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Un papy-boom qui tombe a pic

Enquête | publié le : 20.02.2007 | Anne Bariet

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Un papy-boom qui tombe a pic

Crédit photo Anne Bariet

Occasion historique de réorganiser l'entreprise, le papy-boom n'inquiète plus les directions des ressources humaines. La priorité étant, aujourd'hui, d'ajuster les effectifs à l'évolution du marché. Résultat ? Des recrutements auront bien lieu, mais ni aux mêmes postes, ni pour les mêmes qualifications.

Des départs certains mais des embauches atténuées. Telle est la contradiction que doivent gérer actuellement les directions des ressources humaines. Les départs à la retraite ont, en effet, commencé. Vague après vague, les baby-boomers quittent l'entreprise. Dans les assurances, ce sont 37 000 salariés qui vont atteindre l'âge de la retraite d'ici à 2009. Dans les banques, le phénomène est identique. Jusqu'à 2015, 5 % des salariés tireront leur révérence. Mais le scénario catastrophe tant redouté n'aura pas lieu. Alors que la plupart des prévisions annonçaient, voilà quelques années, des pénuries de main-d'oeuvre - de l'ordre de 40 000 à 60 000 cadres chaque année jusqu'en 2010, selon l'Apec -, en réalité, l'effet du papy-boom est très atténué. Les raisons ? La réforme des retraites de 2003, qui allonge la durée des cotisations, retarde d'autant les départs et donc les postes susceptibles d'être ouverts au recrutement. Mais la loi Fillon n'explique pas tout. Car, loin des statistiques, c'est une nouvelle partie qui se joue dans les entreprises.

Fin de la logique de substitution

D'après l'enquête sur les effets du choc démographique, réalisée par la Cegos, en 2006, les DRH considèrent de plus en plus les prochains départs massifs à la retraite comme une occasion historique d'ajuster leurs effectifs, voire de poursuivre leur restructuration. Fini la logique de substitution. Le renouvellement ne se conçoit plus poste par poste. Ainsi, en 2006, les entreprises sont deux fois plus nombreuses à se déclarer dans une logique de réduction (32 %) plutôt que d'augmentation (14 %) ; 54 % se tenant dans une logique de maintien des effectifs. Plutôt que de recruter, 40 % des entreprises déclarent avoir modifié leur organisation, ou s'apprêtent à le faire pour limiter leurs effectifs. « En réalité, sans le claironner, les entreprises se saisissent de cette opportunité pour réaliser des gains de productivité », avertit Jean-Michel Brunet, consultant en ressources humaines à la Cegos.

Départs anticipés

Toutes les sociétés ne sont pas sur la même ligne. Dans l'industrie, le papy-boom a été précoce. La profession s'est déjà délestée de ses seniors. La plupart des entreprises du secteur ont, en effet, usé et abusé des départs anticipés. Soit sur leurs propres deniers, au moyen de systèmes privés de préretraites, soit sur ceux de la collectivité - payés par l'assurance chômage -, comme avec les accords de cessation anticipée d'activité des salariés âgés (Casa). Résultat ? Dans l'industrie, l'opération se fera sans douleur. La pyramide des âges est déjà rééquilibrée.

Alstom, par exemple, n'a pas dérogé à la règle. De 2003 à 2006, l'entreprise, acculée à des pertes annuelles récurrentes, n'a pas évité les départs précoces, une mesure plébiscitée à la fois par la direction et par les syndicats pour atténuer le choc des plans sociaux. Idem chez Areva. Les restructurations survenues dans les années 1994-1995 ont apporté l'équilibre de la pyramide des âges. Résultats ? Alstom ne prévoit que 150 départs à la retraite cette année et Areva table sur une fourchette de 1 000 à 1 500. Pas vraiment une hécatombe.

Nouvelles compétences

Les deux entreprises, qui ont d'ailleurs renoué avec la croissance, mettent l'accent sur le recrutement (850 chez Alstom ; 3 000 chez Areva). Mais en se dotant de nouvelles compétences, en majorité des cadres et ingénieurs.

