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Redéfinir l'emploi comme responsabilité collective

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 28.11.2006 | Pauline Rabilloux

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Redéfinir l'emploi comme responsabilité collective

Crédit photo Pauline Rabilloux

Face à la précarisation croissante de l'emploi, l'idée d'un droit attaché à la personne plutôt qu'à l'emploi fait son chemin. Restituer historiquement les enjeux permet de mieux définir l'emploi comme construction et responsabilité collectives.

E & C : Le contrat de travail à durée indéterminée est le résultat d'une longue histoire sociale. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?

Florence Lefresne : Au XIXe siècle, le contrat de travail n'engage le travailleur que pour un temps déterminé, écartant ainsi tout risque d'esclavage ou de servitude. La revendication d'une plus grande stabilité n'émerge qu'à la fin du XIXe. Epoque où la liberté de rupture du contrat par l'une ou l'autre des parties est totale. Trois éléments essentiels vont conférer au CDI ses garanties d'emploi stable : la création d'une obligation de préavis (1958) ; celle d'une indemnisation en cas de licenciement (1967) ; et l'obligation de justifier ce licenciement par une cause réelle et sérieuse (lois de 1973 et 1975).

La pérennité de la relation d'emploi correspond aux exigences de la croissance des Trente Glorieuses. Parallèlement, la volonté collective de parer aux risques du travail salarié, liés aux aléas de l'activité économique, à l'accomplissement physique du travail, à la vieillesse, à la maladie et à la maternité... donne naissance à la notion moderne de statut d'emploi, selon l'expression d'Alain Supiot. Ce statut constitue lui-même le socle de la cohésion sociale, et fonde ce que Robert Castel appelle la société salariale. L'édifice trouve son couronnement avec le plein-emploi, alors érigé en responsabilité collective, assumée par les entreprises et par les politiques publiques de cette époque.

E & C : Quels sont les problèmes posés par la remise en cause de cette logique ?

F. L. : Dans les années 1970, où le CDI est la norme, les formes particulières d'emploi ont cependant commencé à se développer. Juridiquement, le CDD et l'intérim ne doivent être utilisés que pour des tâches non liées à l'activité habituelle de l'entreprise. Néanmoins, depuis les années 1980, l'évolution législative en élargit le recours et, surtout, ces règles sont loin d'être respectées dans la pratique. Au point que, dans les établissements de plus de 10 salariés du secteur privé, 73 embauches sur 100 se font, désormais, sous contrats courts, et le secteur public n'est pas en reste, avec une proportion identique de recrutement de contractuels ou de vacataires. Le temps partiel, sous différents statuts, constitue une voie parallèle d'émiettement des normes. Ce sont chaque fois des catégories particulières qui les véhiculent : jeunes ; femmes ; titulaires d'un emploi aidé (2 millions de personnes).

Le mouvement général est donc celui d'un affaiblissement des garanties codifiées dans la période antérieure et d'un éclatement du statut conduisant à mettre en question certaines catégories fondamentales du droit du travail : l'opposition formelle entre travail salarié et travail indépendant ; l'entreprise comme lieu unique de rattachement de l'emploi ; et, finalement, l'emploi comme relation durable et comme statut. Un saut qualitatif a été franchi avec l'instauration, en août 2005, du contrat nouvelles embauches et la tentative d'instaurer un contrat «première embauche». Ce mouvement de fragmentation des normes est accompagné d'une forte déstabilisation du système de protection sociale. L'assurance chômage ne couvre plus que 40 % des chômeurs ; elle pénalise ou exclut les salariés ayant des références de travail trop courtes. Les systèmes de retraite et leurs réformes en cours confrontent les assurés à un problème identique : les emplois précaires entrecoupés de périodes de chômage ainsi que le temps partiel créent de véritables «trous de protection sociale».

E & C : Comment réinventer des statuts de l'emploi cohérents avec les évolutions socio-économiques ?

F. L. : Face à l'ensemble de ces mutations, les propositions pour refonder le contrat de travail foisonnent : instaurer un contrat d'activité avec un groupement d'employeurs (rapport Boissonnat) ; instaurer un état professionnel des personnes (rapport Supiot) ; et, plus récemment, une sécurité sociale professionnelle. Cette dernière idée est désormais reprise par des acteurs politiques et sociaux d'horizons divers. Introduite par la CGT, elle suppose un droit à la formation continue, à la santé, à la retraite, à l'emploi, à une carrière et à la démocratie sociale. La nouveauté réside dans l'attachement de ces droits à la personne et non plus au contrat de travail. Repris par Nicolas Sarkozy, le mot d'ordre renvoie à un contrat de travail unique, assorti de garanties se renforçant avec l'ancienneté, en échange d'un démantèlement de l'encadrement du licenciement.

Dans tous les cas, le danger serait d'entériner une tendance déjà en cours : la déresponsabilisation sociale vis-à-vis de l'emploi. En payant une taxe sur les licenciements, les employeurs se verraient exonérés de toute responsabilité sociale. De leur côté, les salariés feraient valoir leurs droits sociaux, indépendamment du niveau de l'emploi. Le marché dicterait ainsi les places disponibles... A charge pour les dépenses publiques de financer l'effectivité des droits des salariés. Outre ce problème du financement, une telle représentation évacue l'un des enjeux majeurs posés par l'ébranlement de la société salariale : la redéfinition de l'emploi comme construction et responsabilité collectives.

L'introuvable sécurité de l'emploi, Bernard Gazier et Peter Auer, Flammarion, 2006.

Travail flexible, salariés jetables, sous la dir. de Michel Husson, La Découverte, 2006.

Protection sociale et travail décent. Nouvelles perspectives pour les normes internationales du travail, n° spécial de la Semaine sociale Lamy, 2006, n° 1272.

parcours

Florence Lefresne est socio-économiste à l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales) et enseigne à l'université de Marne-la-Vallée. Ses recherches portent sur la transformation des normes d'emploi, notamment sous l'effet des politiques publiques.

Elle vient de publier un article intitulé «L'avenir du contrat de travail» (Regard sur l'actualité, Documentation française). Elle est l'auteure des Jeunes et l'emploi (La Découverte, 2003) et coauteure des Mutations de l'emploi en France (La Découverte, 2005).

Auteur

  • Pauline Rabilloux