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Eloge de la lenteur comme nouvelle valeur managériale

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 20.02.2007 | Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

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Eloge de la lenteur comme nouvelle valeur managériale

Crédit photo Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

La hâte est souvent mauvaise conseillère. Forte de ce constat, une association italienne, fondée par une coach et présidée par un manager qui a réalisé une grande partie de sa carrière dans la communication, tente de donner aux entreprises un nouveau point de vue sur la gestion du temps.

E & C : Pourquoi avoir créé une association pour promouvoir la lenteur et en quoi cette démarche peut-elle intéresser le monde de l'entreprise ?

Bruno Contigiani : Cela faisait quelques années que nous réfléchissions, en petit comité, sur le concept de vivre mieux, et il nous est apparu que l'un des maux fondamentaux de la vie contemporaine, notamment au travail, est cette maladie de la hâte, cette hantise de faire toujours plusieurs choses en même temps, sans jamais porter attention au moment présent.

Ella Ceppi : En tant que coach, je constate que beaucoup de managers n'ont souvent pas même cinq minutes de pause entre deux signatures de contrat. Ce manque de moments de «ralentissement» provoque des situations de stress et de tension : un dirigeant, parmi mes clients, avait fini par jeter un lourd dossier à la tête d'un de ses subordonnés ! Nous avons décidé de lancer notre association pour structurer cette réflexion, et aussi parce qu'il est difficile, seul, de lutter contre un monde toujours plus rapide. L'idée de l'association est de se confronter, de mettre en commun les expériences, avec l'objectif de ralentir pour travailler mieux.

E & C : En quoi la démarche que vous proposez se différencie de l'appel à la paresse lancé, en France, par Corinne Maier (2) ?

B. C. : Corinne Maier prône une attitude d'opposition au monde de l'entreprise, où la personne est invitée à donner le moins possible. Nous pensons, au contraire, que l'entreprise a tout à gagner si ses collaborateurs ne sont plus sous pression : la productivité s'améliore, et la créativité a besoin de temps, de moments où l'on n'est pas «dans les tranchées».

Quand nous parlons de lenteur, il ne s'agit pas de réduire la quantité de travail, mais de prendre le temps de développer une vision stratégique, de mettre en ordre les priorités et d'agir en conséquence. Il s'agit, aussi, de remettre en cause les barrières étanches entre vie privée et vie professionnelle. Avoir la liberté de prendre des moments pour soi pendant la semaine, par exemple, permet de ne pas faire une tragédie si on doit finir un travail le dimanche !

E. C. : Notre devise pourrait être : courez quand vous devez, ralentissez dès que vous le pouvez ! L'une des méthodes que nous prônons, et qui donne incontestablement des résultats, est de se concentrer sur une tâche à la fois ; si on doit écrire un rapport, ne pas téléphoner en même temps, etc. La lenteur, c'est aussi comprendre quand il faut savoir attendre, sans s'agiter, par exemple, au moment d'un changement de direction d'entreprise. Rester tranquille le temps de comprendre ce qui se passe permet, ensuite, de prendre les décisions opportunes.

E & C : Quelle réaction constatez-vous au sein des entreprises italiennes face à cette réflexion ?

B. C. : L'Italie, où est né le mouvement du Slow Food, est un bon terrain pour la lenteur. Les petites entreprises familiales adoptent souvent spontanément cette logique, surtout dans certaines régions comme l'Emilie-Romagne. L'ancrage dans le territoire leur donne plus de compréhension, plus de flexibilité : quand il y a un pic de production, on travaille, y compris le week-end, mais rien n'empêche de ralentir quand il y a moins à faire. Certaines filiales de multinationales - IBM, Microsoft - et certaines sociétés italiennes, comme Pirelli, l'entreprise de jeans Diesel ou le producteur de cachemire Brunello Cucinelli, sont relativement avancées sur l'idée d'une gestion innovante du temps de travail. Mais, dans la plupart des entreprises italiennes, reste l'idée qu'il faut contrôler physiquement ce que font les salariés, et ce contrôle passe par la mesure de la quantité de temps employée pour réaliser telle ou telle tâche - une des raisons pour lesquelles le télétravail n'a pas pris pied ici.

La formation managériale est encore très archaïque et l'idée qu'il faut être à son bureau de 8 heures à 22 heures reste fortement ancrée, alors que l'on sait très bien que les dernières heures de la journée sont parfaitement improductives et servent surtout aux jeux de pouvoir !

E & C : Quelles initiatives propose l'association ?

E. C. : Nous avons organisé, le 19 février, une journée de la lenteur, avec de nombreuses initiatives en Italie et dans d'autres pays européens. En ce qui concerne le monde du travail, nous avons mis en place des journées de relaxation et de concentration destinées aux managers.

Nous proposons également aux managers qui nous suivent de partir des «lundis au soleil», c'est-à-dire de prendre, une fois par trimestre, un lundi «chômé». Ces derniers, qui restent tout de même joignables, se rendent compte, ainsi, que l'entreprise peut tourner sans eux, et, quand ils reviennent, ils sont souvent plus attentifs... et plus courtois ! Il est très fréquent, en effet, dans les entreprises italiennes, que les chefs «écrasent» leurs collaborateurs ; pour être important, il faut être un «no smile man»... Outre le fait que cela rend plus créatif, ralentir permet d'éviter les comportements désagréables.

(1) L'art de vivre avec lenteur.

(2) Auteure de Bonjour paresse ! (éd. Poche, 2005).

leurs lectures

Ella Ceppi

L'auberge des femmes tristes, Marcela Serrano ; L'amant, Marguerite Duras.

Bruno Contigiani

Leçons américaines, Italo Calvino ; Comme un roman, Daniel Pennac.

parcours

Ella Ceppi, 47 ans, est «life coach» et travaille, depuis plus de vingt ans, sur la philosophie appliquée à la vie quotidienne, notamment dans le monde du travail. Elle s'intéresse en particulier aux philosophies orientales.

Bruno Contigiani, 60 ans, est aujourd'hui consultant en communication pour plusieurs entreprises, notamment Pirelli Cultura, la branche mécénat de Pirelli. Il a enseigné, durant quinze ans, les mathématiques appliquées avant de réaliser une carrière dans la communication. Il a notamment été responsable du service de presse d'IBM Italia, avant de prendre la tête du service de presse de Telecom Italia, puis la responsabilité de Progetto Italia, la branche mécénat culturel de l'opérateur téléphonique.

Auteur

  • Marie-Noëlle Terrisse, à Milan