Dans le tertiaire, c'est une autre stratégie qui a cours. Les assurances, par exemple, ont attendu le choc démographique pour entamer leur réorganisation. « Elles se saisissent de cette opportunité pour réorienter le travail du back office vers le front office », assure Gérard Lobjeois, secrétaire général de l'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance.

Redéfinition de poste

La relation client est mise en avant. Les recrutements font la part belle aux experts et aux cadres commerciaux. En revanche, les non-cadres vont faire les frais de cette réorganisation. « Le taux de remplacement sera de un sur quatre, voire de un sur trois », poursuit Gérard Lobjeois. Autrement dit, le rédacteur, plongé jusqu'ici dans ses dossiers, doit aujourd'hui profiter de son contact avec le client pour vendre un contrat supplémentaire. Idem dans les banques. Elles recrutent, mais essentiellement des commerciaux. L'informatisation des systèmes a, là aussi, permis des gains de productivité dans toutes les fonctions administratives. Au bout du compte, si elles communiquent à grand renfort d'affiches et de spots télévisés sur leur campagne de recrutement, les effectifs de la profession ne progressent que très peu, soit 0,6 % en 2005.

A La Poste, la modernisation est également en marche. Dès 2009, l'entreprise publique pourrrait faire face à une ouverture totale de ses marchés avec la fin de son monopole sur le courrier de moins de 50 grammes (celui de poids supérieur étant concurrentiel depuis un an). Rendre l'outil industriel plus performant... C'est l'objectif du plan de modernisation, étalé sur sept ans, qui prévoit, notamment, la création de nouvelles plates-formes industrielles, l'automatisation des centres de tri, une nouvelle organisation de la distribution par équipes ou encore de nouvelles fonctions pour les facteurs, axées davantage sur le service. Pour relever ce défi, l'entreprise souhaite élever le niveau de compétences. Autant dire qu'elle vit les départs à la retraite comme une aubaine.

Nouvelles qualifications

« Dans les centres de tri, le réseau de vente, ou dans la banque, indique Georges Lefèbvre, le DRH, nous n'avons pas toutes les compétences nécessaires. Les plus âgés ont du mal à évoluer vers ces nouveaux savoir-faire. La formation ou la promotion ne suffisent pas. Il faut des compétences commerciales ou financières, avec des qualifications plus élevées, de niveau bac + 2 minimum. Or, actuellement, les plus âgés disposent de compétences de niveau bac. Les départs à la retraite liés au papy-boom constituent une opportunité car ils permettent de recruter de nouvelles qualifications. »

9 500 départs prévus, dont 7 500 à la retraite, mais 6 000 recrutements seulement sont programmés. Or, en 2002, La Poste annonçait un départ pour un recrutement. « Aujourd'hui, nous sommes sur un ratio d'un recrutement pour deux départs, voire, dans certains métiers, de deux recrutements pour trois départs », poursuit Georges Lefèbvre.

Gestion à court terme

Alors, l'effet du papy-boom sera-t-il nul ? Non. « Mais l'appel d'air va être lissé, prévient Alexandre Noto, directeur du cabinet de recrutement Concerto. On ne gère que des recrutements à court terme. Ce n'est pas un manque de réflexion mais une évolution des réflexions. » Pour Xavier Logeais, directeur exécutif de Michael Page, deux scénarios se dégagent : « Soit la conjoncture reste atone et nous n'aurons qu'un effet d'amortissement du papy-boom ; soit la croissance s'améliore et les problèmes de pénurie - déjà observés dans certains secteurs - seront plus criants. Les entreprises n'ont pas de visibilité actuellement et peinent à adopter des stratégies claires. » Autant dire que le désenchantement est à la hauteur des espoirs véhiculés. Notamment pour tous ceux à qui on promettait une décennie en or...

Transmission des savoirs

Reste, toutefois, quelques inquiétudes. Principal point noir : la perte de compétences. Le papy-boom pourrait bien se transformer en... papy blues. Chez DCN, par exemple, 500 ouvriers spécialisés vont partir à la retraite cette année. Or, le métier suscite peu de vocations chez les jeunes. C'est pourquoi l'entreprise réfléchit à une transmission de savoir-faire qui pourrait se faire au-delà des frontières.

