les études universitaires n'avaient pas pour objectif la professionnalisation, mais de procurer une base culturelle permettant d'être reconnu dans la société dominante. L'insertion professionnelle se faisait, naturellement, par relations. Mais, à cette époque, la population étudiante n'excédait pas quelques dizaines puis quelques centaines de milliers de personnes. A partir des années 1960, et surtout de 1968, le nombre d'universités et d'étudiants a explosé. Chaque région a voulu avoir son université. Les enfants des classes moyennes et populaires s'y sont précipités. Mais l'ampleur même du phénomène en a ruiné la viabilité.

Le monde professionnel n'a pas les moyens d'intégrer à des postes de responsabilité la totalité des diplômés du supérieur. Nombre d'étudiants issus de ces filières ont donc d'autant moins de chances d'entrer sur le marché du travail qualifié qu'ils sortent de l'université à un âge trop tardif pour être adaptables et, surtout, avec une représentation du monde extérieur qui ne correspond pas à la réalité de l'entreprise. C'est le «principe de moins-value sociale» qui fait que, si les études sont inadaptées à la culture dominante, l'employabilité des individus est inversement proportionnelle à leur niveau d'études. Le paradoxe est que ces futurs chômeurs financent leurs études en pratiquant, de plus en plus souvent à plein temps, une suite de petits boulots non qualifiés. Ils sont, de fait, complètement prolétarisés dès leurs années d'études.

E & C : Qui est, selon vous, responsable de cette situation ?

F. M. : Deux millions d'étudiants inscrits dans le supérieur permettent d'alléger d'autant les chiffres du chômage. L'information sur l'orientation, pour n'être pas théoriquement fausse, laisse largement à désirer quant à sa validité pratique. Mais, pour une bonne part, ce sont les étudiants eux-mêmes qui se sont laissés piéger par le miroir aux alouettes des études supérieures.

On a un peu vite considéré comme acquis que le statut social des jeunes générations devait être plus favorable que celui de leurs parents, lui-même plus favorable que celui de leurs grands-parents. Mais l'ascenseur social ne fonctionne plus, et le problème n'est pas tant, aujourd'hui, de faire mieux que ses parents que de, tout simplement, trouver une place sur le marché de l'emploi.

On peut se demander aussi si, dans ce contexte de prolétarisation des classes moyennes, les études ne servent pas d'ultime rempart contre l'inacceptable déclassement. Car l'avenir professionnel des surdiplômés est au moins aussi préoccupant que celui des populations sans diplômes. La différence est que ce prolétariat new-look et policé n'est pas prêt à faire la révolution ni à mettre le feu. A ce titre, il intéresse largement moins les médias.

E & C : Quelles solutions préconisez-vous pour demain ?

F. M. : Une information réaliste à l'entrée de l'université ne me semble pas suffisante pour endiguer cet échec social massif. La solution n'est pas non plus forcément d'injecter plus d'argent dans l'université, mais de faire éclater la bulle. Une optimisation de la gouvernance des universités serait, bien sûr, utile. Mais le fond du problème est qu'il faudra, à un moment ou à un autre, une vraie sélection pour y entrer, afin d'éviter que des contingents entiers d'étudiants ne se dirigent vers des études socialement inutiles.

A quoi bon, en effet, avoir introduit la professionnalisation massive des filières si les métiers pour lesquels on prépare les étudiants n'ont que des débouchés sans commune mesure avec le nombre des diplômés ? Il est essentiel d'en finir avec une logique où l'on a, d'un côté, une université jalouse de son indépendance et de ses valeurs culturelles et, de l'autre, l'entreprise qui se défie d'individus dont les études n'y sont pas solubles. Pour cela, il est indispensable de multiplier les allers-retours entre le monde des professions et l'université, en favorisant une insertion professionnelle provisoire - apprentissage - après le baccalauréat ou la licence et en nourrissant le dialogue avec l'entreprise.

Le cas de la France n'est pas isolé. Les diplômés des pays africains ou asiatiques vivotant de petits boulots sont légion. Mais la France ne doit pas s'enfermer dans cette situation tiers-mondiste. Pour lever les obstacles à l'emploi des diplômés, il faut en finir avec une logique héritée du Moyen Age, où l'université bénéficiait d'une espèce d'extra-territorialité. L'université de masse n'a d'autre choix que de préparer les étudiants à trouver leur place dans la société d'aujourd'hui, pas dans celle d'hier. Et la société civile doit, de son côté, en prendre conscience et les y aider.

* Editions Bourin, janvier 2007.

On vous rappellera. Journal d'une chômeuse bac + 4, Sophie Talneau, Hachette Littérature, 2005.

Jeunes, on vous ment ! Reconstruire l'université, Jean-Robert Pitte, Fayard, 2006.

Vous avez dit matière grise ?, Claude Allègre, Plon, 2006.

parcours

Professeur à Paris-4, François Moureau est spécialiste de littérature française du XVIIIe siècle et ancien directeur du service de formation continue de son université.

Il est, par ailleurs, directeur des Presses de l'université Paris-Sorbonne (Pups) et a publié une cinquantaine d'ouvrages.

Auteur

  • Pauline Rabilloux