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CES ENTREPRISES QUI VEULENT GERER LA PRESSION

Enquête | publié le : 06.02.2007 | Guillaume Le Nagard

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CES ENTREPRISES QUI VEULENT GERER LA PRESSION

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Le stress et ses effets commencent à faire l'objet d'une prévention, bien souvent déléguée aux seuls salariés : des séances de formation, des massages, un accompagnement psychologique ou sophrologique leur sont proposés. Insuffisant, selon les préventeurs des risques professionnels et certains médecins du travail, qui incitent les entreprises à engager une démarche collective susceptible de modifier leur organisation. Les exemples sont plus rares.

Inexorablement, la tension monte. Dans les dernières enquêtes de la Fondation de Dublin, spécialiste de l'analyse des conditions de travail, près d'un tiers des salariés européens se disent stressés. Et cet organisme insiste, dans sa récente étude sur sept pays, dont la France, sur l'augmentation continue des risques psychosociaux. L'Hexagone ne fait pas exception, et ne compte d'ailleurs pas parmi les pays les plus en pointe sur le sujet. Pourtant, depuis peu, un nombre croissant d'entreprises lancent des initiatives, plus ou moins ambitieuses, dans deux directions : aider leurs salariés à supporter la pression ou rendre les conditions de travail moins pathogènes.

Pour de nombreux médecins du travail, l'INRS et les Cram, il y a urgence. Si le stress n'est pas une maladie, ses effets sur les individus qui y sont exposés de façon chronique sont bien réels et relèvent de pathologies identifiées en consultation : « La souffrance au travail peut notamment se traduire par des troubles du sommeil, de l'appétit, de la respiration, par de la tension artérielle, mais aussi par des troubles musculo-squelettiques, en forte augmentation, et susceptibles d'être une réaction psychosomatique aux situations de travail, énumère Martine Léonard, médecin du travail depuis vingt-six ans, qui exerce à Luneville. Et c'est sans compter les conduites addictives et la consommation croissante d'anxiolytiques. »

Obligation de prévention

Et, pour les entreprises, les raisons d'ouvrir le dossier commencent à s'accumuler : l'absentéisme et la désorganisation des services, l'obligation légale d'évaluer les risques professionnels (document unique), voire le risque d'image dans des sociétés engagées en matière de RSE. Interrogés par BVA en mai dernier, à l'occasion des Assises nationales de la prévention, 73 % des DRH considéraient la prévention des risques professionnels comme une des thématiques à prendre en compte. Ils souhaitaient majoritairement s'atteler à la prévention du stress, même si les trois quarts d'entre eux le jugeaient difficile à appréhender.

Actions tous azimuts

Résultat, beaucoup d'entreprises se lancent en ordre dispersé dans des actions visant à réduire la pression sur les collaborateurs. Aux côtés des vénérables formations à la gestion du stress, les programmes de relaxation, de massage, de «visualisation positive», fleurissent dans les couloirs des sociétés de service. Bureaux zen, conciergerie (pour débarrasser les salariés des corvées de blanchisserie, des courses et autres réservations culturelles ou de voyage), shiatsu et massages minute au poste de travail, «sieste flash», sophrologue : tout pour se relaxer et mieux mobiliser ses capacités d'adaptation. L'éventail des solutions cherchant à renforcer la résistance individuelle aux effets du stress ne cesse de s'élargir, louchant, pour certaines, vers une «philosophie» new age.

Sophrologie

Des entreprises comme Dell, Deloitte (lire p. 30), la RATP ont ainsi commencé à travailler sur ces techniques en proposant à leurs salariés des séances, voire des semaines dédiées. La sophrologie en particulier, après avoir conquis le monde du sport, pour la préparation des compétiteurs aux grands rendez-vous notamment, convainc de plus en plus d'entreprises. Créée par un neuropsychiatre dans les années 1960, cette discipline propose essentiellement des techniques de détente mentale et physique. « Depuis deux ans, des entreprises osent dire qu'elles y ont recours », indique Nathalie Bergeron-Duval, qui intervient de plus en plus régulièrement auprès des salariés.

