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La prevention des risques chimiques dopee par Reach

Enquête | publié le : 23.01.2007 | Jean-François Rio

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La prevention des risques chimiques dopee par Reach

Crédit photo Jean-François Rio

Grâce à un enrichissement de la connaissance sur la nature des substances chimiques et leur utilisation, le règlement Reach, qui a été adopté en décembre par le Parlement européen, va impacter positivement les politiques de prévention.

Ouf ! Après des années de tractations, de batailles législatives, et un lobbying encore jamais atteint au niveau des instances politiques de l'Union européenne, le règlement Reach (Registration, Enregistrement, Evaluation and Authorisation of Chemicals) sur l'évaluation et l'enregistrement des substances chimiques a été adopté en seconde lecture par le Parlement européen le 13 décembre dernier. Ce règlement, qui devrait pouvoir entrer en vigueur le 1er juin prochain - mais il ne sera pleinement opérationnel qu'à compter de la fin du premier semestre 2008 -, s'applique directement, à la différence d'une directive qui doit être transposée. « La philosophie générale de Reach, explique Patrick Lévy, médecin-conseil à l'Union des industries chimiques (UIC), c'est la mise en cohérence des pratiques d'évaluation concernant la santé au travail, l'environnement, et la protection des consommateurs. Ces approches sont, à ce jour, compartimentées. C'est aussi l'évaluation d'un produit tout au long de son cycle de vie, de sa création jusqu'à la gestion des déchets. »

30 000 substances chimiques

L'apport essentiel de Reach se joue au niveau de la connaissance. Il vise à passer au crible quelque 30 000 substances chimiques produites ou importées à plus d'une tonne par an, sur quelque 100 000 produits méconnus. En effet, si les substances produites depuis 1981, environ 4 000, faisaient l'objet d'une évaluation, il n'en était rien pour celles introduites avant cette date. Un chantier colossal qui durera onze ans et qui sera centralisé par une agence européenne basée à Helsinki, dont l'ouverture est programmée en 2008.

Evaluation nationale

Chaque pays devra, toutefois, créer sa propre structure d'évaluation. En France, cette expertise sera confiée au Bureau d'évaluation des risques des produits et agents chimiques (BERPC), né en 2005 d'un partenariat entre l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Les substances les plus dangereuses, celles qui sont cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR), devront, elles, être soumises à autorisation.

L'autre bouleversement de ce règlement repose sur l'inversion de la charge de la preuve. Ce ne sont plus les autorités publiques, mais les industriels qui devront démontrer l'innocuité de leurs produits. « Dans le système actuel, observe Tony Musu, chercheur à l'Institut syndical pour la recherche, la formation et la santé-sécurité, les Etats membres se répartissent le travail, ce qui est très lent et surtout inefficace. En dix ans, seulement une quarantaine de substances ont été analysé jusqu'au bout du processus d'évaluation. »

Syndicats déçus

« Reach représente un espoir déçu pour la santé des salariés. Sa portée sera a minima », remarque Gilles Seitz, responsable santé, sécurité au travail à la CGT et membre du Comité consultatif santé et sécurité au travail de Luxembourg (étude et avis sur les textes européens). Pour les défenseurs des salariés et de l'environnement, Reach comporte, en effet, deux déceptions majeures. La première concerne le rapport sur la sécurité chimique, qui ne sera rendu obligatoire que pour les volumes de production supérieurs à 10 tonnes par an. Concrètement, il ne concernera qu'un tiers des 30 000 substances. Autrement dit, de nombreuses PME de la chimie échapperont à la réalisation de ce document, élément clé du dossier d'enregistrement. De nombreux produits passeront donc entre les mailles du filet.

Politique de prévention

Le rapport sur la sécurité chimique est pourtant un élément capital de la politique de prévention, puisqu'il porte sur l'évaluation et les mesures de gestion du risque tout en permettant d'enrichir la fiche de données de sécurité (FDS), essentielle pour la connaissance des utilisateurs d'un produit et donc pour la protection des salariés exposés.

