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« Il est urgent d'atteindre le plein emploi »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 21.11.2006 | Violette Queuniet

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« Il est urgent d'atteindre le plein emploi »

Crédit photo Violette Queuniet

Les choix de politique économique de la France ont, depuis plusieurs décennies, abouti à un chômage élevé. Pourtant, une société de plein emploi est possible et même indispensable pour éviter une catastrophe sociale.

E & C : Dans votre ouvrage, Le plein emploi ou le chaos, vous défendez l'idée que le chômage n'est pas une fatalité et qu'il est possible d'aller vers le plein emploi en conduisant une autre politique économique. Laquelle ?

Alain Parguez : Selon la thèse officielle, si la France a un taux de chômage anormalement élevé, elle le doit à un Code du travail trop rigide, des indemnités de chômage trop élevées, des syndicats réactionnaires, etc. Cette thèse n'a aucun fondement, comme l'ont montré de nombreuses études sérieuses. Alors, que faire ? Ce qui détermine l'emploi, c'est la croissance, la demande globale. Et il y a deux facteurs essentiels dans la demande globale : la consommation des ménages, d'abord. Elle détermine à peu près 68 % du PIB dans les économies modernes. On constate également qu'elle détermine quasi intégralement l'investissement des entreprises. Donc, toute politique qui prétendrait encourager l'investissement sans garantir, au préalable, la croissance de la consommation est vouée à l'échec.

Deuxième stimulant de la croissance : les dépenses publiques. Elles jouent un rôle absolument fondamental, à condition de ne pas être financées par un accroissement des impôts. Un déficit budgétaire, aussi longtemps que le plein emploi n'est pas réalisé, est, en soi, parfaitement acceptable. Les dépenses publiques sont indispensables dans beaucoup de domaines où il y a des lacunes considérables aujourd'hui en France : l'enseignement supérieur et la recherche, le logement, la santé, la fonction publique, etc. Les dépenses publiques, en France, tendent à baisser alors qu'elles augmentent aux Etats-Unis, même dans la fonction publique. Il y a donc une possibilité d'avoir une politique radicalement différente.

E & C : Cette politique économique «néo-keynésienne» ne rencontre guère d'échos en France, quels que soient les gouvernements. Pourquoi ?

A. P. : C'est une question que tout le monde se pose à l'étranger ! Je pense qu'il y a un choix délibéré d'une véritable idéologie économique fondée sur une ignorance très profonde des principes de l'économie moderne. Elle trouve son origine dans les années 1920. Pour cette pensée, le chômage n'est pas un enjeu. Elle lie la croissance aux profits très élevés des entreprises. Pourquoi pas ? Mais elle pose ensuite que, pour élever les profits, il faut réduire la part des salaires. Or, il n'y a aucun lien entre les deux. La baisse des salaires aboutit, au contraire, à la réduction de la consommation. On joue alors tout sur les exportations. Mais comme, en même temps, on a choisi d'avoir une monnaie surévaluée, le résultat est d'obliger les entreprises à être plus compétitives en réduisant toujours plus les coûts salariaux. C'est le raisonnement adopté aujourd'hui au niveau européen, qui ne peut qu'échouer, et a toujours échoué, et qui génère du chômage.

C'est particulièrement vrai en France, où la situation de l'emploi n'a pas cessé de se dégrader à cause de choix délibérés de politique économique effectués tant par la gauche que par la droite. Concernant la gauche, la critique de la société de consommation, héritage de Mai 68, a beaucoup pesé. Que, sur le plan moral ou religieux, on critique la consommation, je l'admets. Mais pour la remplacer par quoi ? Nous sommes dans une société, aujourd'hui, où, à moins de se consacrer à la méditation pure, le temps libre, lui-même, est une consommation. Le grand économiste américain John Kenneth Galbraith disait justement que le progrès social passe par la consommation. La refuser participe d'une vision totalement conservatrice ou passéiste, sinon soviétique, de la société.

E & C : Tout en menant une politique de rigueur, les gouvernements successifs ont tous eu pour priorité la lutte contre le chômage...

A. P. : Quels sont les objectifs réels des gouvernements depuis près de quarante ans ? Certainement pas le plein emploi, mais le traitement social du chômage. Puisqu'on ne peut pas faire une politique de plein emploi, on va s'efforcer de faire tolérer le chômage. On le masque par l'introduction de revenus minima, d'emplois subventionnés. Résultat : aujourd'hui, si le chômage officiel s'élève à près de 9 % de la population active, le chômage réel, celui qui pénalise la population, atteint au moins le triple si l'on ajoute toutes les formes d'emplois précaires, les titulaires du RMI, les jeunes diplômés enchaînant des stages, etc.

E & C : Quel risque y a-t-il à continuer à renoncer au plein emploi ?

A. P. : Il y a, bien sûr, le risque économique de continuer à s'enfoncer dans la récession. Sur le plan social, tout ce qu'on peut prévoir est catastrophique. La situation actuelle dans les banlieues rappelle exactement la situation dans les ghettos noirs-américains au début des années 1960. Les Etats-Unis s'en sont sortis grâce aux politiques massives de dépenses mises en oeuvre depuis l'administration Johnson.

D'autre part, on constate un découragement total de la jeunesse. Tous ceux qui ont du talent s'efforcent de quitter la France. Il faut en finir avec une politique qui ferme de plus en plus l'avenir des jeunes.

Le talon de fer, Jack London, Phébus, 2003.

Le choix de la défaite - les élites françaises dans les années 1930, Annie Lacroix-Riz, Armand-Colin, 2006.

L'ère de l'opulence, John Kenneth Galbraith, Calmann-Lévy, 2006.

parcours

Alain Parguez est professeur de sciences économiques à l'université de Besançon. Il a enseigné dans des universités nord-américaines (Kansas City, Ottawa) et collabore, actuellement, à l'université d'Austin, dans le cadre de la Lyndon B. Johnson School for Government Studies.

Il a contribué à plusieurs ouvrages, parmi lesquels Les théories monétaires post-keynésiennes (Economica, 2003), Monetary integration : the lessons of European monetary union (Edward Elgar, 2006).

Il vient de publier, avec Jean-Gabriel Bliek, Le plein emploi ou le chaos (éd. Economica).

Auteur

  • Violette Queuniet