logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Quel enjeu pour la santé des salariés ?

Enquête | publié le : 23.01.2007 | J.-F. R.

Image

Quel enjeu pour la santé des salariés ?

Crédit photo J.-F. R.

Si le règlement communautaire Reach représente une avancée incontestable sur le plan de la connaissance, il ne révolutionnera pas, en France - pays où l'utilisation des produits chimiques est déjà très encadrée -, les techniques de prévention des entreprises utilisatrices.

Dans l'Union européenne, une maladie professionnelle sur trois est le résultat d'une exposition à des produits chimiques. D'après Eurostat, 200 000 Européens déclaraient, en 2004, avoir été victimes, un an plus tôt, d'une maladie professionnelle de la peau, et 600 000, d'une maladie du système respiratoire. En France, selon une enquête de l'INRS, réalisée à la demande de la Direction générale du travail, portant sur un inventaire des agents chimiques CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) utilisés en milieu professionnel, 4,8 millions de tonnes d'agents chimiques CMR ont été consommées l'an dernier. « Pour 10 agents chimiques CMR, précise l'organisme de prévention, la consommation est supérieure à 100 000 tonnes/an alors que pour 168 CMR la consommation est très faible ou nulle. Les industries pharmaceutiques et chimiques sont les principales consommatrices primaires d'agents chimiques CMR, même si ceux-ci sont largement utilisés dans un grand nombre de secteurs d'activité en raison de leur présence dans des formulations de produits industriels. »

En matière d'exposition, la dernière enquête Sumer, pilotée par le ministère du Travail (impliquant 1 800 médecins du travail et 50 000 salariés), révèle que 38 % des salariés sont exposés à un ou plusieurs produits chimiques dans le cadre de leur vie professionnelle.

7 millions de personnes exposées

Près de 7 millions de salariés sont ainsi confrontés, sur leur lieu de travail, à des risques chimiques, de la simple brûlure aux irritations, en passant par des allergies et des effets cancérogènes différés. Cette population a augmenté de 700 000 personnes en dix ans, notamment dans la construction (+11 %), l'agriculture et l'industrie (+7 %).

Autre constat : 24,9 % des salariés (+ 1,7 % par rapport à 1994) ont été exposés à au moins un produit chimique pendant 2 heures et plus au cours de la semaine précédant l'enquête. Une proportion qui monte à 45,6 % pour les ouvriers non qualifiés (+7,2 %) et à 47,6 % pour les ouvriers qualifiés (+6,9 %). Conclusion de Marie-Christine Floury, chargée d'étude à la Dares, lors d'un colloque sur la santé au travail organisé par nos confrères de Liaisons sociales : « L'exposition aux produits chimiques augmente globalement pour les catégories qui sont déjà les plus exposées. »

Réel progrès

Dès lors, la mise en oeuvre de Reach est-elle de nature à améliorer ces statistiques ? « En matière d'évaluation des produits, il est évident que Reach représente un réel progrès. Dans mon entreprise, nous avons des données détaillées et précises sur les substances que nous produisons. Toutefois, nous sommes aussi acheteurs. Force est de constater que la qualité des informations transmises par nos fournisseurs est à géométrie variable », souligne Thierry Simonet, médecin du travail sur le site ExxonMobil de Notre-Dame-de-Gravenchon (76), qui emploie 2 500 personnes sur ses unités de raffinage et de pétrochimie.

Reportings mensuels

« Reach intéresse surtout nos fournisseurs de matières premières. Lesquels font déjà l'objet de nombreux audits. Plus globalement, la prévention du risque chimique, partie intégrante de notre politique HSE (hygiène-sécurité- environnement), est pilotée par un comité. Baptisé Covalis, il procède à des reportings mensuels, qui arrivent directement sur le bureau de la direction générale. Dans chacun des pays où nous sommes implantés, nos standards en matière de prévention sont supérieurs aux réglementations locales », détaille Gilles Lhernould, ex-DRH de Sanofi-Aventis, aujourd'hui en charge des affaires industrielles.

