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Prévenir les discriminations est un enjeu fort pour les DRH

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 05.12.2006 | Rodolphe Helderlé

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Prévenir les discriminations est un enjeu fort pour les DRH

Crédit photo Rodolphe Helderlé

La lutte contre les discriminations au travail passe davantage par la professionnalisation des pratiques des DRH que par le biais de la morale. Les entreprises doivent être capables de justifier leurs décisions pour ne pas être accusées de discriminations indirectes.

E & C : Vous estimez que les affaires de discrimination au travail vont surtout se multiplier devant les juridictions civiles plutôt que pénales. Qu'est-ce qui explique cette tendance ?

Michel Miné : En France, il y a eu, l'an dernier, une vingtaine de jugements au pénal sur des affaires de discrimination raciale. Essentiellement en matière d'embauche. Mais la grande majorité des affaires de discrimination sont jugées au civil. Elles portent sur la discrimination syndicale et, dans une moindre mesure, sur les différences de traitements entre les femmes et les hommes. Les contentieux sur les rémunérations et les déroulements de carrière, voire sur les embauches, vont de plus en plus concerner les juridictions civiles.

La grande majorité des cas de discrimination ne sont pas intentionnels. La jurisprudence européenne, qui s'est construite à partir de la fin des années 1970, a notamment contribué à définir la notion de discrimination indirecte. Les décisions des juges communautaires reposent, avant tout, sur des logiques de réparation sans jugement moral.

La France connaît un phénomène de rattrapage par rapport au Royaume-Uni, qui a trente ans d'avance sur ce terrain, et plus de 1 000 affaires de discrimination jugées chaque année, dont la quasi-totalité au civil. Ce n'est pas le droit français qui fait évoluer les choses mais une jurisprudence européenne, à l'origine, largement alimentée par celle du Royaume-Uni.

E & C : Comment un juge fait-il en sorte d'établir la preuve d'une discrimination indirecte ?

M. N. : Le juge va pouvoir interroger la direction de l'entreprise sur les justifications de sa politique, notamment en matière de recrutement, d'affectation, de rémunération et de mobilité. Et cela sur plusieurs années. Il va procéder à une véritable analyse longitudinale. L'employeur a alors intérêt à pouvoir expliquer les raisons de ses choix en matière de gestion des ressources humaines.

Concernant la discrimination directe, notamment à l'embauche ou en évolution de carrière, il est difficile de prouver son caractère intentionnel. C'est donc, le plus souvent, par une analyse comparative que le juge va déterminer ou non l'existence d'une discrimination. La condamnation prononcée en novembre 2002 par le tribunal de grande instance de Paris à l'encontre du cabaret Le Moulin-rouge témoigne de cette approche. Le juge a constaté que l'établissement avait mené, sur une période prolongée, une ségrégation des tâches, avec des personnes de couleur uniquement employées en cuisine et jamais en salle.

Sur la question des discriminations entre femmes et hommes, le magistrat peut s'appuyer sur les situations comparées que les entreprises sont obligées de produire de manière précise depuis 2001. Il faut noter que très peu d'affaires concernent des cas de discrimination à l'égard de personnes handicapées.

E & C : Comment les DRH se donnent-elles les moyens de prévenir les discriminations non intentionnelles ?

M. N. : Des données chiffrées sur la situation des femmes et sur celle des personnes handicapées sont devenues obligatoires pour les DRH. Elles doivent devenir de véritables outils de travail au quotidien et non plus servir seulement une fois par an, au moment de la présentation du bilan social au CE. Les tableaux de bord qui servent à piloter l'activité de l'entreprise devraient de plus en plus intégrer des indicateurs sur la non-discrimination.

Le mouvement jurisprudentiel qui se développe en France constitue une opportunité pour les DRH d'être davantage transparents sur leurs décisions de recrutement et de promotion. La DRH doit, par exemple, être capable d'expliquer pourquoi tous ses stagiaires viennent quasiment exclusivement d'une école qui accueille peu de femmes ou de jeunes de milieu populaire. De même, mieux vaut que la DRH puisse justifier les différences de salaire constatées.

La non-discrimination passe par une stratégie de diversification des circuits de recrutement. Sur la question de la discrimination raciale, tout comme le juge, l'entreprise peut mener des actions sans avoir besoin de s'appuyer sur des «statistiques ethniques». Se donner les moyens de faire connaître ses offres dans certains quartiers, former ses recruteurs pour qu'ils se débarrassent des stéréotypes, ou ne pas réserver les stages aux seuls enfants des salariés font partie des actions qu'une direction peut utilement mettre en place.

E & C : Une DRH a-t-elle le poids nécessaire pour faire vivre cette transparence sur le terrain ?

M. N. : L'action contre les discriminations constitue un levier pour les DRH. On sait très bien qu'un accord d'entreprise contre les discriminations ne sera pas entièrement ni immédiatement respecté sur le terrain. Il va y avoir des difficultés, voire des dérives, qu'il faudra corriger. Il s'agit donc d'assurer un suivi permanent de l'accord en impliquant les organisations syndicales.

Un grand enjeu consiste à faire comprendre que l'égalité repose sur la reconnaissance de la différence. Les DRH vont amener tous les échelons hiérarchiques à travailler avec plus de rationalité dans leurs processus de recrutement, de rémunération, de formation, etc. L'approche est globale.

Tout comme l'action contre les discriminations se déploie de moins en moins sur le terrain de la morale au niveau des juridictions, les démarches de prévention conduites dans les entreprises vont-elles également s'inscrire dans un cadre strictement professionnel. La capacité des managers à prévenir et à réparer les discriminations va, ainsi, devenir un critère d'évaluation. C'est une condition pour que la démarche puisse vivre et être performante.

L'étrangeté française, Philippe d'Iribarne, Seuil, 2006.

Dictionnaire amoureux de la mer, Jean-François Deniau, Plon, Paris, 2002.

Manuel, Epictète, traduit et annoté par P. Hadot, LdP, 2000.

parcours

Ancien inspecteur du travail (directeur du travail), Michel Miné est professeur associé en droit privé à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est également chargé de cours au Cnam, à la chaire de droit social.

Il est également membre du comité consultatif de la Halde et de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.

Il est le coauteur, avec Alain Coeuret et Bernard Gauriau, de Droit du travail (éd. Sirey, oct. 2006) et, avec Sylvain Allemand, de Siffler en travaillant ? Les droits de l'homme au travail (éd. Le Cavalier Bleu, septembre 2006).

Auteur

  • Rodolphe Helderlé