logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Comment partager la croissance

Enquête | publié le : 19.12.2006 | Guillaume Le Nagard

Image

Comment partager la croissance

Crédit photo Guillaume Le Nagard

Partager les fruits de la croissance en associant les salariés aux réussites de leur entreprise : si la loi sur la participation et l'actionnariat salarié est jugée timide, elle s'inscrit dans cet objectif. Les entreprises qui ont mis en oeuvre une gestion participative (participation, intéressement, actions gratuites...) l'estiment généralement efficace pour la motivation des salariés et la performance de l'organisation.

Deux mois et demi de salaire environ, en prime d'intéressement et en participation, chez Dassault Aviation, dont le carnet de commandes pour les Falcon X7 est bien rempli ; l'équivalent de trois mois de salaire, en 2005, avec un complément de 11 % au titre de la participation, chez Leroy-Merlin ; un minimum de 4 300 euros environ chez Total, en 2005, mais le nouvel accord intéressement-participation 2006-2008 devrait se révéler encore plus substantiel : c'est dire combien, dans certains grands groupes, les dispositifs de partage des résultats et des performances donnent un sérieux coup de pouce à la rémunération. De quoi soigner l'attractivité de ces entreprises et la fidélisation de leurs salariés, en complément de l'actionnariat salarié et des retraites.

Une majorité d'entreprises restent non concernées

Mais, par la diversité de leurs modes de rétribution, et notamment de répartition de la croissance, les grands groupes restent des cas particuliers. La majorité des entreprises en France ne dispose d'aucun de ces mécanismes de partage des profits. D'abord parce que sous le seuil de 50 salariés, les entreprises ne sont pas contraintes de mettre en place la participation, calculée selon une formule légale sur le résultat. Du coup, selon l'Insee, la moitié des 16 millions de salariés du secteur privé sont privés du bénéfice de l'épargne salariale, principalement nourrie par l'intéressement et la participation.

La loi sur la participation et l'actionnariat des salariés, votée par le Parlement le 14 décembre et applicable au début janvier, témoigne de la volonté du gouvernement de prendre en compte la question du pouvoir d'achat, alors que les rémunérations stagnent depuis plusieurs années, avec des augmentations salariales le plus souvent proches de l'inflation.

Une croissance liée au pouvoir d'achat

Le problème n'est pas seulement délicat pour des raisons électorales : le pouvoir d'achat conditionne une bonne partie de la croissance, en particulier en France, où celle-ci est largement soutenue par la consommation intérieure (celle de l'Allemagne, par exemple, repose plus nettement sur les exportations). Enfin, le fossé se creuse entre les grandes entreprises et les autres, alors que se profilent des pénuries de compétences sur certains métiers.

La loi sur la participation et l'actionnariat salarié, avec son principe de «dividendes du travail», voudrait donc encourager toutes les entreprises à renouer avec l'idée gaulliste d'un meilleur partage de la croissance, voire, pour l'actionnariat salarié, rééquilibrer la répartition du capital et du travail. Son caractère uniquement incitatif - le statu quo a notamment été conservé sur le seuil des 50 salariés pour la participation - y suffira-t-il ? C'est une autre histoire.

Gestion participative

« Les grandes entreprises cherchent à serrer les coûts fixes et, derrière, les branches suivent, explique Lionel Tourtier, délégué général de Fondact, association qui promeut la gestion participative. L'idée de la gestion participative est de distribuer du variable si les résultats sont là ; c'est une manière de donner un peu de mou sur les rémunérations sans pour autant dégrader la compétitivité. Mais l'association aux résultats - avec la participation - ; aux progrès - avec l'intéressement - ; au capital - avec l'actionnariat salarié -, mais aussi aux décisions et aux responsabilités, est également fondamentale en matière de performance des entreprises. Alors qu'on constate partout un phénomène de désengagement préoccupant, la gestion participative est un moyen de réconcilier le salarié et son entreprise sur un partage des réussites, en fixant des règles du jeu claires. »

Enjeux de la DRH

Attractivité, fidélisation, motivation : au-delà des analyses macroéconomiques, les vertus prêtées à cette gestion participative par Fondact, inspiratrice de certains éléments de la loi, et qui l'aurait souhaitée un peu plus ambitieuse, répondent précisément aux grands enjeux de la GRH.

Jean-Robert Viguier, associé du cabinet Towers Perrin, en est persuadé : « L'intéressement a, en particulier, l'avantage de permettre un choix des objectifs à atteindre, lesquels peuvent être économiques et pas seulement financiers, comme c'est le cas pour la participation. Ils peuvent être très opérationnels, déclinés au plus près du terrain et, à ce titre, très pertinents en termes de motivation. »

De plus, selon lui, les accords d'intéressement, signés pour trois ans et presque toujours renouvelés, se bonifient avec le temps, les montants pouvant devenir significatifs, mais toujours dans un esprit de variabilité. Une courbe d'apprentissage fréquemment observée, permettant, en outre, de passer d'objectifs généraux, dans les premiers accords, à des critères de plus en plus finement déclinés en fonction de la stratégie de l'entreprise et de la contribution spécifique des entités à cette stratégie. Les deux tiers des accords contiennent des critères financiers, mais un quart prennent en compte la productivité ; la sécurité et la qualité viennent ensuite, avec l'optimisation du temps de travail et le présentéisme.

