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Le pire est-il devant nous ?

Enquête | publié le : 05.12.2006 | Jean-François Rio

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Le pire est-il devant nous ?

Crédit photo Jean-François Rio

Les troubles musculo-squelettiques caracolent toujours en tête des maladies professionnelles. Loin d'être en régression, comme l'ambitionne le Plan santé au travail du gouvernement, le nombre de ces pathologies risque d'exploser dans les années à venir. En cause : l'éventuelle progression du taux d'emploi des seniors et le développement des services à la personne.

Loin du compte ! Rue Saint-Dominique, dans les coursives du ministère du Travail, on ne se fait guère d'illusions : l'objectif de Gérard Larcher de juguler de 20 % le nombre de troubles musculo-squelettiques (TMS) à l'horizon 2009 ne sera pas tenu. Certes très ambitieuse, l'une des mesures phares du Plan santé au travail du ministre délégué à l'Emploi est aujourd'hui considérée comme un effet d'annonce ou, pis, comme « un leurre », selon l'expression, un tantinet sévère, de Serge Duffour, ex-responsable confédéral de la santé au travail à la CGT, passé, depuis, au cabinet-conseil Emergences.

Les chiffres sont, il est vrai, implacables. En 2005, 28 278 TMS répertoriés au tableau 57 des maladies professionnelles ont été indemnisés, contre 24 848 en 2004. Et ces affections des membres supérieurs et inférieurs, qui touchent désormais l'ensemble des secteurs d'activité, y compris le tertiaire, représentent toujours près de 70 % des maladies professionnelles.

Sous-déclaration chronique

« Ces dernières statistiques ne vont pas dans le bon sens », reconnaît mezza voce Gilles Evrard, directeur des risques professionnels de la Cnamts. Sans compter que ces données officielles masquent la réalité de l'épidémie en raison d'une sous-déclaration chronique. Dans son étude épidémiologique, conduite en 2004 dans les Pays de la Loire (un des axes de recherche a consisté à comparer le nombre d'opérations du canal carpien par an et les cas déclarés), l'Institut national de veille sanitaire (INVS) a montré que 13 % des salariés se plaignaient de douleurs musculo-squelettiques, soit, rapporté au niveau national, 2,6 millions de personnes ! Autrement dit, autant de malades en puissance.

25 % des arrêts de travail

« Les chiffres de la Cnamts ne reflètent en rien la souffrance au travail, observe Michel Aptel, médecin à l'Institut national de recherche de sécurité (INRS). Nous savons que 25 % des causes des arrêts de travail de longue durée ont une origine rhumatologique. »

Et le pire semble à venir ! Non seulement l'ampleur de la sous-déclaration constitue une véritable bombe à retardement, mais, ironie du sort, ce sont deux projets majeurs du magistère de Jean-Louis Borloo, ministre de l'Emploi, qui risquent d'accroître sensiblement le nombre de ces maladies.

Emploi des seniors

Le premier concerne les perspectives de maintien dans l'emploi des seniors. La France, où le taux d'emploi des 55-64 ans n'est que de 36,8 %, vise, selon un objectif européen fixé au sommet de Stockholm en 2001, un taux de 50 % en 2010. D'où toute une série d'encouragements pour favoriser l'emploi des salariés âgés. Or, certains experts y voient une sorte d'injonction paradoxale : d'un côté, la volonté d'allonger la durée de vie professionnelle et, de l'autre, une absence d'engagement sur le front des conditions de travail, en particulier sur des dispositifs d'aménagement de poste ou de déroulement de carrière sur des métiers moins pénibles. Une remarque qui vaut également pour les partenaires sociaux. Signataires de l'accord interprofessionnel qui a inventé le CDD senior, ils restent englués dans la négociation relative à la pénibilité au travail. « Les débats sur l'employabilité des salariés âgés n'ont malheureusement pas été accompagnés d'une réflexion sur les TMS », souligne Michel Aptel.

Facteur aggravant

Si « l'âge ne rime pas obligatoirement avec TMS », comme le fait justement remarquer Evelyne Escriva, copilote du projet TMS à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), il reste toutefois un facteur aggravant. Ainsi, chez les ouvriers de plus de 50 ans, les TMS concernent un quart des hommes (contre 11 % pour le reste de la population) et un tiers des femmes (15 %), avec une forte proportion de maladies de l'épaule. Des pathologies qui s'opèrent difficilement et qui provoquent de longs arrêts de travail.

« Après 50 ans, les niveaux d'exposition ne sont pas forcément plus élevés, mais les douleurs sont vives et persistantes dans le temps », observe Yves Roquelaure, professeur en médecine du travail à l'université d'Angers (lire aussi p.31), un des contributeurs de l'étude de l'INVS dans les Pays de la Loire.