L'ultime bataille de Reach a porté sur les mécanismes du principe de substitution des produits CMR. Les eurodéputés ont finalement décidé que certains pourront continuer à être utilisés à condition que les risques soient «valablement maîtrisés» par les industriels. S'il n'existe pas d'alternative, ces derniers devront toutefois engager un plan de recherche et de développement. Une disposition qui, selon la Confédération européenne des syndicats, est en totale contradiction avec la législation européenne sur la protection des travailleurs. En dépit de ces controverses, le règlement Reach « devrait permettre de fournir aux employeurs des données toxicologiques pour améliorer la prévention », juge Jérôme Triolet, responsable du pôle risques chimiques au département expertises et conseils techniques de l'INRS.

La France se prépare

Après l'adoption de Reach, en décembre 2006, le gouvernement français se met en ordre de marche. En lien avec les ministères du Travail, de la Santé et de l'Industrie, le ministère de l'Ecologie et du Développement durable orchestrera la mise en musique du règlement communautaire. L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) proposera, quant à elle, les priorités en matière d'évaluation, d'autorisation ou de restriction et veillera à la cohérence des travaux d'évaluation des risques sur les substances. Le BERPC (Bureau d'évaluation des risques des produits et agents chimiques) assurera, de son côté, l'expertise scientifique et contribuera aux travaux de certains comités de l'Agence européenne d'Helsinki.

Le gouvernement souhaite renforcer les contrôles, qui seront assurés par les douanes, la direction générale de la concurrence, l'inspection du travail et l'inspection des installations classées, dont les actions seront coordonnées par un comité interministériel. En outre, à l'instar des chantiers de désamiantage, seront organisées des opérations communes de contrôle.

L'essentiel

1 Le réglement communautaire Reach (Registration, Enregistrement, Evaluation and Authorisation of Chemicals) propose d'analyser quelque 30 000 substances chimiques produites ou importées à plus d'une tonne par an avant 1981.

2 Avec Reach, les industriels devront, désormais, prouver l'innocuité de leurs produits.

3 En améliorant la connaissance sur les substances chimiques, la prévention sera renforcée pour les salariés exposés.

Compromis difficile à trouver

Reach est le fruit d'un compromis préservant, d'une part, les intérêts de l'industrie chimique européenne - Allemagne, France et Grande-Bretagne en tête - et, d'autre part, ceux des associations non gouvernementales - Greenpeace s'est, par exemple, fortement mobilisée - et des syndicats européens de salariés. Avant que celui-ci ne soit trouvé, tous les coups ont été permis. « Pour la France, illustre Tony Musu, de l'Institut syndical pour la recherche, la formation, et la santé-sécurité, l'Union des industries chimiques (UIC) a fait un lobbying très important, notamment avec son rapport commandé à Mercer Management Consulting. Celui-ci prédisait 360 000 pertes d'emploi, des délocalisations massives et un coût de 28 milliards d'euros, soit 1,6 % du PIB. Cette étude alarmiste se fondant sur des scénarios improbables a été ensuite démontée par les experts de la commission. Entretemps, elle avait fait son effet sur les politiques. »

A l'intérieur même du gouvernement français, les voix ont été dissonantes, pour ne pas dire « cacophoniques », selon un fin connaisseur du dossier. Le ministère de l'Industrie a ainsi défendu bec et ongles les intérêts d'un secteur qui, avec ses poids lourds (Rhodia, Arkema...) et sa myriade de PME, pèse 95,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel avec 231 424 salariés, ce qui le place au 5e rang mondial et sur la seconde marche du podium européen derrière l'Allemagne ! Dans la droite ligne du plan Santé au travail, dont l'un des objectifs est une réduction des expositions aux agents cancérogènes, les services de Gérard Larcher ont, quant à eux, fait montre d'une farouche détermination sur ce dossier sensible.

Auteur

  • Jean-François Rio