Intéressement de projet

L'intéressement de projet, proposé par la nouvelle loi, qui doit être précisé par des dispositions réglementaires, sera examiné de près dans les entreprises fonctionnant en projets transversaux. Mais l'intéressement de projets interentreprises (donneurs d'ordre sous-traitants par exemple) paraît plus complexe, y compris dans le cas du viaduc de Millau, souvent évoqué à ce propos. Eiffage, qui a oeuvré en Aveyron avec ses filiales, témoigne surtout de « la réussite d'un groupe appartenant en bonne partie à ses salariés - 90 % sont actionnaires, pour un quart du capital », indique son secrétaire général Guy Lacroix. En revanche, les logiques industrielles et de prestations de services des différents acteurs des chantiers auraient rendu difficile l'utilisation d'un intéressement commun, selon lui.

Freins sérieux

Plus généralement, des freins sérieux, et qui ne seront pas tous levés par la loi, expliquent la modestie des signatures d'accords, notamment dans les PME (7 % en ont mis en oeuvre, selon Fondact) : la logique contractuelle peut faire peur à certains patrons ; l'exonération des charges sur les primes d'intéressement n'est pas toujours du goût des syndicats, pas plus que le risque d'une substitution aux augmentations de salaire, ce qui, côté patronal, se traduit par la crainte d'une requalification par les Urssaf. Enfin, certains ratios utilisés, liés à la réduction des coûts totaux, peuvent jouer contre la masse salariale (recrutements ou augmentations). C'était, par exemple, la raison invoquée par plusieurs syndicats de cheminots pour s'opposer à l'accord d'intéressement signé à la SNCF (lire p. 28).

Dans les grandes entreprises, Patrick Azières, consultant chez Hewitt, estime, lui, que l'intéressement trouve plus difficilement sa place : « Pour celles qui ont à la fois de la participation, de l'abondement à l'épargne salariale, des régimes de retraite, sans compter les bonus sur objectifs, l'intéressement n'est pas un élément différenciant. » Il considère que les Perco, plans d'épargne salariale de retraite, pouvant être un réceptacle de la participation (abondable dans ce cas), et pouvant, désormais, bénéficier de transferts depuis les CET, seront sans doute plus au coeur de la réflexion sur les rémunérations pour des organisations déjà bien équipées.

Quant à la distribution d'actions gratuites, créée par la loi de finances de 2005, et favorisée par la nouvelle loi sur la participation (exonérations fiscales pour l'entreprise, dans le cas d'une distribution collective et sur un PEE), le recul est encore trop faible pour mesurer son impact.

Actions gratuites

En 2006, quelques entreprises ont attribué des actions gratuites, le plus souvent de façon ciblée sur les cadres dirigeants ou supérieurs, parfois en complément des stock-options. Seul Alstom, parmi les grands groupes, a mis en oeuvre un plan d'attribution d'actions gratuites pour tous ses salariés. Dans de tels cas, l'opération tiendra sans doute surtout du symbole plus que du complément de rémunération (12 actions à 75 euros par personne dans le cas d'Alstom). Mais, s'agissant d'associer les salariés aux réussites de l'entreprise, les symboles aussi auront leur importance.

L'essentiel

1 La participation des salariés aux résultats, aux performances et au capital des sociétés pourrait améliorer leur pouvoir d'achat sans dégrader la compétitivité des entreprises.

2 La nouvelle loi sur la participation et l'actionnariat salarié veut inciter les entreprises, y compris les PME, à s'engager dans cette voie. Mais sans les contraindre.

3 Au-delà d'une forme de rétribution peu inflationniste, mais souvent motivante car liée à des objectifs concrets, ces dispositifs sont liés à un modèle de management plus participatif.

4 Les grandes entreprises comme les PME qui ont négocié un intéressement ou attribuent des actions aux salariés considèrent que leur performance en bénéficie. Pourtant, de nombreux freins subsistent, côté patronal comme syndical.

La loi sur la participation et l'actionnariat salarié

La création d'un dividende du travail : il permet aux entreprises de verser chaque année un supplément de participation et/ou d'intéressement.

L'attribution d'actions gratuites (possible depuis la loi de finances 2005) est encouragée fiscalement au titre de ce dividende du travail, si elles sont versées à tous les salariés, et sur un PEE (blocage de cinq ans).

La participation reste facultative pour les entreprises de moins de 50 salariés, mais des accords de branche seront négociés sous trois ans pour fournir des textes «clés en main» aux PME qui souhaiteraient l'utiliser. Ouverture de la négociation sous quinze jours à la demande d'une organisation syndicale.

L'intéressement de projet est créé par la loi : un même accord pourra couvrir plusieurs entreprises oeuvrant à un même projet, notamment un donneur d'ordres et ses fournisseurs, ou des services ou salariés d'une entreprise travaillant sur un même projet transversal. D'autre part, un contrôle a priori des accords, déposés aux DDTEFP, permettra de mieux les sécuriser juridiquement (vis-à-vis des Urssaf).

Représentation des salariés actionnaires dans les conseils d'administration des entreprises cotées, à partir de 3 % de capital détenu.

Auteur

  • Guillaume Le Nagard