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L'artisanat est-il l'avenir du système industriel ?

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 09.01.2007 | Pauline Rabilloux

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L'artisanat est-il l'avenir du système industriel ?

Crédit photo Pauline Rabilloux

Forme d'organisation du travail réputée désuète, l'artisanat présente cependant bien des points communs avec la nouvelle économie. Ces similitudes pourraient être exploitées dans le sens de la modernisation des secteurs, des métiers et du statut social des travailleurs.

E & C : L'artisanat, qui semblait un secteur menacé par la révolution industrielle, a parfaitement résisté. A l'heure où l'industrie est à son tour en perte de vitesse, comment expliquez-vous cette vigueur ?

Serge Le Roux : L'artisanat est longtemps apparu comme une forme archaïque de production, fonctionnant selon des modes traditionnels, passéistes, peu compatibles avec les idées de modernité et de progrès. Certains métiers sont devenus obsolètes ou ont été intégrés dans le giron de l'industrie. Mais l'artisanat reste, aujourd'hui, selon la communication du secteur, « la première entreprise de France ».

Il semble que le capitalisme s'est développé en créant des zones qui lui échappent et que les grandes firmes ont toujours eu besoin de se dégager de certaines besognes sur de plus petites unités. On n'exploite pas le travail d'autrui dans n'importe quelles conditions. Toutes les activités par lesquelles les hommes et les femmes satisfont leurs besoins ne sont pas forcément à la portée du capital. Aujourd'hui, alors que la révolution informationnelle tend à marginaliser à son tour le monde industriel, non seulement l'artisanat se porte bien, mais encore, on peut noter de nombreux points de convergence entre ce secteur et celui de la nouvelle économie.

E & C : Pourriez-vous préciser les zones de coïncidence ?

S. L. R. : A une époque où l'organisation taylorienne fortement hiérarchisée est contestée au nom de l'efficacité et surtout de la créativité, le secteur artisanal représente un excellent exemple de structure éclatée reposant sur la compétence, l'autonomie et la responsabilité du travailleur. De même, l'orientation client, autre concept phare de la nouvelle économie, est une donnée de départ de l'artisanat. Loin des normes préétablies, l'artisan passe son temps à inventer de nouvelles solutions pour satisfaire au mieux les attentes de sa clientèle. Même si les aspects répétitifs de son activité sont souvent prédominants, sa compétence technique - qui, traditionnellement, s'illustrait dans la notion de «chef-d'oeuvre» -, semble le meilleur garant de sa capacité à évoluer.

Sur le versant créativité, ne peut-on pas, d'ailleurs, aller plus loin et se demander si les start-up, souvent fondées sur l'innovation d'un seul ou d'une poignée de personnes, ne sont pas des entreprises artisanales ? Bien sûr, tout est loin d'être acquis. Si l'artisanat représente bien un exemple de maillage économique, le propre d'une structure en réseau n'est pas seulement son extension mais également l'étroite interaction des différents protagonistes, ce qui, évidemment, ne cadre pas complètement avec le côté un peu «replié sur soi» de l'entreprise artisanale. Mais c'est peut-être là que la révolution informationnelle a son rôle à jouer. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont en train de révolutionner les relations aux clients et aux fournisseurs. Si l'obstacle semble d'abord d'ordre culturel et sociologique, la culture évolue, y compris dans le milieu traditionnel de l'artisanat, et l'arrivée sur le marché professionnel des enfants d'Internet et du portable devrait hâter le mouvement.

E & C : Comment envisagez-vous l'avenir et quelles solutions concrètes pourrait-on imaginer pour tirer profit des similitudes entre artisanat et nouvelle économie ?

S. L. R. : Les nouvelles formes de travail - télétravail, temps partiel, contrat de mission, mode projet... - conduisent à réfléchir à un statut du travailleur qui irait au-delà du salariat traditionnel, dont la caractéristique essentielle, la subordination, correspond de moins en moins aux voeux des personnes et aux besoins du management moderne. Dans cette recherche d'une troisième voie, on oublie trop souvent de regarder des solutions qui sont à portée de main. Le statut d'artisan pourrait être l'une de ces solutions. Ce statut a, en effet, le mérite d'exister, d'avoir fait ses preuves et de disposer de structures d'organisation bien rodées : les chambres consulaires.

Par ailleurs - et c'est le sens du projet de coopération entre l'université, la chambre de commerce et des métiers et les entreprises locales que nous tentons de mettre sur pied dans la région de Dunkerque -, l'analyse précise des similitudes et des différences entre le secteur artisanal et la nouvelle économie devrait permettre de proposer aux artisans un certain nombre d'appuis informationnels et techniques pour les aider à sortir de leur isolement, voire s'ouvrir à de nouveaux métiers ou à de nouvelles compétences. Le «nez sur le guidon», ils manquent souvent de temps et de repères pour comprendre les évolutions des marchés et des secteurs professionnels. L'activité artisanale multiforme et mouvante pourrait contribuer à réinventer la modernité. Tout le monde semble avoir à y gagner, les travailleurs concernés, qui bénéficieraient d'un statut largement balisé, le pays, dans son ensemble, à la recherche de solutions d'emploi et de réponses sociales, les artisans, bien sûr, dont l'avenir se dessine dans de semblables projets, mais aussi les grandes entreprises, qui pourraient favoriser l'essaimage sur ce mode d'activité qui ne sont pas, ou plus, forcément rentables pour elles. Financièrement, la situation de l'artisanat est globalement saine et son faible taux d'endettement justifie qu'on s'efforce de le promouvoir.

Perspectives on Activity Theory, Engeström Yrjö, Miettinen Reijo, Punamäki Raija-Leena, Cambridge University Press, 2004.

Managing to Collaborate, Huxham Chris, Vangen Siv, Routledge, 2005.

Le travail coopératif et ses technologies, Jacques Longchamps, Lavoisier, 2003.

Workplaces of the Future, Thompson Paul, Warhurst Chris, Macmillan, 1998.

parcours

Docteur en sciences économiques, Serge Le Roux est directeur du Centre de recherche universitaire et d'études économiques (RUEE) au sein du Laboratoire de recherche sur l'industrie et l'innovation (LabRII) du Littoral-Côte d'Opale (Ulco). Il a été professeur associé à l'université de Marne-la-Vallée.

Il a également occupé, pendant deux décennies, des fonctions de direction dans un institut de recherches en sciences sociales, juridiques, ergonomiques et économiques, d'une grande organisation professionnelle de salariés.

Auteur

  • Pauline Rabilloux