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Le «learning mix» rend l'organisation apprenante

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 23.01.2007 | Violette Queuniet

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Le «learning mix» rend l'organisation apprenante

Crédit photo Violette Queuniet

Des démarches de knowledge management ont tourné court parce que centrées uniquement sur les outils informatiques. Rendre l'entreprise apprenante nécessite d'intégrer d'autres aspects : culturel, stratégique, organisationnel. Le DRH a un rôle central à jouer dans de tels projets.

E & C : Rendre l'organisation apprenante est l'ambition de nombreuses entreprises. Pourtant, les démarches de knowledge management n'ont pas souvent les résultats attendus. Pourquoi ?

Bertrand Moingeon : Si le partage et la création de connaissances, l'enrichissement du capital intellectuel collectif ou encore l'acquisition de «capacités à apprendre» constituent un enjeu affiché par de nombreuses entreprises, rares sont celles qui adoptent une démarche concrète et opérationnelle permettant de relever ces défis. Trop souvent, la tentation est forte d'avoir une approche «outils», la gestion du projet étant confiée à la direction des systèmes d'information. Les exemples d'entreprises ayant investi des sommes significatives dans des bases de connaissances qui n'ont pas été réellement utilisées par la suite sont légion. Il y a une sorte de croyance dans les outils alors que le knowledge management est, avant tout, très lié à ce que j'appelle la «dimension identitaire» : qu'est-ce qui fait que les gens vont être motivés pour partager ce qu'ils savent ou créer de nouvelles connaissances ? Cette question relève de la culture de l'entreprise, de son identité. Toute la difficulté consiste, pour une entreprise, à mettre en place une véritable politique de gestion des connaissances et de l'apprentissage organisationnel.

E & C : Quelle démarche préconisez-vous ?

B. M. : Je propose d'utiliser un modèle intégrateur : le learning mix. Il permet d'appréhender le knowledge management dans toute sa complexité : humaine, stratégique, opérationnelle et technologique. Il comprend quatre facettes en interaction :

- identitaire : il s'agit de développer une culture et une identité apprenantes, ce qui requiert, dans bien des cas, un travail sur les valeurs et les modes de raisonnement ;

- stratégique : toutes les connaissances ne se valent pas. Il faut identifier et gérer les connaissances essentielles et se concentrer en priorité sur celles qui vont conforter l'avantage concurrentiel de l'entreprise ;

- organisationnelle : pour échanger efficacement, il faut définir une organisation et des modes de fonctionnement favorisant la création et le partage de connaissances. L'organisation apprenante a besoin de fonctions dédiées (chief knowledge officer, knowledge manager, knowledge editor, etc.). Cela implique aussi un alignement avec les politiques de rémunération. Dans les objectifs annuels fixés aux collaborateurs, si on veut être cohérent jusqu'au bout, il faut aussi fixer des objectifs qui ont trait au partage et à la création de connaissances ;

- technologique : si la politique de knowledge management ne saurait se réduire à cette dimension, elle joue néanmoins un rôle important, notamment dans les grandes entreprises présentes dans différents pays. Mais même dans ce cas, la technologie reste un moyen et non une fin en soi.

E & C : Ce modèle «intégrateur» demande du temps et de la réflexion, c'est-à-dire ce qui fait généralement le plus défaut aux entreprises. A-t-il un avenir ?

B. M. : Ma conviction est qu'il y a un avenir pour ce type d'approche, même si elle est complexe à mettre en oeuvre. Mais c'est précisément cette complexité qui fait que cela peut être une source d'avantage concurrentiel. Le nombre de déçus des approches purement technologiques ne fait que croître. De plus en plus de dirigeants sont à la recherche d'une méthodologie pouvant les accompagner dans l'élaboration d'une véritable politique de gestion des connaissances. Cette démarche s'apparente à un projet d'entreprise, elle ne peut plus être une action isolée de R & D ou de technologie.

E & C : Quel rôle le DRH peut-il jouer dans une démarche de learning mix ?

B. M. : Je suis convaincu que le DRH a un rôle central à jouer. L'exemple de Danone, avec son chantier de knowledge management dénommé «Networking attitude», piloté par le DRH, en est un très bon exemple. Mais cela requiert que le DRH ne soit pas simplement un technicien des ressources humaines. Il doit se comporter en véritable business partner. Dès lors, il est probablement le mieux placé pour piloter un tel projet, dans lequel la dimension humaine est centrale.

Le DRH devrait davantage être au centre d'un tel dispositif qu'il ne l'est aujourd'hui, car, dans les quatre facettes du learning mix, la dimension identitaire est la plus compliquée à gérer. Les actions d'accompagnement ou de formation continue, qui relèvent du périmètre d'activité du DRH, constituent de puissants leviers pour aider l'entreprise à être davantage apprenante. Concrètement, dans de telles actions, il est nécessaire de centrer la démarche sur le vécu des participants, sur leurs modes de raisonnement. Dans cette perspective, le DRH peut non seulement piloter l'initiative knowledge management mais contribuer activement à sa réussite. Il joue alors pleinement son rôle de business partner.

Savoir pour agir. Surmonter les obstacles à l'apprentissage organisationnel, Chris Argyris, Dunod, 2003.

Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Pierre Bourdieu, Seuil, 1996.

La cinquième discipline : le guide de terrain, Peter Senge, First, 2000.

parcours

Bertrand Moingeon est professeur de management stratégique au groupe HEC, où il dirige les programmes pour managers et dirigeants (HEC Executive Education). Il a également été professeur visitant à la Harvard Business School (HBS).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Organizational Learning and Competitive Advantage (1996, Sage, avec Amy Edmondson, professeur à la HBS) ; Corporate and Organizational Identities : Integrating Strategy, Marketing, Communication and Organizational Perspectives (2002, Routledge, avec Guillaume Soenen), et Peut-on former les dirigeants ? L'apport de la recherche (éd. L'Harmattan, 2003).

Auteur

  • Violette Queuniet