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Enquête

Polémique autour des licenciements individuels

Enquête | publié le : 16.01.2007 | Anne Bariet

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Polémique autour des licenciements individuels

Crédit photo Anne Bariet

Contournement des plans sociaux, indemnités transactionnelles de départ à géométrie variable... Si le Medef souhaite encourager les séparations individuelles à l'amiable, les syndicats de salariés, eux, dénoncent cette provocation patronale. Dans les entreprises, le sujet reste tabou.

Après le débat houleux sur les licenciements boursiers, s'annonce celui, tout aussi vif, des licenciements pour motif individuel, ces départs négociés, selon son statut, tantôt à prix d'or, tantôt au niveau des minima légaux, mais toujours décidés dans le plus grand secret. La polémique a resurgi à l'automne, avec le Medef, lorsque Laurence Parisot, la patronne des patrons, s'est prononcée pour le principe de la «séparabilité», une modalité calquée sur le divorce par consentement mutuel : « Pourquoi faudrait-il que se séparer coûte tant de temps, tant d'argent et soit assorti d'incertitudes aussi graves ? C'est à cause de cela que les entreprises, en France, à la différence de ce qui se passe dans le reste de l'Europe, restent en sous-effectif permanent. Une séparation sans faute ni judiciarisation doit être possible, par exemple, une sorte de séparation par consentement mutuel avec une indemnisation. »

Désaccord des syndicats

Les syndicats n'ont évidemment pas apprécié. Pas question de licencier sans entraves ! Alain Lecanu, de la CFE-CGC, s'inquiète de la montée de ce type de licenciement individuel qui, déjà, touche notamment les seniors, plus fragilisés sur le marché du travail, et déplore la prédominance, dans les relations du travail, des règles individuelles au détriment du collectif. La CGT s'indigne également de l'irresponsabilité des entreprises procédant à des licenciements sans se soucier des conséquences sociales.

De fait, les licenciements pour motif personnel explosent. Alors que, ces dernières années, les licenciement collectifs ont diminué assez fortement, les licenciements individuels sont, eux, restés toujours aussi haut, enregistrant même une progression entre 2001 et 2005. Ainsi, en 2005, 223 405 demandeurs d'emploi ont déclaré à l'ANPE avoir été licenciés collectivement pour des raisons économiques, et plus de 430 000 individuellement. Au total, d'après une étude de la Dares, ces licenciements ont augmenté de 40 % entre début 2001 et fin 2003. Le motif peut relever d'une faute ou d'une insuffisance.

Licenciement collectif masqué

Mais, parfois, la remise en cause personnelle sert à masquer des licenciements collectifs. C'est, d'ailleurs, l'une des hypothèses de travail de deux chercheuses de la Dares, Christine Lagarenne et Marine Le Roux, qui ont réalisé une étude sur ces pratiques (1). Selon elles, « il y a eu un effet de substitution entre les deux types de licenciement, notamment dans les entreprises de plus de 50 salariés soumises à de plus grandes contraintes en matière de licenciement économique ». Autrement dit, les entreprises contournent ces contraintes en obtenant le départ de leurs salariés pour «motifs personnels». En se séparant d'eux un à un, elles évitent l'ouverture d'un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi). Et plus la législation est contraignante, plus les entreprises cherchent à la contourner.

Contrecoup juridique

Alcatel Optronics l'a appris à ses dépens. Le tribunal des prud'hommes de Paris a annulé, en janvier 2005, les licenciements individuels auxquels l'entreprise avait procédé entre janvier et décembre 2002. Quelque 400 salariés avaient, à l'époque, accepté des licenciements individuels avec 12 mois de salaires d'indemnités. Par la suite, 215 d'entre eux avaient porté plainte contre Alcatel au motif qu'il s'agissait d'un plan social déguisé.

D'autres entreprises, comme Matra, à Romorantin, ont eu des ennuis avec la justice, après avoir fraudé de la même manière. Amiens Injection, dans le Nord (104 salariés), pourrait également être épinglée. Cette entreprise s'est séparée, voilà quelques mois, de trois personnes, moyennant une transaction. Insuffisance professionnelle ? Faute grave ? L'affaire aurait pu passer inaperçue si l'entreprise n'avait pas proposé de licencier neuf autres personnes, un seuil au-dessus duquel un plan social est obligatoire. Les syndicats, CGT en tête, ont assigné l'entreprise en justice, le véritable motif des trois premiers licenciements individuels pouvant bien être, à leurs yeux, économique. L'affaire est actuellement en Cour de cassation.