Chez Rhodia (lire article p. 28), Jean-Paul Pérès, directeur «responsible care» et directeur de projet Reach, reconnaît également que le principal chantier engendré par le règlement européen consiste à connaître les compositions chimiques utilisées dans les mélanges livrés par ses fournisseurs. « Ce recueil de données, explique-t-il, a commencé il y a plus de six mois. Aujourd'hui, nous nous attendons à ce que certains fournisseurs, en particulier ceux situés hors des frontières européennes, disent qu'ils n'ont aucun intérêt à effectuer l'enregistrement et l'analyse de leurs substances. »

Politique de prévention

S'il apparaît évident que Reach va impacter positivement les politiques de prévention - c'est particulièrement vrai pour la substitution, où l'on remplace trop souvent un produit dangereux par un autre dont on ignore totalement les effets sur la santé humaine -, il ne constitue pas, pour autant, pour les entreprises françaises de la chimie ou des secteurs aval utilisateurs de produits chimiques, une révolution. Selon Patrick Lévy, médecin-conseil à l'Union des industries chimiques (UIC), « le travail des entreprises en matière d'évaluation et de prévention est déjà fortement encadré. Reach va enrichir la traçabilité des produits et permettra, grâce aux données mises à disposition par l'Agence d'Helsinki, une meilleure transparence ».

Dans l'Hexagone, la prévention du risque chimique est régie par deux textes principaux relativement récents, traduits dans le Code du travail, le décret CMR de 2001 et le décret de 2003 sur les agents chimiques dangereux. En outre, le pouvoir des inspecteurs du travail a été renforcé par la loi de modernisation sociale de 2002. Ils peuvent, ainsi, décréter l'arrêt d'une activité en cas de dépassement réitéré des valeurs limites d'exposition professionnelle. Grosso modo, pour agir sur le risque, l'entreprise doit tout d'abord procéder à un inventaire des agents chimiques utilisés et des situations de travail donnant lieu à des expositions.

Obligation de substitution

L'entreprise a, ensuite, une obligation de suppression ou de substitution du produit dangereux. Lorsque ces opérations ne sont pas possibles, le travail en vase clos doit être favorisé. A défaut, c'est la protection collective (captage à la source, mécanisation...) qui prend le relais et, en dernier ressort, les dispositifs de protection individuelle. Sans oublier la formation et l'information des salariés, qui sont des obligations pour les employeurs.

« Sur notre site de Notre-Dame-de-Gravenchon, illustre Thierry Simonet, médecin du travail chez ExxonMobil, nous ne pouvons pas nous passer du benzène, un produit classé CMR. Dans ce cas, il y a une panoplie de procédures à déployer, qui vont du collectif à l'individuel. Cela commence par le travail en vase clos. Nous procédons aussi à des mesures de conformité des valeurs d'exposition. Et si nous constatons des pics d'exposition, il y a la protection individuelle, qui est contraignante et plus difficilement acceptée, mais qui reste, le cas échéant, indispensable. » Une trame qui ne bougera pas fondamentalement avec l'avènement de Reach mais qui gagnera en pertinence.

Un accord européen sur la silice cristalline

Répertoriée dans le classement des produits cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui relève de l'OMS, la silice cristalline fait, depuis le 17 novembre 2006, l'objet d'un accord européen. « C'est la première fois, explique Patrick Lévy, médecin-conseil de l'Union des industries chimiques (UIC), qu'un texte européen relatif à la santé au travail est signé entre partenaires sociaux à propos d'une substance chimique. »

La silice cristalline, c'est le sable de nos plages. « Quand on la broie, détaille Michelle Wyart, secrétaire générale de l'association européenne des minéraux industriels (Ima), elle dégage de fines poussières. Une personne exposée de façon prolongée à un niveau exagéré peut déclencher la silicose. » Une fibrose qui peut provoquer un cancer bronchique ; 704 cas de silicose sont répertoriés chaque année en Europe. « Le consensus chez les producteurs et utilisateurs de cette matière a été facile à trouver, assure Michelle Wyart, car la maladie peut être prévenue dans 100 % des cas. »

Quatorze secteurs sont signataires, dont le verre, le ciment, la fonderie, les mines... « L'objectif de cet accord, indique Patrick Lévy, va au-delà de ce que prévoit Reach, en termes d'évaluation des risques mais aussi de prévention sur les lieux de travail. » Ses principes prévoient : l'évaluation des risques, la vérification des limites d'exposition, le recours en cas de dépassement des limites d'exposition aux bonnes pratiques décrites dans l'accord, le contrôle de la mise en oeuvre de l'accord par un conseil de suivi paritaire.

« L'investissement exigé, assure Michelle Wyart, c'est d'apprendre à mieux faire. » Ce qui signifie un effort en temps et en personnel. Les grands groupes l'ont déjà fait, restent les PME. « Nous espérons qu'au travers de cet accord, souligne Michelle Wyart, la prévention aux risques d'exposition à toutes les poussières dangereuses progressera. »

Auteur

  • J.-F. R.