« Mais les approches individuelles ne peuvent suffire, signale Martine Léonard. D'une part, des enquêtes montrent que leurs éventuels effets sont limités dans le temps. Plus préoccupant, elles risquent aussi d'agir comme un emplâtre sur une jambe de bois, en exonérant l'entreprise d'une réflexion sur les conditions et l'organisation du travail, sur la qualité du management... Mais c'est plus confortable et plus facile à entamer pour une direction d'entreprise. »

Approche collective

Tout comme la Fondation de Dublin, l'INRS, les Cram ou l'Anact, ce médecin du travail plaide pour une approche collective de la prévention des risques psychosociaux. Dans ce cas, les partenaires sociaux accompagnent la démarche. Une évaluation des risques psychosociaux est réalisée avec le médecin du travail, les préventeurs de la Cram ou de l'Anact. Le dispositif prévoit ensuite une réflexion concertée sur l'amélioration des conditions de travail (organisation du temps, des locaux, des process, qualité du management...).

L'INRS a formalisé ce type d'approche collective et forme des préventeurs. A Mulhouse, l'entreprise d'installations électriques Clemessy a ainsi organisé une vaste évaluation via la commission stress de son CHSCT, avec l'aide de la médecine du travail et de la Cram Alsace-Moselle (lire p. 26).

Modes d'organisation

Selon l'Anact, de plus en plus d'entreprises seraient «mûres», désormais, pour ouvrir ce dossier du stress. « La question du harcèlement moral, qui rendait difficile l'appréhension des problématiques de souffrance au travail, est en recul, indique ainsi Philippe Douillet, chargé de mission santé au travail pour l'Anact et coordinateur pour les risques psychosociaux. Résultat : des employeurs qui craignaient jusqu'ici de fragiliser leurs managers semblent, désormais, moins réticents à entamer une démarche sur le stress. » Le réseau des Aract effectue annuellement une cinquantaine d'interventions sur le stress dans les entreprises, mais, il est sollicité plus souvent encore. L'Anact doit publier, en juin prochain, un dossier détaillant certaines de ces actions.

Du côté des observatoires du stress, outil que l'Ifas (Institut français d'action sur le stress) a développé auprès de nombreuses grandes entreprises, le constat est le même : « Les entreprises ont d'abord pris conscience de l'utilité de la mesure, mais, de plus en plus, elles demandent aussi des plans d'action en fonction des résultats de l'évaluation, indique Matthieu Poirot, responsable du pôle santé de l'Institut. Après les phases descriptive et analytique, s'ouvre, en ce moment, chez nos clients, une phase plus stratégique. » Il considère que l'approche centrée sur l'individu, si elle permet à une direction de conserver un sentiment de contrôle, ne traite pas la source du problème.

Partage des responsabilités

Mais la seule approche par les conditions de travail ne permet pas toujours de sortir du rapport de force. Une forme de «partage des responsabilités» permettrait de sortir par le haut dans certaines entreprises : l'employeur s'engage à assurer la qualité des conditions de travail et du management (avec des objectifs et des procédures clairs, des rôles bien identifiés...) ; à cette condition, il apparaîtrait moins vain, et moins suspect, de proposer aux individus les outils pour gérer individuellement leur stress. Chez Clemessy, on a choisi cette troisième voie.

L'essentiel

1 Les risques psychosociaux ne cessent d'augmenter dans les entreprises. Le stress et ses pathologies associées en font partie.

2 Les employeurs doivent prévenir les risques professionnels, et certains ouvrent le dossier du stress des salariés.

3 Les formations, le soutien psychologique, la sophrologie ou les massages - autant d'approches centrées sur l'individu - se multiplient dans les bureaux.

4 Pour les préventeurs de l'INRS, des Cram, des Aract, ces approches sont insuffisantes, voire dilatoires. Selon eux, il faut accepter d'interroger collectivement et de corriger le fonctionnement de l'entreprise.

Facteurs de stress

t L'élévation des exigences du travail (par les objectifs, notamment), corrélée à une autonomie de plus en plus réduite pour l'organiser, est l'une des principales tendances relevée par les enquêtes européennes. C'est aussi la définition des facteurs de stress retenue par l'Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (Osha) (d'après Karasec). L'absence de reconnaissance apparaît comme un facteur aggravant fréquemment mentionné par les salariés.

t Les ouvriers sont exposés au stress autant que les cadres. Mais certaines activités apparaissent plus sensibles à cet égard. Les enquêtes de la Fondation de Dublin mentionnent essentiellement les secteurs de la santé, de l'éducation, l'administration, l'hôtellerie-restauration et les services bancaires. Les femmes en sont les premières victimes, en partie parce qu'elles sont surreprésentées dans ces secteurs.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard