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En France, les augmentations de salaires sont à trois vitesses

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 12.12.2006 | Violette Queuniet

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En France, les augmentations de salaires sont à trois vitesses

Crédit photo Violette Queuniet

La France vit au rythme de la compression salariale depuis plus de vingt ans et il est peu probable, malgré les discours de précampagne électorale, que cela change. Mais certains secteurs échappent à cette modération, creusant ainsi les inégalités entre les salariés.

E & C : Les thèmes du pouvoir d'achat et de l'augmentation des salaires reviennent sur le devant de la scène en cette période de précampagne électorale. Pensez-vous que les entreprises vont devoir faire face à une montée des revendications salariales ?

Patrice Roussel : Je ne le pense pas. Ce n'est globalement pas un sujet de préoccupation pour les entreprises et il est peu relayé par les salariés. Je ne vois pas poindre de mouvement social d'envergure à ce sujet. La question du pouvoir d'achat reste de l'ordre du discours politique de précampagne. On a, d'un côté, les représentants des employeurs qui évoquent les charges salariales, de l'autre, les politiques qui parlent de revalorisation des salaires. Entre les deux, personne ne bouge.

E & C : Pourtant, la modération salariale est une réalité...

P. R. : Oui, et depuis longtemps. Depuis le début des années 1980, la France est marquée par un effort important en matière salariale. C'est ce qu'on appelle la compression salariale. Mais elle est loin d'être uniforme. Je distinguerai trois groupes d'entreprises : le premier est constitué d'entreprises qui n'ont pas de souci économique majeur et pratiquent une politique salariale dynamique. Elles proposent des augmentations de salaires toujours supérieures à celles des autres entreprises et pratiquent l'augmentation mixte : un peu de collectif - augmentation générale minimale, par exemple 0,9 %, 1 %, 1,1 % -, le reste en individuel. On tourne, dans ce premier groupe, autour de 2,7 % à 3,1 % d'augmentation de salaire par an, en moyenne, depuis l'année 2000. Le deuxième groupe est constitué d'entreprises qui privilégient la rémunération individuelle. Les augmentations s'établissent entre 2,3 % et 2,7 % depuis 2000. Enfin, le dernier comprend les entreprises qui ne font que les augmentations collectives générales. Cela représente à peu près 35 % des salariés français. Les rémunérations y sont les plus faibles et les augmentations aussi : 2 % à 2,4 % par an. En fait, la baisse du pouvoir d'achat a surtout frappé les salariés de ces entreprises. Notons également que des salariés français ne perçoivent pas d'augmentations annuelles. Ils étaient 20,9 % en 2003 et 13,6 % en 2004.

E & C : A quels secteurs appartiennent les entreprises de ces trois groupes ?

P. R. : On trouve, dans les 1er et 2e groupes, les entreprises de secteurs dynamiques ou protégés comme la pharmacie, le pétrole, le conseil. Le 3e groupe regroupe toutes les entreprises qui sont contraintes de bloquer les salaires : celles soumises à une forte concurrence internationale, mais aussi des secteurs qui y échappent, comme l'hôtellerie-restauration ou le BTP, mais où joue, là, l'effet de taille. On l'a vu avec le BTP qui a eu, ces dernières années, une approche volontariste de revalorisation salariale. Mais les augmentations sont entrées dans les faits essentiellement dans les grandes entreprises.

Dans les secteurs protégés et dynamiques, les entreprises ont des marges de manoeuvre à tous les niveaux, du salaire de base jusqu'à l'intéressement. Les salariés cumulent ainsi les augmentations sur toute la ligne : primes, PEE, participation... A l'inverse, les plus mal payés le sont aussi jusqu'au bout, avec participation et intéressement faibles.

E & C : Les inégalités entre secteurs vont donc continuer à se creuser. Pendant combien de temps ?

P. R. : Pour l'instant, la question de la rémunération ne fait l'objet ni de discours très développé, ni de débat. Par ailleurs, la France a la chance d'avoir un système public de protection sociale performant (Sécurité sociale, CAF) qui permet de faire avec des salaires modestes et d'éviter de forts mouvements de revendication. Tout le monde y trouve un peu son compte et on se contente de cela. Pourtant, il faut aborder le sujet de l'augmentation de salaire. Mais, pour l'aborder frontalement, il faut d'abord se demander si on peut augmenter les prix des produits et des services afin de générer plus de marge. Le nerf de la guerre, c'est la dynamique économique. Mais, quel modèle économique souhaite-t-on ? Avoir de plus en plus d'entreprises qui font des marges et créent de la valeur pour qu'elle rejaillisse sur l'ensemble des salariés ? Ou bien continuer dans la direction qu'on a prise depuis le début des années 1980 : compresser les salaires pour essayer de maintenir un niveau de compétitivité par rapport à des pays à bas niveaux de salaires ? Est-ce qu'on rejoint un modèle plus nordique en laissant tomber tout un pan d'activités et en se focalisant sur les activités à forte valeur ajoutée ? Dans un pays de 60 millions d'habitants, je n'y crois pas.

Il faut faire avec un pays qui fonctionne à trois vitesses. C'est peut-être alors à l'Etat, par la redistribution, de protéger un peu plus les salariés des secteurs les moins favorisés. On revient là sur le terrain de la politique.

Comportement organisationnel, vol. 1 : contrat psychologique, émotions au travail, socialisation organisationnelle, N. Delobbe, Herrbach, D. Lacaze et K. Mignonnac, éd. De Boeck, 2005.

Comportement organisationnel, vol. 2 : justice organisationnelle, enjeux de carrière et épuisement professionnel, éd. De Boeck, 2006.

parcours

Agrégé et docteur en sciences de gestion, Patrice Roussel est professeur en sciences de gestion à l'IAE de Toulouse-1, responsable du master management des ressources humaines.

Il est, par ailleurs, directeur de recherche au CNRS (Gracco), responsable du département GRH du Lirhe (Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les ressources humaines et l'emploi)

Il a coécrit, avec Jean-Marie Peretti, Les rémunérations, politiques et pratiques pour les années 2000 (éd. Vuibert, 2000) et, avec J.-M. Lattes et P. Lemistre, Individualisation des salaires et rémunération des compétences-analyse des modèles et des pratiques d'entreprises (Economica, à paraître au 1er trimestre 2007).

Auteur

  • Violette Queuniet