A moindre coût

Le calcul est simple : les dirigeants comprennent que le licenciement pour motif économique est coûteux, mais qu'en revanche, le licenciement pour faute grave, voire pour faute lourde, dispense du paiement du préavis et de l'indemnité de licenciement, et des soldes des congés payés de l'année en cours.

Dans son livre Négocier son départ de l'entreprise (2), Philippe Ravisy, avocat au barreau de Paris, fait ressortir les économies substantielles réalisées par un employeur selon la cause du licenciement évoquée. Il prend l'hypothèse d'un cadre de 48 ans, percevant une rémunération mensuelle brute de 2 800 euros, totalisant seize années d'ancienneté à la date de son licenciement, et pour lequel un solde de vingt jours de congés payés reste dû. Ses calculs font ressortir que le coût de la séparation (sans convention collective), de plus de 27 000 euros en cas de licenciement pour motif économique passe à 3 100 euros si l'employeur évoque une faute grave. L'application de la convention collective de la chimie monte le coût du licenciement pour motif économique à 41 000 euros. Un argument financier qui peut, parfois, inciter les employeurs à évoquer des fautes imaginaires...

Le tertiaire, premier touché

Qui sont ces licenciés ? Selon l'enquête de la Dares, les trois quarts sont des salariés du tertiaire. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Les grands gagnants du licenciement pour motif individuel sont ceux qui savent négocier, les plus qualifiés. Les non-cadres ont moins de chances de bénéficier d'une indemnité transactionnelle intéressante.

Toutefois, pour Philippe Ravisy, le montant de la transaction ne tient pas uniquement à la position du salarié dans l'organigramme. Le principal facteur de négociation tient à « son pouvoir de nuisance ». En clair, « telle personne pourra obtenir des indemnités transactionnelles payées à prix d'or, en raison de sa fine connaissance des rouages de l'entreprise, en particulier les DRH et les directeurs financiers. Ainsi, une analyste financière s'est vu proposer 1,5 million d'euros, uniquement parce qu'elle savait que son employeur plaçait de l'argent dans des paradis fiscaux. Une responsable de service a également perçu plus de 800 000 euros, parce que l'entreprise ne souhaitait pas qu'elle porte plainte contre un de ses dirigeants pour harcèlement sexuel, une image jugée dégradante pour la société », illustre l'avocat.

Selon le préjudice subi

D'ailleurs, pour Philippe Ravisy, le montant de l'indemnité s'évalue non pas par rapport au salaire perçu, mais à l'aune du préjudice subi : « Il importe donc de prendre en considération tous les éléments à envisager - sommes restant dues au titre de l'exécution du contrat de travail, préjudice moral ou de santé, préjudice de carrière, de retraite... ».

Une négociation que n'a pas réussi à mener Catherine C., 32 ans, employée dans le tertiaire, qui s'est retrouvée licenciée pour faute grave, du jour au lendemain, avec, pour seul pécule, 2 000 euros, soit l'indemnité légale de licenciement pour motif personnel (un dixième de salaire par année d'ancienneté). Choquée par la méthode, elle a décidé d'attaquer aux prud'hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Recours judiciaires

Cas isolé ? Pas vraiment. Les licenciements pour motif personnel ne mettent pas l'employeur à l'abri des recours judiciaires. Selon une étude du ministère de la Justice, un salarié licencié pour motif personnel sur cinq conteste son licenciement au conseil des prud'hommes. La plainte porte sur le motif même de la rupture. Preuve que Laurence Parisot doit encore convaincre pour faire reconnaître le principe de «séparabilité», qui éviterait le passage par les tribunaux.

(1) Premières synthèses, premières informations, mars 2006.

(2) Editions Delmas, 2005.

L'essentiel

1 En se prononçant pour le principe de la «séparabilité», une sorte de séparation par consentement mutuel avec une indemnisation, Laurence Parisot a soulevé un véritable tollé. Les syndicats se sont vivement élevés contre cette proposition.

2 Déjà, en France, les licenciements pour motif personnel explosent, et servent parfois à masquer des licenciements collectifs, contraignants et coûteux.

3 Le problème : le licenciement pour motif personnel renforce les inégalités de traitement, car tout repose sur le pouvoir de négociation. Les gagnants sont les cadres de haut niveau ; les perdants, les moins qualifiés.

Auteur

  • Anne Bariet