logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Demain

Imaginer les carrières sur une échelle de temps plus longue

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 30.01.2007 | Christian Robischon

Image

Imaginer les carrières sur une échelle de temps plus longue

Crédit photo Christian Robischon

Pour réinventer les trajectoires professionnelles après 50 ans et relever le taux d'emploi des seniors, la France gagnerait à s'inspirer des modèles de ses voisins européens, fondés, notamment, sur l'alternance emploi/formation.

E & C : Le recours massif aux préretraites forme-t-il une spécificité française ?

Jean-Philippe Viriot-Durandal : Initialement, non. Avec les restructurations industrielles, la plupart de nos voisins européens ont mis en place des mécanismes de retraite anticipée à partir de la fin des années 1970. Mais ils sont revenus sur cette approche difficilement soutenable au moment où les réformes des systèmes de retraite imposent un allongement d'activité. La France, elle, a persisté dans une logique d'exclusion précoce du travail, au point que son taux d'emploi des 55-64 ans se limite à 37,8 % en 2005, loin du seuil de 50 % fixé par le Conseil européen de Lisbonne pour 2010. Elle a mis en place d'autres dispositifs d'éviction des plus âgés, tels que le chômage avec dispense de recherche d'emploi, qui concernait 412 000 personnes en 2006.

Cependant, les discours ont évolué et le plan senior 2006-2010 tente de favoriser la prolongation de l'activité professionnelle des travailleurs âgés.

E & C : Quelle est la logique des autres pays ?

J.-P. V.-D. : Façonner une politique compatible avec les objectifs d'allongement de la durée d'activité. Le dernier rapport du COR appelle également à cette mise en cohérence. Les pays scandinaves ont mis en place une véritable politique d'accompagnement et de gestion du capital humain dans le temps, qui forme les travailleurs avant qu'ils ne se disqualifient par l'âge et leur permet d'envisager des secondes carrières à mi-parcours. Ils ont également repensé l'alternance des temps sociaux entre le travail, la vie familiale, et la formation en fonction des étapes de la vie. La fin de carrière ne se déroule plus nécessairement sur un modèle de temps plein. La notion d'activation a, par ailleurs, beaucoup inspiré ces pays, mais aussi la Grande-Bretagne et les Pays-Bas : elle consiste à mettre des moyens pour un retour à l'emploi plutôt que vers l'indemnisation d'une sortie précoce, sans que son application ait toujours été parfaite. La France est restée dans une gestion propre aux sociétés industrielles, fondée sur un découpage strict entre le temps de formation, celui du travail, puis celui de la retraite définitive.

E & C : Existe-t-il une discrimination par l'âge dans le travail ?

J.-P. V.-D. : Moins dans les discours que dans les faits. Les plus de 50 ans ont le sentiment de n'être plus désirés dans l'entreprise. Une étude de 2006, conduite par l'Observatoire des discriminations à La Sorbonne, démontre que les candidats de 48 à 50 ans ont trois fois moins de chances de voir leur CV retenu, à compétences égales, qu'un homme de 28 ans au nom à consonance française. Leur taux de réponses est inférieur à celui d'une femme avec trois enfants, d'un candidat handicapé et d'un autre au nom à consonance maghrébine. Pourtant, la même année, un millier d'acteurs de la fonction RH interrogés dans une enquête Cegos déclaraient que le premier facteur de discrimination résultait des origines ethnique ou religieuse (31 %), devant les inégalités homme/femme (22 %), le handicap (19 %), puis seulement les différences entre jeunes et seniors (14 %).

La question dépasse la gestion du personnel et constitue un véritable phénomène de société, qui pointe le problème culturel français de rapport à la pluralité.

E & C : Le contrat senior représente-t-il un véritable tournant culturel ?

J.-P. V.-D. : Sa création révèle une prise de conscience collective de l'existence d'un problème spécifique à cette catégorie. Mais il maintient une logique de segmentation par âges. Il me semble important de mettre l'accent sur l'aménagement des parcours avec l'alternance emploi/formation, comme en Finlande. Cela étant, les politiques incitatives ne suffisent pas, l'enjeu est de créer un contexte général dans lequel les salariés et les DRH projettent les carrières sur des échelles temps beaucoup plus longues. Ce qui induit de se montrer un peu plus inventif. Pourquoi, par exemple, ne pas trouver des postes moins exposés sans pour autant cantonner les fins de carrière aux voies de garage ? Par ailleurs, le mythe français de la monocarrière avec progression linéaire du salaire, suivie de la retraite comme voie de sortie obligatoire, me semble avoir vécu dans notre société postindustrielle.

E & C : Quelle place pourront prendre les retraités dans les toutes prochaines années, lorsque la génération du baby-boom sortira du monde du travail ?

J.-P. V.-D. : Cette génération dispose d'atouts considérables avec des ressources économiques, sociales et relationnelles sans précédent dans l'Histoire. Elle est plus autonome, plus consumériste et plus revendicative que les précédentes. Notre équipe de recherche s'intéresse à l'impact de son arrivée sur la vie associative. Nous cherchons des partenaires du monde de l'entreprise pour soutenir des études sur le passage entre l'emploi et le monde associatif. Nous souhaiterions, dans ce but, mettre au point un bilan de potentiel à destination des futurs retraités, en y associant quelques partenaires RH (contact : reiactis.org@ gmail.com)

Repenser la solidarité au XXIe siècle, Serge Paugam, 2007, PUF.

Vieillissement au travail, emplois et retraites, Frédéric Lesemann et Martine d'Amours, éd. Saint-Martin (Québec), 2006.

L'âge de l'emploi, Anne-Marie Guilllemard, 2003, éd. Armand Colin, 2002.

parcours

Docteur en sociologie, Jean-Philippe Viriot-Durandal est maître de conférences à l'université de Franche-Comté, professeur associé à l'université de Sherbroke (Canada) et membre du Groupe d'étude pour l'Europe de la culture et de la solidarité (Gepecs) à Paris-5.

En 1997, il a travaillé aux Etats-Unis comme assistant à la commission vieillissement du Sénat.

Il a participé, pour l'ONU, à la préparation du Sommet de Madrid de 2002 sur le vieillissement de la population. Il siège dans divers groupes de travail européens.

Auteur du Pouvoir gris (PUF, 2003), il a aussi dirigé deux numéros des Cahiers de la Fiapa sur l'influence politique, économique et sociale des seniors.

Auteur

  • Christian Robischon