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Comment relever les défis du management franco-chinois

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 13.02.2007 | Stéphanie Rigaud, à Shanghai

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Comment relever les défis du management franco-chinois

Crédit photo Stéphanie Rigaud, à Shanghai

La question du management en Chine est très récente, mais il est possible de définir des caractéristiques propres à l'univers professionnel local. Le défi des expatriés français est de créer un management pour moitié importé et, pour l'autre moitié, fruit de la réalité chinoise.

E & C : Est-il possible de parler d'un management à la chinoise ?

Bernard Fernandez : La question même du management en Chine est très récente et la réflexion sur ce thème remonte à la fin des années 1990 avec l'apparition des premiers MBA. Il est donc difficile, aujourd'hui, de parler d'un management à la chinoise, mais il est possible de définir des caractéristiques propres à l'univers professionnel local, des repères et des valeurs qui trouvent leur origine même dans la société.

Pour éviter de tomber dans le piège de la généralisation, il faut également avoir en tête que la réalité chinoise est multiple, en fonction des villes et des provinces et selon l'âge des collaborateurs et de leur vécu, lié à l'histoire récente du pays.

E & C : Quelles sont les différences fondamentales avec la France ?

B. F. : Pour citer les principales, la place du groupe par rapport à l'individu est plus forte en Chine. Une personne réagit rarement par rapport à elle-même, mais plutôt en fonction du groupe auquel elle appartient, et recherche un consensus dans la prise de décision. Le lien social est fort et les sphères professionnelles et privées sont difficilement séparables.

Autre différence, celle du rapport au pouvoir. Un patron a vocation à se montrer exemplaire, à avoir un rapport d'autorité dans une relation qui, à nos yeux, paraît paternaliste.

La question de la face - garder la face, ne pas perdre la face -, compte tenu de l'harmonie sociale recherchée, est également très importante. La communication indirecte et la tendance au contournement sont plus fréquentes.

Le rapport au temps est spécifique aussi. L'action se déduit moins en fonction d'objectifs préétablis qu'à travers un pragmatisme de situation.

E & C : Comment ces différences se manifestent-elles dans la relation de travail et le management des hommes ?

B. F. : Elles conduisent à des incompréhensions et à un écart entre ce qu'on attend d'un collaborateur et ce qu'il a compris. En Occident, par exemple, l'absence de prise de parole lors d'une réunion amène à une sorte de présomption d'incompétence. En Chine, pour préserver l'harmonie du groupe, il est préférable de ne pas se mettre en avant.

Des étrangers reprochent souvent à leurs collaborateurs de ne pas prendre d'initiatives. Ce comportement renvoie au système éducatif chinois, dans lequel on apprend au jeune à respecter l'autorité, adoptant ainsi un comportement normatif. On ne développe pas encore un esprit critique. L'utilisation d'une langue d'emprunt, de facto l'anglais, renforce, bien entendu, les incompréhensions.

D'un point de vue chinois, enfin, beaucoup d'expatriés ont une connaissance partielle et donc partiale de la réalité locale. D'où la défiance de certains Chinois visà-vis des étrangers.

E & C : Dans ce contexte, quel est le rôle de l'expatrié ?

B. F. : Jusqu'au début des années 2000, il apportait son expertise métier, avait pour mission de transférer des compétences techniques et jouait le rôle d'ambassadeur des valeurs de son entreprise. Aujourd'hui, l'entreprise étrangère attend de l'expatrié qu'il transfère, outre les compétences métiers, des compétences managériales, car de plus en plus de postes occupés par des Français ont vocation à l'être par des Chinois. La variable de temps est donc très importante, et la mission d'un expatrié qui gère des équipes locales ne peut se concevoir que sur une durée allant de trois à six ans, faisant alors l'expérience de phases que j'appelle : immersion-adaptation, immersion-compréhension et immersion-intégration.

La connaissance de la langue de l'autre aide à comprendre les situations et crée un lien affectif et une sorte de reconnaissance mutuelle. Créer du capital relationnel est essentiel. Dans un contexte local de fort turn-over, lorsqu'un manager apprécié s'en va, une partie importante de son équipe peut quitter l'entreprise dans les six à huit mois, car l'attachement à l'individu est fort.

E & C : Au final, comment s'organise un management réussi dans un univers franco-chinois ?

B. F. : Le défi est de s'adapter à la réalité locale tout en maintenant les valeurs de son entreprise. Trouver la capacité à s'appuyer sur des modes de travail et des valeurs chinoises et les réinjecter dans l'entreprise française dans un management pour moitié importé et pour moitié fruit de la réalité locale.

La recherche du consensus dans les décisions est un élément essentiel. Dans ce contexte, la détection des hauts potentiels chinois qui ont des perspectives de carrière dans l'entreprise est fondamentale. Il sera possible de développer avec eux une sorte de management participatif, doublé d'une connaissance de la stratégie de la filiale en Chine.

Enseignement d'un dirigeant asiatique, sagesse et efficacité, Korsak Chairasmisak, traduit et adapté par Sophie Faure, éditions d'Organisation, 2005.

Etudes sur Tchouang-Tseu, Jean-François Billeter, éditions Allias, 2004.

Les cultures d'Orient et d'Occident et leurs philosophies, Liang Shuming, PUF, 2000.

Les jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise, Eugène Enriquez, Desclée de Brouwer, 1997.

parcours

Diplômé de Langues'O, docteur en sciences sociales, Bernard Fernandez est professeur à l'EM Lyon. Il a acquis une expérience professionnelle en Grande-Bretagne, en Inde et en Chine. Il conseille les entreprises européennes et forme les managers asiatiques et occidentaux.

Ses thèmes de recherches : mobilité internationale, management interculturel et global-team-building.

Il est, notamment, l'auteur d'un document audiovisuel, intitulé Cross-cultural management in China (EM Lyon, 64 minutes, 2005) et d'un ouvrage, Identité nomade, de l'expérience d'Occidentaux en Asie (Anthropos, 2002).

Auteur

  • Stéphanie Rigaud, à Shanghai