E & C : Le licenciement pour motif personnel (LMP) s'inscrit, selon vous, dans un nouveau mode de management fondé sur le principe du marché. Qu'entendez-vous par là ?

F. P. : Le LMP accompagné d'une transaction constitue, dans le contexte français, le montage juridique le plus proche du mode de rupture inhérent au modèle anglo-saxon de la relation d'emploi. Ce modèle, qui se diffuse rapidement aujourd'hui en France sous l'effet des stratégies de globalisation et de financiarisation des grands groupes, conçoit le contrat de travail comme formalisant un échange de type commercial entre deux parties de forces égales et librement consentantes. Il se caractérise par une accélération des mobilités, internes comme externes. Il privilégie la rémunération, liée à l'atteinte d'objectifs individuels et donne une place importante à l'évaluation des résultats. Dans ce contexte, le «licenciement transactionnel» devient une modalité privilégiée de séparation.

E & C : Quelles sont les grandes logiques d'utilisation du LMP ?

F. P. : Le LMP peut être utilisé comme un substitut aux licenciements économiques. Il permet alors de contourner un ensemble de contraintes telles que l'information des IRP et des pouvoirs publics, l'obligation de reclassement, ainsi que l'impossibilité de recruter à nouveau sur le même poste de travail. Opaque et individuellement négocié, le LMP vise également à préserver l'image de l'entreprise en évitant les effets d'annonce d'un plan social.

Certaines entreprises, notamment dans les secteurs des hautes technologies ont ainsi fait partir des centaines de salariés par an depuis le milieu des années 1990, dans le cadre de leur politique de gestion des «sureffectifs». Le LMP est aussi un outil de gestion des départs de cadres seniors, fréquemment utilisé afin de rajeunir la pyramide des âges, surtout depuis que l'Etat ne finance les plans de départs à la retraite que de manière exceptionnelle. Le LMP vise aussi à se séparer de salariés considérés comme atypiques (jeunes mères ou encore délégués syndicaux).

E & C : Quels sont les effets pervers ?

F. P. : Chez les cadres «maison», ce licenciement provoque une forte rupture identitaire. La plupart la vivent comme une injustice. Pour les cadres qui n'appartiennent pas à l'élite du management, les annonces de licenciement sont souvent très brutales ou bien elles sont l'aboutissement de périodes de harcèlement et de pressions qui peuvent être destructurantes. Pour les cadres seniors, il existe aussi un risque réel de paupérisation s'ils n'arrivent pas à faire le «joint» en trouvant un nouveau poste entre leur licenciement et la retraite.

* Equipe de recherche sur la firme et l'industrie.