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Des mesures sociales en prime

Enquête | publié le : 28.11.2006 | Anne Bariet

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Des mesures sociales en prime

Crédit photo Anne Bariet

De la mise à disposition de salariés au congé mobilité, en passant par le CTP ou encore la contribution Delalande, le projet de loi sur la participation et l'actionnariat salarié s'apparente à un projet portant diverses dispositions d'ordre social. Les partenaires sociaux dénoncent la méthode du gouvernement qui consiste à introduire des modifications fondamentales du Code du travail, sans qu'ils aient été consultés.

Voici une réforme qui pourrait presque passer inaperçue. Intégrées, en catimini, au projet de loi sur la participation et l'actionnariat salarié, les dispositions relatives au droit du travail, regroupées dans les titres III et IV de la loi, vont entrer en vigueur au pas de course. Appelées également mesures additionnelles, elles englobent toute une série de nouveautés, de la mise à disposition de salariés à l'intérieur des pôles de compétitivité au congé mobilité, en passant par le contrat de transition professionnelle, les prud'hommes, les élections professionnelles ou encore la contribution Delalande et le chèque-transport... Soit, au total, 12 mesures qui entendent bien modifier les contours du droit social.

« Fourre-tout législatif »

Certes, le texte n'est pas définitif. L'Assemblée nationale a voté le projet de loi le 11 octobre, le Sénat l'a adopté le 10 novembre, après l'avoir modifié. Mais le gouvernement ayant déclaré l'urgence sur le texte (une seule lecture des deux chambres), le débat est clos. Une commission mixte paritaire va se réunir, dans les prochains jours, pour le valider. Comment s'y retrouver ? Même le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, Jean-Michel Dubernard (UMP), s'y perd et n'hésite pas à qualifier ces dispositions de « fourre-tout législatif », s'apparentant à un projet « portant diverses mesures d'ordre social et financier ». « Une sorte de bric-à-brac qui rappelle les DDOS*, la pire des choses, commente Pierre Héritier, sociologue chez Lasaire, car ce texte ignore à la fois le dialogue social et le débat parlementaire. »

Les syndicats dénoncent, eux aussi, ce nouveau coup bas du gouvernement. Le procédé est aux antipodes de son discours actuel qui plaide pour l'introduction d'une concertation préalable des partenaires sociaux avant toute modification du Code du travail. « A quoi sert de voter une loi sur la modernisation du dialogue social si nous ne sommes pas consultés sur les principaux changements en matière de droit du travail ?, s'insurge Gabrielle Simon (CFTC). Toutes ces dispositions ont été prises à la va-vite, sans discussion préalable, et ensuite, l'on s'étonne que le Code du travail soit un mille-feuille générant de l'insécurité juridique. Nous n'étions pas forcément opposés à ces mesures, mais nous souhaitions discuter leurs modalités d'application. » Michel Mersenne (CFDT) ne dit pas autre chose : « On se pose même la question sur la volonté politique du gouvernement de discuter avec les partenaires sociaux. Car, dans les faits, cet affichage politique n'est pas confirmé. » Même mécontentement du côté de la CFE-CGC : « Non seulement ce procédé remet en cause la relation entre les partenaires sociaux et les parlementaires - nos députés sont beaucoup plus à l'écoute du Medef -, mais il pose également le problème de la légitimité gouvernementale, les principaux amendements venant des députés UMP. »

Trois objectifs affichés

Au-delà des querelles de méthode, que dit le projet de loi ? Parmi les principales dispositions, trois objectifs sont clairement affichés par le gouvernement : la mobilité professionnelle, la sécurisation des parcours professionnels et, enfin, l'emploi des seniors. Pour remplir ces objectifs, le texte n'a pas hésité à écorner quelques principes jugés jusqu'ici fondamentaux. Au premier rang desquels, le prêt de main-d'oeuvre qui était utilisé pour les entreprises de travail temporaire et les entreprises à temps partagé. La loi étend son application.

Mise à disposition de salariés

Désormais, et jusqu'en 2010, les entreprises et les organismes de recherche situés dans l'un des 66 pôles de compétitivité vont pouvoir recourir à cette pratique. Concrètement, une entreprise, un laboratoire ou encore une université va pouvoir mettre ses salariés à la disposition d'une autre structure. Sans pour autant être coupable de prêt illicite de main-d'oeuvre à but lucratif. La gauche avait pourtant souhaité la suppression de cet article, craignant que, « sous couvert d'expérimentation », cette mesure ouvre « la voie à tous les abus ». Le SNTRS-CGT (Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique) redoute que cet article de loi « vise à rapprocher la recherche publique de la recherche privée, sans avoir de certitude sur le développement de la recherche publique. Les entreprises en seraient bénéficiaires au détriment de la recherche fondamentale ».