Chez Areva également, ce problème est évoqué. « Hier, la problématique était de restructurer, aujourd'hui, elle est d'anticiper la croissance, en Europe, en Asie, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud..., insiste Jean Cassingena, directeur des études stratégiques et des politiques de ressources humaines de l'entreprise. La transmission des connaissances, qui suppose des apprentissages longs, constitue un enjeu majeur. » Autant dire que le tutorat est aujourd'hui érigé en priorité dans cette société. Un must à ne pas négliger.

Les secteurs touchés par le papy-boom

Indolore le papy-boom ? Pas pour toutes les entreprises. Car si les banques misent sur les départs massifs pour se réorganiser et que l'industrie se saisit de l'occasion pour diminuer ses effectifs, la course aux talents a déjà commencé dans d'autres secteurs. Les cabinets d'audit, par exemple, subissent, indirectement, les effets du papy-boom.

Problème de turn-over

C'est, en tout cas, l'avis d'Ernst & Young, qui peine à recruter et, surtout, à fidéliser. Or, le cabinet compte intégrer 1 300 personnes en 2007. L'an dernier, il a embauché 1 250 collaborateurs. « Nous avons sous-estimé la rareté des compétences chez nos concurrents, qui a généré un appel d'air », commentait Véronique Mesnard, responsable de la stratégie RH du cabinet, en novembre dernier. De fait, le turn-over, estimé à 22 %, constitue un handicap majeur pour le cabinet, qui compte peu de seniors. « Nos principaux concurrents n'ont pas suffisamment anticipé les départs à la retraite de leurs salariés, poursuit Véronique Mesnard. Les banques, banques d'affaires et de détail, mais aussi les assurances et les institutions financières ont fait le choix stratégique de retarder leurs remplacements. »

Ainsi, ils n'hésitent pas à piocher dans le vivier des consultants employés par les cabinets d'audit, réputés immédiatement opérationnels, et connaissant, notamment, le nouveau référentiel IFRS (International financial reporting standards) pour la comptabilité financière. Un savoir-faire recherché par le monde de la finance.

Véritable politique RH

Le discours est aussi alarmiste dans les SSII. Elles s'estiment souvent pillées par les DSI (directions des systèmes d'information) de leurs propres clients. Résultat ? Dans cette profession, le turn-over atteint 10 %. De fait, sur les 40 000 créations de poste en 2006, seules 10 000 sont des créations nettes. D'où la nécessité, pour ces secteurs, de développer une véritable politique RH afin de devenir plus attractifs. Toutes les entreprises ne pourront, en effet, se constituer des viviers de compétences pour le jour J.

Autres secteurs touchés : le BTP, l'hôtellerie-restauration et les transports. « Dans ces entreprises, le personnel d'encadrement va avoir tendance à se faire aspirer, prévient Jean-Michel Brunet, consultant en ressources humaines à la Cegos. Ces professions, déjà touchées par des pénuries de main-d'oeuvre, vont avoir de plus en plus de difficultés à recruter. » C'est pourquoi ces fédérations professionnelles cogitent actuellement pour limiter l'hémorragie et regonfler les effectifs (promotion interne, formation, épargne salariale...). Des actions indispensables si elles ne veulent pas voir leurs salariés succomber aux sirènes de la concurrence. Car, si le phénomène n'en est qu'à ses prémices, il n'en est pas moins sensible.

A. B.

L'essentiel

1 Malgré les prévisions antérieures, le papy-boom n'apportera pas ce fameux appel d'air escompté dans le recrutement.

2 Les entreprises se saisissent de cette occasion pour restructurer, voire pour réorganiser le travail.

3 Des opportunités d'embauche existent, toutefois, pour les commerciaux et les financiers ; mais beaucoup moins pour les administratifs et les bas niveaux de qualification.

Auteur

  • Anne Bariet