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Enquête

Les 20-70-10 : à 10, vous êtes dehors

Enquête | publié le : 14.11.2006 | Caroline Talbot-Crossdale, à New York

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Les 20-70-10 : à 10, vous êtes dehors

Crédit photo Caroline Talbot-Crossdale, à New York

Instaurée par Jack Welch, l'ancien patron de GE, la règle des 20-70-10 consiste à classer, chaque année, des pourcentages définis de salariés en fonction de leur performance. Les derniers risquent la porte. Une méthode décriée, mais adoptée par d'autres entreprises.

La règle des 20-70-10, inventée par Jack Welch, l'ancien patron de General Electric, pour évaluer les performances des salariés, fait toujours couler beaucoup d'encre aux Etats-Unis. Le classement annuel des salariés, qui en distingue 20 % de performants, 70 % de moyens et 10 % de médiocres à licencier, a survécu au départ à la retraite de Jack Welch. Il s'est même épanoui dans les autres entreprises américaines. On estime, aujourd'hui, qu'un tiers des compagnies utilisent une forme de classement chiffré des performances.

Efficacité non mesurable

Mais il est bien difficile de mesurer l'efficacité du «rank and yank», soit «classer et secouer», le surnom qui a été donné au système par ses détracteurs. Car les intéressés refusent d'en parler. Les syndicalistes du CWA (Communication Workers of America), présents chez GE, ne sont pas concernés. « Le contrat négocié par le syndicat pour les salariés de base interdit les licenciements sans cause », explique la représentante du CWA, Lauren Asplen. En clair, le 20-70-10 ne s'applique pas aux employés, seuls les cadres y ont droit. Et ces derniers restent silencieux.

Steve Scullen, professeur de management à l'université Drake, dans l'Etat de l'Iowa, a pourtant essayé d'évaluer ce classement grâce à une simulation informatique d'une entreprise qui licencie sans états d'âme les salariés en bas de l'échelle. Son diagnostic : les gains de productivité tournent autour de 16 %, mais chutent ensuite. La sixième année, ils se limitent à 2 % ; au bout de dix ans, à 1 %. Vingt ans après, il n'y a plus aucune amélioration. « Une fois que vous avez licencié les plus faibles, explique le professeur, vous n'avez plus que des salariés performants. Et si vous continuez à en licencier 10 %, il devient difficile de trouver de nouveaux embauchés qui seront meilleurs que vos troupes. » Le scénario alternatif parie sur la montée en compétences et en performance des salariés évalués comme mauvais.

Chute de moral

En outre, cette étude de Steve Scullen ne dit rien des critiques les plus sévères adressées à Jack Welch. La chute du moral des mal-notés, la perte de l'esprit d'équipe, la schizophrénie des stars du service, effrayées à l'idée de sortir de l'eden des 20 %... se mesurent difficilement. Jack Welch, dans son dernier livre, intitulé Winning, reconnaît certains travers du système. Il pourrait être « corrompu par le favoritisme », écrit-il. Le chef plaçant ses amis dans les 20 % et ceux qui refusent le statu quo dans les 10 % à éliminer. Mais, poursuit Jack Welch, une telle dérive finirait par s'autoréguler.

Démotivation

Le patron évoque aussi les risques de démotivation des cadres talentueux placés dans la zone moyenne des 70 % : « Parfois, ils s'en vont parce qu'ils savent qu'il n'y a pas une grande différence avec les stars des 20 % et ils se sentent bien meilleurs que les derniers de la classe 70 %. » Jack Welch le concède lui-même : la brutalité de l'évaluation chiffrée peut aussi nuire à l'organisation.

Mais ce sont finalement les avocats qui ont fait plier plusieurs groupes américains comme Ford, en 2002, ou Goodyear, en 2003. Le premier a renoncé publiquement aux quotas, juste avant le dépôt d'une plainte pour discrimination ; le second a versé 10,5 millions de dollars pour mettre fin à une plainte identique, déposée par 500 salariés. L'équipe de Michael Pitt, star du barreau américain, avait montré qu'un salarié de plus de 50 ans avait cinq à six fois plus de risques d'être noté «C» qu'un trentenaire.

Auteur

  • Caroline Talbot-Crossdale, à New York