L'article a pourtant été adopté par le Sénat. Ce qui réjouit Jean-Louis Borloo, partisan du dispositif : « Les pôles de compétitivité, c'est mettre en réseau des compétences », et au lieu « de perdre » certains talents, il s'agit d'essayer, en fonction de ces compétences, de trouver la meilleure application « tout en permettant aux salariés de garder le CDI ». La seule contrainte ? Ne pas causer préjudice à l'intéressé. Autrement dit, tout salarié mis à disposition doit, en réintégrant son entreprise d'origine, retrouver la totalité des droits attachés à son contrat de travail (l'ancienneté, y compris le temps passé à disposition dans une autre entreprise).

Apparition du congé mobilité

Ce texte sur l'actionnariat salarié met également l'accent sur le reclassement à froid des salariés et offre les outils pour gérer les transitions professionnelles. C'est ainsi que le congé mobilité fait son apparition. Concrètement, ce congé permet aux salariés des entreprises de plus de 1 000 personnes, menacés de licenciement, d'effectuer des missions à l'extérieur de leur entreprise ou sur un autre poste.

Ce congé est présenté, par le gouvernement, comme le pendant du contrat de transition professionnelle (CTP) pour les salariés des entreprises plus petites. Points communs ? Tous deux se distinguent des dispositifs déjà existants par la possibilité, pour les salariés volontaires, de réaliser des «périodes de travail», donc d'occuper temporairement des emplois. A droite, on revendique l'utilisation de ces périodes afin « de multiplier les opportunités de reprise d'emploi et de favoriser plus généralement la mobilité professionnelle ». Les députés PS et Verts ont dénoncé, eux, « un article particulièrement dangereux », une « précarisation supplémentaire ». « Quelle aubaine pour les patrons ! », s'est insurgé Maxime Gremetz (PC).

Le texte confirme également le CTP. Mais le Sénat a apporté une modification : le montant de la contribution acquittée par un employeur qui procède au licenciement économique d'un salarié sans lui proposer le CTP est ramené à un mois de salaire moyen du salarié concerné, perçu au cours des douze mois précédant le licenciement, au lieu de deux.

Emploi des seniors

Enfin, dernier point, l'emploi des seniors. La loi abroge également la suppression de la dérogation de mise à la retraite d'office. L'article 27 acte la disparition de la contribution Delalande. Le Sénat a, là aussi, apporté sa touche finale, en adoptant, contre l'avis du gouvernement, un amendement ramenant du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2008 la date de la suppression de la contribution Delalande. Instituée en 1987, cette «taxe», représentant entre un et douze mois de salaire brut, selon l'âge, est due par les employeurs en cas de licenciement d'un salarié de plus de 50 ans. Selon l'argument de la commission des Affaires sociales du Sénat, cette contribution, « loin d'être dissuasive aux licenciements, semble avoir, en revanche, pour effet pervers de constituer un obstacle non négligeable à l'embauche des salariés âgés ». Les avis des partenaires sociaux divergent sur l'efficacité du dispositif, mais se rejoignent sur un point : la nécessité de garder cette manne pour l'Unedic, soit 500 millions d'euros chaque année, au moins jusqu'à 2010, date du retour à l'équilibre financier du régime d'assurance chômage.

Point de vue des observateurs sociaux

Que pensent les observateurs sociaux ? A leur avis, plusieurs erreurs jalonnent le texte. « Pourquoi parler de sécurisation des parcours professionnels, dans ce projet de loi, alors que l'une des seules réponses apportées concerne la mise à disposition de personnel ?, indique Pierre Héritier. Ce sujet est pourtant au coeur de la crise de la société française, au coeur des mutations. Or, cette pratique de détachement jette le trouble sur ce sujet. »

Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général de l'Aduet (Association pour le développement de l'université européenne du travail), qualifie de « régressif » l'amendement concernant le double décompte des effectifs qui exclut du calcul les entreprises extérieures, c'est-à-dire les sous-traitants. Il regrette, également, l'absence de toute dimension collective dans les pôles de compétitivité : « A aucun moment, ce projet de loi ne fait référence à un accord collectif. Toute négociation se fait dans un cadre uniquement individuel. C'est un vrai rendez-vous manqué avec le dialogue social. »

Avis aux gouvernants de l'après-avril 2007 : il conviendrait de modifier quelques règles pour légitimer les acteurs et pour préserver l'avenir du dialogue social.

* Diverses dispositions d'ordre social.

L'essentiel

1 Le projet de loi sur la participation et l'actionnariat comporte 12 dispositions additionnelles qui englobent à la fois la mise à disposition de salariés à l'intérieur des pôles de compétitivité, le congé mobilité, le contrat de transition professionnelle, les prud'hommes, les élections professionnelles ou encore la contribution Delalande et le chèque-transport.

2 A l'heure où le gouvernement prépare un projet de loi sur la modernisation du dialogue social qui plaide pour l'introduction d'une concertation préalable avec les partenaires sociaux, les syndicats, qui n'ont pas été consultés sur ce texte, dénoncent ce coup bas du gouvernement.

3 Parmi les nouveautés : le prêt de main-d'oeuvre dans les pôles de compétitivité, la suppression de la contribution Delalande dès 2008, et le congé de mobilité.

Auteur

  • Anne Bariet