Des moyens de prévention dérisoires

Autre grand chantier gouvernemental qui soulève l'inquiétude : le développement des services à la personne, qui sont, certes, créateurs d'emplois, mais qui recèlent, outre une kyrielle de métiers à forte pénibilité, des moyens de prévention dérisoires. « Le niveau de maturité de ce secteur sur ces maladies est très insuffisant. Parfois, pour des raisons évidentes. Prenez le cas des soins à domicile, le médecin du travail ne peut pas, naturellement, intervenir sur le milieu de travail », illustre Béatrice Nozari, ergonome au Ciamt (Centre inter-entreprises et artisanal de santé au travail).

Docteure à la consultation maladies professionnelles au CHU de Nantes, Dominique Dupas dresse le même constat : « Les personnels, généralement des femmes, disposent de peu de marge de manoeuvre, en particulier pour exercer des rotations de poste. De plus, les exigences des patients et de leurs familles se sont accrues. Du coup, les salariés sont en permanence sur le qui-vive. Ajouter à cela un sous-effectif endémique et vous avez une augmentation sensible du nombre de salariés se plaignant de TMS. »

L'essentiel

1 En 2005, selon la Cnamts, 28 278 TMS répertoriés au tableau 57 des maladies professionnelles ont été indemnisés, contre 24 848 en 2004.

2 En raison de l'ampleur de la sous-déclaration, les TMS sont toutefois considérés comme largement plus répandus.

3 Mesure phare du Plan santé au travail de Gérard Larcher, la diminution du nombre de TMS risque d'être contrecarrée par les perspectives de maintien dans l'emploi des seniors et le développement des services à la personne.

Des pathologies multifactorielles

Syndrome du canal carpien (poignet), épicondylite ou épitrochléite (coude), tendinite de la coiffe des rotateurs (épaule)... Les TMS, lésions multifactorielles d'origine professionnelle, sont des pathologies péri-articulaires des membres supérieurs et inférieurs, répertoriées au tableau 57 des maladies professionnelles du régime général et au tableau 39 du régime agricole. Dans la famille TMS, il convient aussi d'ajouter les lombalgies (tableaux 97 et 98). Si tous les secteurs d'activité sont concernés, les plus exposés restent l'agroalimentaire, l'industrie, le bâtiment. Quant au portrait- robot d'une victime de TMS, il s'agit plutôt d'une femme, ouvrière ou employée, peu qualifiée.

Les facteurs qui expliquent l'apparition de ces maladies sont, aujourd'hui, bien identifiés. Les premiers sont d'ordre biomécanique, matérialisés par la répétition de gestes, d'efforts ou de postures contraignantes.

Poids du stress

Les facteurs psychosociaux sont, quant à eux, déterminés par la manière dont sont ressenties les conditions de travail (manque de reconnaissance, absence d'autonomie, rythme élevé des cadences, management autoritaire...). Ils se traduisent par de l'insatisfaction et du stress. Le poids des facteurs psychosociaux dans la survenance de TMS est notamment considérable sur des salariés qui produisent des efforts à faible intensité maintenus dans le temps. C'est notamment le cas pour les personnes qui travaillent sur écran.

Ergonome au Ciamt (Centre interentreprises et artisanal de médecine du travail), Béatrice Nozari constate une recrudescence de «souris elbow» : « Confrontés à une intensité accrue de leur travail, les salariés se contractent. Comme ils sont aussi mal positionnés par rapport à l'écran, ils finissent par développer des TMS. »

Alors que les connaissances sur les TMS se sont enrichies, que le Plan santé au travail a, malgré ses imperfections, donné une impulsion en matière de prise de conscience sur l'éradication de ce fléau, reste, désormais, à booster les pratiques de prévention dans les entreprises. « Notre souci n'est pas tant d'inventer des outils innovants de prévention que de diffuser ceux qui sont déjà opérationnels. En clair, nous manquons de clients ! », regrette Gérard Mari, ingénieur-conseil au département prévention des risques professionnels à la Cnamts.

La Cnamts et l'Agence de Bilbao se mobilisent

- 2007, année des TMS ? Les troubles musculo-squelettiques feront en tout cas l'objet, l'an prochain, de deux événements de taille. Le premier sera organisé, fin mars, sous la houlette de la Caisse nationale d'assurance maladie, qui consacrera une semaine entière à ces maladies. Outre la mise sur pied d'un colloque à Paris, cette opération sera déclinée en province grâce à l'appui des Cram. Au menu : mise en avant des bonnes pratiques de prévention. « Le message sera de donner envie aux entreprises, notamment aux PME-PMI, de s'attaquer au risque TMS », explique-t-on à la Cnamts.

- A l'échelle européenne, c'est l'Agence de Bilbao pour la sécurité et la santé au travail qui sera le fer de lance de la campagne européenne de mobilisation contre les TMS, prévue en octobre 2007. La dernière fois que l'Agence de Bilbao a consacré sa semaine européenne à cette thématique remonte à 2000 ! Cette année, c'est la sécurité des jeunes travailleurs qui est à l'honneur. J-F. R.

Auteur

  • Jean-François Rio