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Enquête

Discrimination/diversité Ce que les entreprises peuvent mesurer

Enquête | publié le : 12.12.2006 | Emmanuel Franck

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Discrimination/diversité Ce que les entreprises peuvent mesurer

Crédit photo Emmanuel Franck

Alors que les entreprises multiplient les actions en faveur de la diversité et contre les discriminations liées à l'origine ethnique, il leur manque toujours des outils de mesure fiables pour évaluer l'efficacité de leur politique. Certaines, pionnières, ont cependant commencé à créer ces outils. Leurs démarches sont compliquées par la législation et par une ambiguïté sur l'objectif à poursuivre : lutte contre les discriminations ou valorisation de la diversité.

Rarement les entreprises ont fait preuve d'autant d'ingéniosité que dans la promotion de la diversité et dans la lutte contre les discriminations liées à l'origine ethnique. Les initiatives allant dans ce sens sont innombrables. On ne compte plus les signataires de la charte de la diversité, lancée il y a deux ans. Les accords d'entreprise et de branche se multiplient. Au niveau interprofessionnel, l'accord sur la diversité a été signé en octobre. De nombreuses entreprises ont commencé à sensibiliser et à former leur encadrement à la question de la discrimination. D'autres travaillent sur leurs procédures afin de les rendre les plus objectives possibles, alors que l'arsenal répressif se développe.

Absence de référentiel ethnoracial

Le contraste est donc frappant entre l'énergie dépensée par les entreprises en actions contre les discriminations et pour la diversité, et l'absence quasi totale d'outils pour en mesurer les effets. Plusieurs facteurs expliquent cette faiblesse. Le premier est légal : en France, la catégorisation des personnes en fonction de leurs origines ethniques est interdite. Autant il est simple de quantifier le nombre de femmes et d'hommes, de travailleurs handicapés, ou de personnes âgées de plus de 50 ans, autant la démarche est complexe pour les minorités ethniques, faute d'un référentiel ethnoracial national. Les entreprises doivent donc créer elles-mêmes leur référentiel en tenant compte de ce que permet la loi. La position de la Cnil est, là-dessus, assez stricte, mais elle pourrait réviser sa doctrine d'ici à février 2007 (lire p. 22). Car, en même temps que le débat sur les statistiques ethniques prend de l'ampleur, la pression monte pour que la Cnil assouplisse ses positions.

Des outils de mesure à expérimenter

Par exemple, l'ANDCP a émis, fin novembre, plusieurs propositions en faveur de la diversité, dont l'une préconise l'expérimentation «d'outils de mesure ethnique» (lire p. 24). Autant de contraintes et d'incertitudes qui, in fine, rendent difficile la mise en place de référentiels, point de départ à la création d'outils de mesure.

Plusieurs entreprises pionnières

Plusieurs entreprises pionnières s'y sont tout de même essayé. Axa a ainsi mené une enquête auprès de ses commerciaux à qui il a été demandé leur nationalité et celle de leurs parents (lire p. 26). A l'inverse, Casino a commencé par créer un référentiel à partir du patronyme (lire p. 25). Carrefour Hypermarchés, pour sa part, a utilisé les deux référentiels (lire p. 28). Quant à France Télévisions, elle envisage de croiser la nationalité, le lieu de naissance et le patronyme (lire p. 28).

Enfin, PSA a entrepris plusieurs démarches en parallèle. Dans l'une d'elles, le constructeur demande à ses salariés s'ils se considèrent comme appartenant à une minorité visible (lire p. 30). Le choix de ces référentiels n'a rien d'anodin, car ils ne mesurent pas la même chose (voir tableau p. 24). Par exemple, un recensement de la nationalité est aveugle sur les personnes nées de parents immigrés.

Objectiver les processus de recrutement

La deuxième difficulté de mise en place d'outils de mesure tient à ce que les entreprises doivent trancher dans un débat qui les dépasse largement. En effet, ces outils peuvent être utilisés soit pour mesurer une discrimination, soit pour mesurer la diversité.

Dans le premier cas, il s'agit d'identifier, à partir d'une comparaison entre les traitements réservés à des échantillons de personnes, des biais discriminants dans les processus de l'entreprise : recrutement, progression de carrière... Le but est alors d'objectiver ces processus pour les rendre plus égalitaires. Dans le second cas, il s'agit de connaître la composition sociologique d'une population. Dès lors, « la notion de diversité, dans le cadre de l'entreprise, désigne le fait de valoriser l'embauche de personnes d'horizons différents [...] », écrit Yazid Sabeg*. Egalité de traitement d'un côté, valorisation de la diversité de l'autre, ces deux approches renvoient à des modèles de société différents entre lesquels les entreprises ne sont pas armées pour choisir.

Difficultés techniques des deux approches

Par ailleurs, les deux approches comportent, l'une comme l'autre, leurs difficultés techniques propres (voir tableau p. 24). Ainsi, l'approche «diversité» est plus facile à valoriser en termes de communication, mais l'approche «discrimination» est plus légère puisqu'elle se contente d'échantillons.

Les entreprises doivent donc naviguer entre ces multiples enjeux, ce qui explique que leur démarche paraisse mal assurée et leurs choix jamais acquis. Casino semble avoir opté pour la mesure de la discrimination. C'est aussi celle que revendique Axa. PSA et Carrefour hypermarchés paraissent jouer sur les deux registres, tandis que France Télévisions hésite encore sur la voie à suivre.

* Yazid Sabeg et Christine Charlotin, La diversité dans l'entreprise. Comment la réaliser ?, éditions d'Organisation, 2006.

L'essentiel

1 La diversité et la lutte contre les discriminations liées à l'origine sont devenues, récemment, des préoccupations importantes pour les entreprises, mais il leur manque des outils de mesure pour évaluer l'efficacité de leur politique en la matière.

2 Quelques pionnières ont cependant commencé à créer ces outils de mesure. Parmi elles, Axa, Casino, PSA, Carrefour, France Télévisions.

3 Leur démarche se heurte à deux difficultés majeures. Il n'existe pas de référentiel ethnoracial permettant de catégoriser les personnes : les entreprises doivent créer elles-mêmes leurs catégories en respectant la loi. D'autre part, elles doivent faire un choix difficile entre mesure de la diversité et mesure de la discrimination.

Auteur

  • Emmanuel Franck